Название | Victor Hugo |
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Автор произведения | Gautier Théophile |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Oui, nous les regardâmes avec un sang-froid parfait toutes ces larves du passé et de la routine, tous ces ennemis de l'art, de l'idéal, de la liberté et de la poésie, qui cherchaient de leurs débiles mains tremblotantes à tenir fermée la porte de l'avenir; et nous sentions dans notre cœur un sauvage désir d'enlever leur scalp avec notre tomahawk pour en orner notre ceinture; mais à cette lutte, nous eussions couru le risque de cueillir moins de chevelures que de perruques; car si elle raillait l'école moderne sur ses cheveux, l'école classique, en revanche, étalait au balcon et à la galerie du Théâtre-Français une collection de têtes chauves pareille au chapelet de crânes de la déesse Dourga. Cela sautait si fort aux yeux, qu'à l'aspect de ces moignons glabres sortant de leurs cols triangulaires avec des tons couleur de chair et de beurre rance, malveillants malgré leur apparence paterne, un jeune sculpteur de beaucoup d'esprit et de talent, célèbre depuis, dont les mots valent les statues, s'écria au milieu d'un tumulte: «A la guillotine, les genoux!»
Nous demandons pardon à nos lecteurs de les avoir fait tant attendre sur le seuil d'Hernani, et cela pour leur parler de nous; mais ce n'est pas chez nous un péché d'habitude, et, si nous connaissions un moyen de disparaître tout à fait de notre œuvre, nous l'emploierions; – le je nous répugne tellement que notre formule expressive est nous, dont le pluriel vague efface déjà la personnalité et vous replonge dans la foule. Mais l'apparition surnaturelle, le flamboiement farouche et météorique de notre pourpoint écarlate à l'horizon du Romantisme ayant été regardé «comme un signe des temps», dirait la Revue des Deux Mondes, et occupé ce XIXe siècle qui avait pourtant bien autre chose à faire, il a bien fallu faire violence, à notre modestie naturelle et nous mettre en scène un instant, puisque aussi bien c'est nous qui étions le moule de ce pourpoint mirifique.
III
LA PRÉSENTATION
Nos états de service d'Hernani (trente campagnes, trente représentations, vivement disputées) nous donnaient presque le droit d'être présenté au grand chef. Rien n'était plus simple: Gérard de Nerval ou Petrus Borel, dont nous avions fait récemment la connaissance, n'avaient qu'à nous mener chez lui. Mais à cette idée, nous nous sentions pris de timidités invincibles. Nous redoutions l'accomplissement de ce désir si longtemps caressé. Lorsqu'un incident quelconque faisait manquer les rendez-vous arrangés avec Gérard ou Pétrus, ou tous les deux, pour la présentation, nous éprouvions un sentiment de bien-être, notre poitrine était soulagée d'un grand poids, nous respirions librement.
Victor Hugo, que le nombre de visiteurs amenés par les représentations d'Hernani avait fait renvoyer de la paisible retraite qu'il habitait au fond d'un jardin plein d'arbres, rue Notre-Dame-des-Champs, était venu se loger dans une rue projetée du quartier François-Ier, la rue Jean-Goujon, composée alors d'une maison unique, celle du poète; autour, s'étendaient les Champs-Élysées presque déserts, et dont la solitude était favorable à la promenade et à la rêverie.
Deux fois nous montâmes l'escalier lentement, lentement, comme si nos bottes eussent eu des semelles de plomb. L'haleine nous manquait; nous entendions notre cœur battre dans notre gorge, et des moiteurs glacées nous baignaient les tempes. Arrivé devant la porte, au moment de tirer le cordon de la sonnette, pris d'une terreur folle, nous tournâmes les talons et nous descendîmes les degrés quatre à quatre, poursuivi par nos acolytes qui riaient aux éclats.
