Lucrezia Floriani. Жорж Санд

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Название Lucrezia Floriani
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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sui generis n'explique rien, et je prétends que le prince Karol de Roswald avait un caractère sui generis qu'il est possible d'expliquer.

      Il était extérieurement si affectueux, par suite de sa bonne éducation et de sa grâce naturelle, qu'il avait le don de plaire, même à ceux qui ne le connaissaient pas. Sa ravissante figure prévenait en sa faveur; la faiblesse de sa constitution le rendait intéressant aux yeux des femmes; la culture abondante et facile de son esprit, l'originalité douce et flatteuse de sa conversation lui gagnaient l'attention des hommes éclairés. Quant à ceux d'une trempe moins fine, ils aimaient son exquise politesse, et ils y étaient d'autant plus sensibles, qu'ils ne concevaient pas, dans leur franche bonhomie, que ce fût l'exercice d'un devoir, et que la sympathie y entrât pour rien.

      Ceux-là, s'ils eussent pu le pénétrer, auraient dit qu'il était plus aimable qu'aimant; et, en ce qui les concernait, c'eût été vrai. Mais comment eussent-ils deviné cela, lorsque ses rares attachements étaient si vifs, si profonds et si peu récusables?

      Ainsi donc, on l'aimait toujours, sinon avec la certitude, du moins avec l'espoir d'être payé de quelque retour. Ses jeunes compagnons, le voyant faible et paresseux dans les exercices du corps ne songeaient pas à dédaigner cette nature un peu infirme, parce que Karol ne s'en faisait point accroire sous ce rapport. Lorsque, s'asseyant doucement sur l'herbe, au milieu de leurs jeux, il leur disait avec un triste sourire: «Amusez-vous, chers compagnons; je ne puis ni lutter, ni courir; vous viendrez vous reposer près de moi.» Comme la force est naturellement protectrice de la faiblesse, il arrivait que, parfois, les plus robustes renonçaient généreusement à leur ardente gymnastique, et venaient lui faire compagnie.

      Parmi tous ceux qui étaient charmés et comme fascinés par la couleur poétique de ses pensées et la grâce de son esprit, Salvator Albani fut toujours le plus assidu. Ce bon jeune homme était la franchise même; et, pourtant, Karol exerçait sur lui un tel empire qu'il n'osait jamais le contredire ouvertement, lors même qu'il remarquait de l'exagération dans ses principes et de la bizarrerie dans ses habitudes. Il craignait de lui déplaire et de le voir se refroidir à son égard, comme cela était arrivé pour tant d'autres. Il le soignait comme un enfant, lorsque Karol, plus nerveux et impressionnable que réellement malade, se retirait dans sa chambre pour dérober aux yeux de sa mère son malaise, dont elle se tourmentait trop. Salvator Albani était donc devenu nécessaire au jeune prince. Il le sentait, et lorsqu'une ardente jeunesse le sollicitait de se distraire ailleurs, il sacrifiait ses plaisirs ou il les cachait avec une généreuse hypocrisie, se disant à lui-même que si Karol venait à ne plus l'aimer, il ne souffrirait plus ses soins, et tomberait dans une solitude volontaire et funeste. Ainsi Salvator aimait Karol pour le besoin que ce dernier avait de lui, et il se faisait, par une étrange miséricorde, le complaisant de ses théories opiniâtres et sublimes. Il admirait avec lui le stoïcisme, et, au fond, il était ce qu'on appelle un épicurien. Fatigué d'une folie de la veille, il lisait à son chevet un livre ascétique. Il s'enthousiasmait naïvement à la peinture de l'amour unique, exclusif, sans défaillance et sans bornes, qui devait remplir la vie de son jeune ami. Il trouvait réellement cela superbe, et pourtant il ne pouvait se passer d'intrigues amoureuses, et il lui cachait le chiffre de ses aventures.

      Cette innocente dissimulation ne pouvait durer qu'un certain temps, et peu à peu Karol découvrit avec douleur que son ami n'était pas un saint. Mais lorsque arriva cette épreuve redoutable, Salvator lui était devenu si nécessaire, et il avait été forcé de lui reconnaître tant d'éminentes qualités de cœur et d'esprit, qu'il lui fallut bien continuer a l'aimer; beaucoup moins, à la vérité, qu'auparavant, mais encore assez pour ne pouvoir se passer de lui. Néanmoins il ne put jamais prendre son parti sur ses escapades de jeunesse, et cette affection, au lieu d'être un adoucissement à sa tristesse habituelle, devint douloureuse comme une blessure.

