Название | A quoi tient l'amour? |
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Автор произведения | Марк Твен |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Rouillon revînt chez lui exaspéré. Il résolut d'employer les grands moyens. Il déchaîna les hommes de loi, démasqua toutes ses batteries. Fraisier perdit espoir.
Lucile restait, de son côté, aussi intraitable que Rouillon du sien; elle attendait André avec impatience.
XXI
Un matin, Fraisier voulut faire une dernière tentative auprès de
Rouillon.
«Je n'ai pas pu lui parler! dit-il en rentrant au magasin. Il ira jusqu'au bout; il ne nous fera grâce de rien.
– Dois-je me vendre à cet homme? répliqua Lucile avec énergie. Si nous en sommes là, est-ce ma faute?»
Mais subitement, elle se dressa, transfigurée, radieuse:
«André! André!» s'écria-t-elle.
Et, emportée par un irrésistible élan, elle se jeta dans les bras du jeune homme, qui venait d'apparaître sur le seuil.
«Oui, père, reprit-elle après la première effusion, oui, c'est lui que j'aime. Il nous défendra, il nous sauvera, j'en suis sûre. Je ne crains plus rien maintenant. Mais regardez donc! Il a la croix! Il a l'uniforme d'officier! Oh! que je suis heureuse! Il ne nous en avait rien dit dans sa lettre, l'égoïste! Il voulait voir notre surprise. Vite, il faut nous mettre au courant.»
André dut raconter tout au long, puis répéter et répéter encore, la suite accidentée de ses aventures militaires. Après Sedan, après les tortures subies au funèbre campement de la presqu'île d'Ige, il avait pu s'échapper, gagner la Belgique. Revenu en France, incorporé à l'armée du Nord, il avait pris part aux batailles de Villers-Bretonneux et de Pont-Noyelles, au combat d'Achier-le-Grand. Il avait été décoré et promu sous-lieutenant le 3 janvier, après la victoire de Bapaume.
Blessé au front et à l'épaule droite devant Saint-Quentin, il était retombé entre les mains de l'ennemi, et il avait été interné dans la Prusse orientale.
A son tour, il voulut savoir tout ce qui s'était passé à Verval en son absence.
«Tranquillisez-vous! dit-il à Fraisier, en apprenant les dernières manoeuvres de Rouillon, Lucile a raison de ne plus rien craindre. D'après ce que m'a montré ma mère, nous avons une fortune à présent; et je pourrai bientôt désintéresser cet homme.
– Oui, c'est la vérité, ajouta Mme Jorre, qui avait accompagné son fils. Le notaire est venu en personne, hier soir, à la maison, pour m'annoncer que, toutes informations prises, nous héritons des Moussemond. Ce malheureux Victor a été fusillé sur la côte, tandis que son père succombait dans l'incendie. Nous sommes les plus proches, et, je crois, les seuls parents qui leur survivent.
– Ne perdons pas une minute! reprit André. Monsieur Fraisier, accompagnez-moi chez Rouillon. Nous ne reviendrons pas sans l'avoir vu. Je lui donnerai ma parole, et au besoin ma signature. Il faut que ses poursuites cessent immédiatement.
XXII
Ils rencontrèrent Rouillon devant sa porte. Il rentrait chez lui. Il ne put décliner leur visite et les introduisit dans son bureau. André lui soumit l'état de la situation dressé pour Mme Jorre par le notaire et s'offrit comme caution de Fraisier.
«Mais Fraisier ne pourra jamais vous rembourser! fit Rouillon, étonné au point d'en oublier ses intérêts pécuniaires. Il est insolvable. Pourquoi le garantissez-vous?
– J'espère être bientôt de sa famille.
– Vous! Comment?
– Depuis longtemps, Mlle Lucile et moi, nous nous aimons.»
Rouillon devint livide. Un moment, il resta étourdi du coup.
«Ce n'est pas possible! dit-il enfin d'une voix rauque, les yeux braqués sur le jeune homme avec une expression farouche de stupeur et de haine. Fraisier, est-ce vrai?»
