Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Название Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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jouer aux cartes avec ma grand'mère, et elle restait en serre-tête noir, ce qui lui donnait l'air d'un vieux curé; mais si l'on annonçait quelque visite, elle se hâtait de chercher sa perruque qui souvent était par terre, ou dans sa poche, ou sur son fauteuil, elle assise dessus. On juge quels plis étranges avaient pris toutes ces mèches de petits cheveux frisés, et comme, dans sa précipitation, il lui arrivait souvent de la mettre à l'envers, ou sens-devant-derrière, elle offrait une suite de caricatures à travers lesquelles il m'était bien difficile de retrouver la beauté d'autrefois.

      Mme de Troussebois, Mme de Jasseau et les autres dont je ne me rappelle pas les noms, avaient, celle-ci un menton qui rejoignait son nez, celle-là une face de momie. La plus jeune de la collection était une chanoinesse blonde qui avait une assez belle tête sur un corps nain et difforme. Quoiqu'elle fût demoiselle, elle avait le privilége de s'appeler madame, et de porter un ruban d'ordre sur sa bosse, parce qu'elle avait seize quartiers de noblesse. Il y avait aussi une baronne d'Hasfeld ou d'Hazefeld, qui avait la tournure et les manières d'un vieux corporal schlag: enfin, une Mme Dubois, la seule qui n'eût point un nom, et qui, précisément, n'avait aucun ridicule. Je ne sais plus quelle autre avait une grosse lèvre violette toujours gonflée, fendue et gercée, dont les baisers m'étaient odieux. Il y avait aussi une Mme de Maleteste, encore assez jeune, qui avait épousé un vieux mari pauvre et grognon, uniquement pour porter le nom des Malatesta d'Italie, nom qui n'est pas bien beau, puisqu'il signifie tout bonnement mauvaise tête ou plutôt tête méchante. Par une singulière coïncidence, cette dame passait sa vie à avoir la migraine, et comme on prononçait son nom Maltête, je croyais de bonne foi que c'était un sobriquet qu'on lui avait donné à cause de sa maladie et de ses plaintes continuelles. De sorte qu'un jour je lui demandai naïvement comment elle s'appelait pour de bon. Elle s'étonna et me répondit que je le savais bien. — Mais non, lui dis-je, mal de tête, mal à la tête, mal-tête, n'est pas un nom. — Pardon, mademoiselle, me répondit-elle fièrement, c'est un fort beau et fort grand nom. — Ma foi, je ne trouve pas, lui répondis-je. Vous devriez vous fâcher quand on vous appelle comme ça. — Je vous en souhaite un pareil! ajouta-t-elle avec emphase. — Merci, repris-je obstinément: j'aime mieux le mien. Les autres dames qui ne l'aimaient pas, peut-être parce qu'elle était la plus jeune, se cachaient pour rire dans leurs grands éventails. Ma grand'mère m'imposa silence, et Mme de Maleteste se retira peu de momens après, fort blessée d'une impertinence dont je ne sentais pas la portée.

      Les hommes étaient l'abbé de Pernon, un doux et excellent homme, sécularisé dans toute sa personne, toujours vêtu d'un habit gris-clair, et la figure couverte de gros pois-chiches; l'abbé d'Andrezel, dont j'ai déjà parlé, et qui portait des spincers sur ses habits; le chevalier de Vinci qui avait un tic nerveux, grâce auquel sa perruque, fortement secouée et attirée par une continuelle contraction des sourcils et des muscles frontaux, quittait sa nuque et, en cinq minutes, arrivait à tomber sur son nez. Il la rattrapait juste au moment où elle abandonnait sa tête et se précipitait dans son assiette. Il la rejetait alors très en arrière sur son crâne afin qu'elle eût plus de chemin à parcourir avant d'arriver à une nouvelle chute. Il y avait encore deux ou trois vieillards dont les noms m'échappent et me reviendront peut-être en temps et lieu.