      Salvator, qui redoutait la sévérité de la princesse de Roswald encore plus que celle de Karol, lui cacha le plus longtemps possible ce que Karol avait découvert avec tant d'effroi. Une longue et douloureuse maladie à laquelle elle succomba, contribua aussi à la rendre moins clairvoyante dans ses dernières années; et lorsque Karol la vit froide sur son lit de mort, il tomba dans un tel accablement de désespoir, que Salvator reprit sur lui tout son empire, et fut seul capable de le faire renoncer au dessein de se laisser mourir.

      C'était la seconde fois que Karol voyait la mort frapper à ses côtés l'objet de ses affections. Il avait aimé une jeune personne qui lui était destinée. C'était l'unique roman de sa vie, et nous en parlerons en temps et lieu. Il n'avait plus rien à aimer sur la terre que Salvator. Il l'aima; mais toujours avec des restrictions, de la souffrance, et une sorte d'amertume, en songeant que son ami n'était pas susceptible d'être aussi malheureux que lui.

      Six mois après cette dernière catastrophe, la plus sensible et la plus réelle des deux, à coup sûr, le prince de Roswald parcourait l'Italie, en chaise de poste, emporté malgré lui, dans un tourbillon de poussière embrasée, par son courageux ami. Salvator avait besoin de plaisirs et de gaieté; pourtant il sacrifia tout à celui qu'on appelait devant lui son enfant gâté. Quand on lui disait cela, «dites mon enfant chéri, répondait-il; mais tout choyé que Roswald ait été par sa mère et par moi, son cœur ni son caractère ne se sont gâtés. Il n'est devenu ni exigeant, ni despote, ni ingrat, ni maniaque. Il est sensible aux moindres attentions, et reconnaissant plus qu'il ne faut de mon dévouement.»

      Cela était généreux à reconnaître, mais cela était vrai. Karol n'avait point de petits défauts. Il en avait un seul, grand, involontaire et funeste, l'intolérance de l'esprit. Il ne dépendait pas de lui d'ouvrir ses entrailles à un sentiment de charité générale pour élargir son jugement à l'endroit des choses humaines. Il était de ceux qui croient que la vertu est de s'abstenir du mal, et qui ne comprennent pas ce que l'Évangile, qu'ils professent strictement d'ailleurs, a de plus sublime, cet amour du pécheur repentant qui fait éclater plus de joie au ciel que la persévérance de cent justes, cette confiance au retour de la brebis égarée; en un mot, cet esprit même de Jésus, qui ressort de toute sa doctrine et qui plane sur toutes ses paroles: à savoir que celui qui aime est plus grand, lors même qu'il s'égare, que celui qui va droit, par un chemin solitaire et froid.

      Dans le détail de la vie, Karol était d'un commerce plein de charmes. Toutes les formes de la bienveillance prenaient chez lui une grâce inusitée, et quand il exprimait sa gratitude, c'était avec une émotion profonde qui payait l'amitié avec usure. Même dans sa douleur, qui semblait éternelle, et dont il ne voulait pas prévoir la fin, il portait un semblant de résignation, comme s'il eût cédé au désir que Salvator éprouvait de le conserver à la vie.

      Par le fait, sa santé délicate n'était pas altérée profondément, et sa vie n'était menacée par aucune désorganisation sérieuse; mais l'habitude de languir et de ne jamais essayer ses forces, lui avait donné la croyance qu'il ne survivrait pas longtemps à sa mère. Il s'imaginait volontiers qu'il se sentait mourir chaque jour, et, dans cette pensée, il acceptait les soins de Salvator et lui cachait le peu de temps qu'il jugeait devoir en profiter. Il avait un grand courage extérieur, et s'il n'acceptait pas, avec l'insouciance héroïque de la jeunesse, l'idée d'une mort prochaine, il en caressait du moins l'attente avec une sorte d'amère volupté.

      Dans cette persuasion, il se détachait chaque jour de l'humanité, dont il croyait déjà ne plus faire partie. Tout le mal d'ici-bas lui devenait étranger. Apparemment, pensait-il, Dieu ne lui avait pas donné mission de s'en inquiéter et de le combattre, puisqu'il lui avait compté si peu de jours à passer sur la terre. Il regardait cela comme une faveur accordée aux vertus de sa mère, et, quand il voyait la souffrance attachée comme un châtiment aux vices des hommes, il remerciait le ciel de lui avoir donné la souffrance sans la chute, comme une épreuve qui devait le purifier de toute la souillure du péché originel. Il s'élançait alors en imagination vers l'autre vie, et se perdait dans des rêves mystérieux. Au fond de tout cela, il y avait la synthèse du dogme catholique; mais, dans les détails, son cerveau de poète se donnait carrière. Car il faut bien le dire, si ses instincts et ses principes de conduite étaient absolus, ses croyances religieuses étaient fort vagues; et c'était là l'effet d'une éducation toute de sentiment et d'inspiration, où le travail aride de l'examen,