Bric-à-brac. Dumas Alexandre

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Название Bric-à-brac
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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mon Dieu, qu'était-ce que celui-là? demanda la mère.

      – C'était ton enfant, répondit la Mort.

      La pauvre femme poussa un gémissement et s'affaissa sur la terre.

      Puis, après un instant, levant les bras au ciel:

      – O mon Dieu, dit-elle, puisque vous l'avez pris, gardez-le. Ce que vous faites est bien fait.

      La Mort, alors, étendit le bras vers le petit cactus.

      Mais la mère lui arrêta le bras d'une main, et, de l'autre, lui rendant ses deux yeux:

      – Attends, dit-elle, que je ne le voie pas mourir.

      Et la pauvre mère vécut trente ans encore, aveugle mais résignée.

      Dieu avait mis l'enfant au rang des anges; – il mit la mère au rang des martyrs.

      LE CURÉ DE BOULOGNE

      Voici une petite histoire gui est populaire dans la marine française, et que je meurs d'envie de populariser parmi les terriens.

      Vous me direz si elle valait la peine d'être racontée.

      Le 14 novembre de l'année 1766, une calèche découverte, attelée de chevaux de poste, emportant trois officiers de marine, dont l'un était assis sur la banquette du fond, et les deux autres sur la banquette de devant, ce qui indiquait une différence notable dans les grades, traversait le bois de Boulogne, venant de la barrière de l'Étoile, et suivant l'avenue de Saint-Cloud.

      À la hauteur du château de la Muette, elle croisa un prêtre qui se promenait à petits pas, lisant son bréviaire, dans une contre-allée.

      – Hé! postillon, cria l'officier assis au fond de la calèche, arrêtez donc un peu, s'il vous plaît.

      Le postillon s'arrêta.

      Cette invitation donnée à haute voix, et le bruit que fit le postillon en arrêtant ses chevaux, amenèrent naturellement le prêtre à lever la tête, et à fixer les yeux sur la calèche et les trois voyageurs.

      – Pardieu! je ne me trompais pas, dit l'officier assis au fond de la voiture, c'est toi, mon cher Rémy?

      Le prêtre regardait avec étonnement; cependant, peu à peu son visage s'éclairait du jour qui se faisait en lui-même, et sa bouche passait de l'étonnenient au sourire.

      – Ah! dit-il enfin, c'est vous?

      – Comment, vous?

      – Non… c'est toi, Antoine!

      – Oui, c'est moi, Antoine de Bougainville.

      – Mon Dieu! qu'es-tu donc devenu depuis vingt-cinq ans que nous nous sommes quittés?

      – Ce que je suis devenu, cher ami? dit Bougainville; viens t'asseoir un instant près de moi, et je te le dirai.

      – Mais…

      Le prêtre regarda autour de lui avec inquiétude, comme s'il avait peur de s'écarter de son domicile.

      Bougainville comprit sa crainte.

      – Sois tranquille; nous irons au pas, répondit-il.

      Un valet descendit du siège de derrière, et abaissa le marchepied.

      – C'est qu'il est onze heures un quart, dit le prêtre, et Marianne m'attend pour dîner.

      – Où demeures-tu, d'abord?.. Mais assieds-toi donc!

      Et Bougainville tira légèrement par sa soutane le prêtre, qui s'assit.

      – Où je demeure? dit celui-ci.

      – Oui.

      – À Boulogne… Je suis curé de Boulogne, mon ami.

      – Ah! ah! je t'en fais mon compliment; tu avais toujours eu la vocation.

      – Aussi, tu vois, suis-je entré dans les ordres.

      – Et tu es content?

      – Enchanté, mon ami! La cure de Boulogne n'est pas une cure de premier ordre: elle ne rapporte que huit cents livres; mais mes goûts sont modestes, et il me reste encore quatre cents livres par an à donner aux pauvres.

      – Cher Rémy!.. Vous pouvez aller au petit trot, afin que nous perdions le moins de temps possible.

      Le postillon fit prendre à ses chevaux l'allure demandée, laquelle, si modérée qu'elle fût, n'en amena pas moins un nuage d'inquiétude sur la physionomie du curé.

      – Mais sois donc tranquille, dit Bougainville, puisque nous allons du côté de Boulogne.

      – Mon ami, dit en riant l'abbé Rémy, il y a vingt ans que je suis curé à Boulogne; il y a quinze ans que Marianne est avec moi, et jamais, à moins d'être retenu près d'un mourant, je ne suis rentré à midi cinq minutes; aussi, à midi juste, la soupe est sur la table, et… tu comprends?..

      – Oui; ne crains rien, je ne voudrais pas inquiéter Marianne… À midi juste, tu seras chez toi.

      – Voilà qui me rassure… Mais parlons un peu de toi-même: n'est-ce pas l'uniforme de la marine que tu portes là?

      – Oui, je suis capitaine de vaisseau.

      – Comment cela se fait-il? Je te croyais avocat.

      – Vraiment?

      – Dame, en sortant du collége, ne t'étais-tu pas mis à l'étude des lois?

      – Que veux-tu, mon cher Rémy! toi, l'élu du Seigneur, tu dois mieux que personne connaître le proverbe: «L'homme propose et Dieu dispose!» C'est vrai, j'ai été reçu, en 1752, avocat au parlement de Paris.

      – Ah! je savais bien, moi! dit le bon prêtre on tirant de son bréviaire son doigt, qui indiquait la place où il en était resté de sa lecture. Ainsi, tu as été reçu avocat?

      – Oui; mais, en même temps que j'étais reçu avocat, continua

      Bougainville, je me faisais inscrire aux mousquetaires.

      – Oh! en effet, tu avais toujours eu du goût pour les armes, et surtout des dispositions pour les mathématiques.

      – Tu te rappelles cela?

      – Tiens, par exemple! N'étaîs-je pas ton meilleur ami au collége?

      – Ah! c'est bien vrai!

      – Est-ce toi ou ton frère Louis qui est de l'Académie?

      Bougainville sourit.

      – C'est mon frère, dit-il, ou plutôt c'était mon frère; car il faut que tu saches que j'ai eu le malheur de le perdre, il y a trois ans.

      – Ah! pauvre Louis… Mais, que veux-tu! nous sommes tous mortels, et il fait bon ne regarder cette vie que comme un voyage qui nous mène au port… Pardon, mon ami, il me semble que nous passons Boulogne.

      Bougainville regarda à sa montre.

      – Bah! dit-il, qu'importe! il n'est que onze heures et demie, et, par conséquent, tu as encore vingt bonnes minutes devant toi. Plus vite, postillon!

      – Comment, plus vite?

      – Puisque tu es pressé, mon ami!

      – Bougainville!..

      – Quoi! le désir de savoir ce que je suis devenu ne l'emporte pas en toi sur la crainte d'inquiéter Marianne par un retard de cinq minutes?.. Oh! le triste ami que j'ai là!

      – Tu as raison… ma foi, cinq minutes de plus ou de moins…

      Raconte-moi cela, mon cher Antoine. D'ailleurs, quand je dirai à

      Marianne que c'est pour toi et par toi que je suis en retard, elle ne grondera plus.

      – Marianne me connaît donc?

      – Si elle te connaît? Je le crois bien! Vingt fois je lui ai parlé de toi… Mais, voyons, dépêche-toi, et achève de me dire comment il se fait que, ayant