      Mais qu'on se figure l'existence d'un enfant qui n'a point sucé les préjugés de la naissance avec le lait de sa mère, au milieu de ces tristes personnages d'un enjouement glacial ou d'une gravité lugubre! J'étais déjà très artiste sans le savoir, artiste dans ma spécialité, qui est l'observation des personnes et des choses, bien longtemps avant de savoir que ma vocation serait de peindre bien ou mal des caractères et de décrire des intérieurs. Je subissais avec tristesse et lassitude les instincts de cette destinée. Je commençais à ne pouvoir plus m'abstraire dans mes rêveries, et malgré moi, le monde extérieur, la réalité, venait me presser de tout son poids et m'arracher aux chimères dont je m'étais nourrie dans la liberté de ma première existence. Malgré moi, je regardais et j'étudiais ces visages ravagés par la vieillesse, que ma grand'mère trouvait encore beaux par habitude et qui me paraissaient d'autant plus affreux que je les entendais vanter dans le passé. J'analysais les expressions de physionomie, les attitudes, les manières, le vide des paroles oiseuses, la lenteur des mouvemens, les infirmités, les perruques, les verrues, l'embonpoint désordonné, la maigreur cadavéreuse: toutes ces laideurs, toutes ces tristesses de la vieillesse, qui choquent quand elles ne sont pas supportées avec bonhomie et simplicité. J'aimais la beauté, et, sous ce rapport, la figure sereine, fraîche et indestructiblement belle de ma grand'mère ne blessait jamais mes regards: mais, en revanche, la plupart des autres me contristaient, et leurs discours me jetaient dans un ennui profond. J'aurais voulu ne point voir, ne pas entendre; ma nature scrutatrice me forçait à regarder, à écouter, à ne rien perdre, à ne rien oublier, et cette faculté naissante redoublait mon ennui en s'exerçant sur des objets aussi peu attrayans.

      Dans la journée, quand je courais avec ma mère, je m'égayais avec elle, de ce qui m'avait ennuyé la veille. Je lui faisais, à ma manière, la peinture des petites scènes burlesques dont j'avais été le silencieux et mélancolique spectateur, et elle riait aux éclats, enchantée de me voir partager son dédain et son aversion pour les vieilles comtesses.

      Et pourtant, il y avait certainement, parmi ces vieilles dames, des personnes d'un mérite réel puisque ma bonne maman leur était attachée. Mais, excepté Mme de Pardaillan qui m'a toujours été sympathique, je n'étais pas en âge d'apprécier le mérite sérieux, et je ne voyais que les disgrâces et les ridicules des solennelles personnes qui en étaient revêtues.

      Mme de Maleteste avait un horrible chien qui s'appelait Azor; c'est aujourd'hui le nom classique du chien de la portière: mais toutes choses ont leur charme dans la nouveauté, et, à cette époque, le nom d'Azor ne paraissait ridicule que parce qu'il était porté par un vieux caniche d'une malpropreté insigne. Ce n'est pas qu'il ne fût lavé et peigné avec amour, mais sa gourmandise avait les plus tristes résultats, et sa maîtresse avait la rage de le mener partout avec elle, disant qu'il avait trop de chagrin quand elle le laissait seul. Mme de la Marlière, par contre, avait horreur des animaux, et j'avoue que ma tendresse pour les bêtes n'allait pas jusqu'à trouver trop cruel qu'elle allongeât, avec ses grand souliers pointus, de plantureux coups de pieds à Azor de Maleteste, c'est ainsi qu'elle l'appelait. Cela fut cause d'une haine profonde entre ces deux dames. Elles disaient pis que pendre l'une de l'autre, et toutes les autres s'amusaient à les exciter. Mme de Maleteste qui était fort pincée, lançait toutes sortes de petits mots secs et blessans. Mme de la Marlière, qui n'était pas méchante, mais vive et leste en paroles, ne se fâchait pas et l'exaspérait d'autant plus par la crudité de ses plaisanteries.

      Une chose qui m'étonnait autant que le nom de Mme de Maleteste, c'était ce titre d'abbé que je voyais donner à des messieurs habillés comme tout le monde et n'ayant rien de religieux dans leurs habitudes ni de grave dans leurs manières. Ces célibataires, qui allaient au spectacle, et mangeaient des poulardes le vendredi saint, me paraissaient des êtres particuliers dont je ne pouvais me définir le mode d'existence, et, comme les enfans terribles de Gavarni, je leur adressais des questions gênantes. Je me souviens qu'un jour je disais à l'abbé d'Andrezel: «Eh bien, si tu n'es pas curé où donc est ta femme? et si tu es curé, où donc est ta messe?» On trouva le mot fort spirituel et fort méchant, je ne m'en doutais guère. J'avais fait de la critique sans le savoir, et cela m'est arrivé plus d'une fois dans la suite de ma vie. J'ai fait, par distraction ou par bêtise, des questions ou des remarques qu'on a crues bien profondes ou bien mordantes.

      Comme je ne peux pas ordonner mes souvenirs avec exactitude, j'ai mis ensemble dans ma mémoire beaucoup de personnes et de détails qui ne datent peut-être pas spécialement de ce premier séjour à Paris avec ma grand'mère; mais comme les habitudes et l'entourage de celle-ci ne changèrent pas, et que chaque séjour à Paris amena les mêmes circonstances et les mêmes visages autour de moi, je n'aurai plus à les décrire quand je poursuivrai mon récit. Je parlerai donc ici de la famille Villeneuve, dont il a été si souvent question dans les lettres de mon père.

      J'ai