Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Название Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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      Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)

      TOME CINQUIÈME

      CHAPITRE TROISIEME

      Rose et Julie. — Diplomatie maternelle de ma grand'mère. — Je retrouve mon chez nous. — L'intérieur de mon grand-oncle. —Voir, c'est avoir.— Les dîners fins de mon grand-oncle, ses tabatières. — Mme de la Marlière. — Mme de Pardaillan. — Mme de Béranger et sa perruque. — Mme de Ferrières et ses beaux bras. — Mme de Maleteste et son chien. — Les abbés. — Premiers symptômes d'un penchant à l'observation. — Les cinq générations de la rue de Grammont. — Le bal d'enfans. — La fausse grâce. — Les talons rouges littéraires de nos jours.

      Quand ma fièvre se fut dissipée, et que je n'eus plus à garder le lit que par précaution, j'entendis Mlle Julie et Rose qui causaient à demi-voix de ma maladie et de la cause qui l'avait rendue si forte.

      Il faut que je dise d'abord quelles étaient ces deux personnes à l'empire desquelles j'ai été beaucoup trop livrée depuis, pour le bonheur de mon enfance.

      Rose avait été déjà au service de ma mère, du vivant de mon père, et ma mère étant satisfaite de son attachement et de plusieurs bonnes qualités qu'elle avait, l'ayant retrouvée à Paris, sans place, et désirant mettre auprès de moi une femme propre et honnête, avait persuadé à ma grand'mère de la prendre pour me soigner, me promener et me distraire. Rose était une rousse forte, active et intrépide. Elle était bâtie comme un garçon, montait à cheval jambe de çà, jambe de là, galopant comme un démon, sautant les fossés, tombant quelquefois, se fendant le crâne, et ne se rebutant de rien. En voyage, elle était précieuse à ma grand'mère, parce qu'elle n'oubliait rien, prévoyait tout, mettait le sabot à la roue, relevait le postillon s'il se laissait choir, raccommodait les traits et eût volontiers, en cas de besoin, pris les bottes fortes et mené la voiture. C'était une nature puissante, comme l'on voit, une véritable charretière de la Brie, où elle avait été élevée aux champs. Elle était laborieuse, courageuse, adroite, propre comme une servante hollandaise, franche, juste, pleine de cœur et de dévoûment. Mais elle avait un défaut cruel dont je m'aperçus bien par la suite et qui tenait à l'ardeur de son sang et à l'exubérance de sa vie. Elle était violente et brutale. Comme elle m'aimait beaucoup, m'ayant bien soignée dans ma première enfance, ma mère croyait m'avoir donné une amie, et elle me chérissait en effet; mais elle avait des emportemens et des tyrannies qui devaient m'opprimer plus tard et faire de ma seconde enfance une sorte de martyre.

      Pourtant, je lui ai tout pardonné, et chose bizarre, malgré l'indépendance de mon caractère et les souffrances dont elle m'a accablée, je ne l'ai jamais haïe. C'est qu'elle était sincère, c'est que le fond était généreux, c'est surtout qu'elle aimait ma mère et qu'elle l'a toujours aimée. C'était tout le contraire avec Mlle Julie: celle-ci était douce, polie, n'élevait jamais la voix, montrait une patience angélique en toutes choses; mais elle manquait de franchise, et c'est là un caractère que je n'ai jamais pu supporter. C'était une fille d'un esprit supérieur, je n'hésite pas à le dire. Sortie de sa petite ville de La Châtre sans avoir rien appris, sachant à peine lire et écrire, elle avait occupé ses longs loisirs de Nohant à lire toute espèce de livres. D'abord ce furent des romans, dont toutes les femmes de chambre ont la passion, ce qui fait que je pense souvent à elles quand j'en écris. Ensuite ce furent des livres d'histoire, et enfin des ouvrages de philosophie. Elle connaissait son Voltaire mieux que ma grand'mère elle-même, et j'ai vu dans ses mains le Contrat social, de Rousseau, qu'elle comprenait fort bien. Tous les mémoires connus ont été avalés et retenus par cette tête froide, positive et sérieuse. Elle était versée dans toutes les intrigues de la cour de Louis XIV, de Louis XV, de la czarine Catherine, de Marie-Thérèse et du grand Frédéric, comme un vieux diplomate, et si l'on était embarrassé de rappeler quelque parenté de seigneurs de l'ancienne France avec les grandes familles de l'Europe, on pouvait s'adresser à elle: elle avait cela au bout de son doigt. J'ignore si, dans sa vieillesse elle a conservé cette aptitude et cette mémoire, mais je l'ai connue vraiment érudite en ce genre, solidement instruite à plusieurs autres égards, bien qu'elle ne sût pas mettre un mot d'orthographe.