Une troisième tentative fut plus heureuse; nous avions demandé à nos compagnons quelques minutes pour nous remettre, et nous nous étions assis sur une des marches de l'escalier car nos jambes flageolaient sous nous et refusaient de nous porter, mais voici que la porte s'ouvrit et qu'au milieu d'un flot de lumière, tel que Phébus-Apollon franchissant les portes de l'Aurore, apparut sur l'obscur palier, qui? Victor Hugo, lui-même dans sa gloire.
Comme Esther devant Assuérus, nous faillîmes nous évanouir. Hugo ne put, comme le satrape vers la belle Juive, étendre vers nous, pour nous rassurer, son long sceptre d'or, par la raison qu'il n'avait pas de sceptre d'or, ce qui nous étonna. Il sourit, mais ne parut pas surpris, ayant l'habitude de rencontrer journellement sur son passage de petits poètes en pâmoison, des rapins rouges comme des coqs ou pâles comme des morts, et même des hommes faits, interdits et balbutiants. Il nous releva de la maniéré la plus gracieuse et la plus courtoise, car il fut toujours d'une exquise politesse, et renonçant à sa promenade il rentra avec nous dans son cabinet.
Henri Heine raconte que s'étant proposé de voir le grand Gœthe, il avait longtemps préparé dans sa tête les superbes discours qu'il lu tiendrait, mais qu'arrivé devant lui il n'avait trouvé rien à lui dire sinon «que les pruniers sur la route d'Iéna à Weimar portent des prunes excellentes contre la soif»; ce qui avait fait sourire doucement le Jupiter Mansuetus de la poésie allemande, plus flatté peut-être de cette ânerie éperdue que d'un éloge ingénieusement et froidement tourné. Notre éloquence ne dépassa pas le mutisme, quoique, nous aussi, nous eussions rêvé pendant de longues soirées aux apostrophes lyriques par lesquelles nous aborderions Hugo pour la première fois.
Un peu remis, nous pûmes bientôt prendre part à la conversation engagée entre Hugo, Gérard et Pétrus. On peut regarder les dieux, les rois, les jolies femmes, les grands poètes un peu plus fixement que les autres personnages, sans qu'ils s'en fâchent, et nous examinions Hugo avec une intensité admirative dont il ne paraissait pas gêné. Il y reconnaissait l'œil du peintre prenant des notes pour écrire à jamais un aspect, une physionomie, à un moment qu'on ne veut pas oublier.
Dans l'armée Romantique comme dans l'armée d'Italie, tout le monde était jeune.
Les soldats pour la plupart n'avaient pas atteint leur majorité, et le plus vieux de la bande était le général en chef, âgé de vingt-huit ans. C'était l'âge de Bonaparte et de Victor Hugo à cette date.
Nous avons dit quelque part: «Il est rare qu'un poète, qu'un artiste, soit connu sous son premier et charmant aspect; la réputation ne lui vient que plus tard lorsque déjà les fatigues de la vie, la lutte et les tortures des passions ont altéré sa physionomie primitive. Il ne laisse de lui qu'un masque usé, flétri, où chaque douleur a mis pour stigmate une meurtrissure ou une ride. C'est de cette dernière image, qui a sa beauté aussi, dont on se souvient». Nous avons eu le bonheur de les connaître à leur plus frais moment de jeunesse, de beauté et d'épanouissement tous ces poètes de la pléiade moderne dont on ne confiait plus le premier aspect.
Ce qui frappait d'abord dans Victor Hugo, c'était le front vraiment monumental qui couronnait comme un fronton de marbre blanc son visage d'une placidité sérieuse. Il n'atteignait pas, sans doute, les proportions que lui donnèrent plus tard, pour accentuer chez le poète le relief du génie, David d'Angers et d'autres artistes; mais il était vraiment d'une beauté et d'une ampleur surhumaines; les plus vastes pensées pouvaient s'y écrire; les couronnes d'or et de laurier s'y poser comme sur un front de dieu ou de césar. Le signe de la puissance y était. Des cheveux châtain clair l'encadraient et retombaient un peu longs. Du reste, ni barbe ni moustaches, ni favoris ni