Fraisier hochait la tête sans répondre, et, le regard oblique, tournait son chapeau de paille entre ses mains.
«Vous m'avez indignement trompé!» s'écria Rouillon.
Il s'était levé, le visage menaçant. Fraisier recula.
André allait s'interposer, quand la porte s'ouvrit; un brigadier de gendarmerie parut.
«Monsieur Rouillon, dit le brigadier, j'ai le regret de vous déclarer que je vous arrête au nom de la loi. Voici le mandat; veuillez me suivre.»
Rouillon semblait ne pas comprendre. Avait-il bien entendu? Arrêté, lui!
Pourquoi?
Le brigadier tendait le papier. Il lut. C'était bien contre lui,
François Rouillon, qu'était décerné le mandat.
«Que signifie cela? demanda-t-il au gendarme.
– Vous êtes prévenu, paraît-il, d'avoir eu des intelligences avec l'ennemi et d'avoir fait fusiller trois personnes.»
Rouillon chancela, hagard, accablé. Il avait revu tout d'un coup, avec une effroyable intensité, la scène de la Villa des Roses. Là, devant lui, sur le guéridon du salon, elle luisait comme du feu, la liste des trois noms, la liste rouge; et il croyait tenir encore ce crayon qui lui brûlait les doigts. Il entendait les voix, les cris, les pas, Mme Dufriche suppliante, Madeleine entraînée brutalement, puis, sur la route, Victor Moussemond répétant aux soldats: «Je n'ai pas touché un fusil! J'aime les Allemands, c'est injuste!..»
Ainsi, cette abominable dénonciation, ce triple meurtre, aboutissait à quoi? Au mariage de Lucile avec André Jorre qu'elle aimait, avec André enrichi par son crime, à lui Rouillon, par ce crime qui maintenant, comme un monstre mal dompté, se retournait contre le criminel pour le mordre au coeur!
Il se sentait défaillir. Par un violent effort, il reprit possession de ses facultés. Était-il donc perdu sans rémission? Avait-on des preuves? C'était invraisemblable. Pourquoi les Prussiens auraient-ils témoigné contre lui? Ces réflexions rapides lui rendirent un peu de calme.
«Dès que je serai libre, dit-il à Fraisier, nous reparlerons de votre affaire. Excusez-moi; il faut que j'aille voir ce qu'on me veut. Je n'y comprends rien.»
Puis, s'adressant au brigadier:
«Je vous suis, mon brave. Il doit y avoir méprise; tout sera vite éclairci.»
XXIII
Les preuves que Rouillon croyait impossibles à produire, étaient acquises contre lui.
Tant que l'ennemi avait occupé Verval, tant que la tranquillité n'avait pas été complètement rétablie, Madeleine Cibre avait gardé son secret. Elle ne se décida pas sans trouble et sans déchirement à perdre le misérable qu'un moment elle avait aimé! Mais chaque jour, à toute heure, elle voyait la navrante douleur des braves gens qui l'avaient recueillie, sauvée, et dont le fils unique avait été victime d'une si odieuse lâcheté. Un jour elle ne put se contenir, et dit tout à M. Dufriche. Elle lui remit la pièce décisive. La justice fut saisie.
Devant le Conseil de guerre, François Rouillon eut d'abord une attitude hautaine. Il comptait sur les nombreuses personnes à qui, pendant l'invasion, il avait procuré des affaires si lucratives. Est-ce que tout le monde, sauf les enragés, ne professait pas la plus grande estime pour lui à Verval? Certes, les témoins à décharge ne lui manqueraient point.
Néant que tout cela! De la fosse où il la croyait à jamais ensevelie, la vérité se dressa, irrésistible! Madeleine, lorsqu'il lui eut reproché de le calomnier par vengeance personnelle, l'accabla sans pitié. M. et Mme Dufriche firent sur les juges une impression profonde. Maintes circonstances vinrent corroborer l'accusation.