      J'aurai encore beaucoup à parler d'elle, car elle m'a fait beaucoup souffrir, et ses rapports de police sur mon compte, auprès de ma grand'mère, m'ont rendue beaucoup plus malheureuse que les criailleries et les coups dont Rose, par bonne intention, travaillait à m'abrutir; mais, je ne me plaindrai ni de l'une ni de l'autre avec amertume. Elles ont travaillé à mon éducation physique et morale selon leur pouvoir, et chacune d'après un système qu'elle croyait le meilleur.

      Je conviens que Julie me déplaisait particulièrement parce qu'elle haïssait ma mère. En cela elle croyait témoigner son dévoûment à sa maîtresse, et elle faisait à celle-ci plus de mal que de bien. En résumé, il y avait chez nous le parti de ma mère, représenté par Rose, Ursule et moi, le parti de ma grand'mère, représenté par Deschartres et par Julie.

      Il faut dire à l'éloge des deux suivantes de ma bonne maman, que cette différence d'opinion ne les empêcha pas de vivre ensemble sur le pied d'une grande amitié, et que Rose, sans jamais abandonner la défense de sa première maîtresse, professa toujours un grand respect et un grand dévoûment pour la seconde. Elles ont soigné ma grand'mère jusqu'à son dernier jour avec un zèle parfait; elles lui ont fermé les yeux. Je leur ai donc pardonné tous les ennuis et toutes les larmes qu'elles m'ont coûté, l'une par sa sollicitude féroce pour ma personne, l'autre par l'abus de son influence sur ma bonne maman.

      Elles étaient donc dans ma chambre à chuchotter, et que de choses de ma famille j'ai su par elles, que j'aurais bien mieux aimé ne pas savoir si tôt!.. Et ce jour-là, elles disaient: (Julie.) «Voyez comme cette petite est folle d'adorer sa mère! sa mère ne l'aime point du tout. Elle n'est pas venue une seule fois la voir depuis qu'elle est malade. — Sa mère! disait Rose, elle est venue tous les jours savoir de ses nouvelles. Mais elle n'a pas voulu monter, parce qu'elle est fâchée contre madame, à cause de Caroline. — C'est égal, reprenait Julie, elle aurait pu venir voir sa fille sans entrer chez madame; mais elle a dit à M. de Beaumont qu'elle avait peur d'attraper la rougeole. Elle craint pour sa peau! — Vous vous trompez, Julie, répartit Rose; ce n'est pas comme cela. C'est qu'elle a peur d'apporter la rougeole à Caroline, et pourquoi faudrait-il que ses deux filles fussent malades à la fois? C'est bien assez d'une.»

      Cette explication me fit du bien et calma mon désir d'embrasser ma mère. Elle vint le lendemain jusqu'à la porte de ma chambre et me cria: Bonjour, à travers. «Va-t'en, ma petite mère, lui dis-je; n'entre pas. Je ne veux pas envoyer ma rougeole à Caroline. — Voyez, dit ma mère à je ne sais quelle personne qui était avec elle. Elle me connaît bien, elle! Elle ne m'accuse pas. On aura beau faire et beau dire, on ne l'empêchera pas de m'aimer...»

      On voit, d'après ces petites scènes d'intérieur, qu'il y avait autour de mes deux mères, des gens qui leur redisaient tout, et qui envenimaient leurs dissentimens. Mon pauvre cœur d'enfant commençait à être ballotté par leur rivalité. Objet d'une jalousie et d'une lutte perpétuelles, il était impossible que je ne fusse pas la proie de quelque prévention, comme j'étais la victime des douleurs que je causais.

      Dès que je fus en état de sortir, ma grand'mère m'enveloppa soigneusement, me prit avec elle dans une voiture et me conduisit chez ma mère où je n'avais pas encore été depuis mon retour à Paris. Je crois qu'elle demeurait alors rue Duphot, si je ne me trompe. L'appartement était petit, sombre et bas, pauvrement meublé, et le pot-au-feu bouillait dans la cheminée du salon. Tout était fort propre, mais ne sentait ni la richesse ni la prodigalité. On a tant reproché à ma mère d'avoir mis du désordre dans la vie de mon père et de lui avoir fait faire des dettes, que je suis bien aise de la retrouver dans tous mes souvenirs, économe, presque avare pour elle-même.

      La première personne qui vint nous ouvrir fut Caroline; elle me parut jolie comme un ange, malgré son petit nez retroussé. Elle était plus grande que moi relativement à nos âges respectifs; elle avait la peau moins brune, les traits plus délicats, et une expression de finesse un peu froide et railleuse. Elle soutint avec aplomb la