Название | Jacques |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Après tout, ce mariage ne l'enrichira pas; elle a projet de vivre au Tilly, et de me laisser partir pour le Dauphiné avec mon mari; ainsi elle n'a aucun intérêt personnel dans cette affaire. Elle croit que l'argent est le premier des biens, et tous ses efforts tendent, non à l'acquérir, mais à me le procurer. Puis-je lui faire un crime de s'occuper de mon bonheur à sa manière et selon ses idées?
Quant à moi, je me suis examinée sévèrement, et je t'assure que la vanité ne m'influence en rien. J'avais tellement peur de m'aveugler à cet égard, que, ce matin, après avoir relu ta lettre, j'ai eu envie de quereller un peu Jacques, afin d'éprouver mon amour et le sien. J'ai attendu que ma mère nous eût laissés seuls au piano comme elle fait toujours après le déjeuner. Alors j'ai cessé de chanter pour lui dire brusquement: «Savez-vous, Jacques, que je suis bien jeune pour vous? – J'y ai pensé, m'a-t-il dit avec la figure tranquille qu'il a toujours Est-ce que vous n'y aviez pas pensé encore? – C'eût été difficile, lui ai-je répondu, je ne savais pas votre âge – En vérité!» s'est-il écrié, et il est devenu plus pâle que de coutume. J'ai senti que je lui faisais de la peine, et je me suis repentie tout de suite. Il a ajouté: «J'aurais dû prévoir que votre mère ne vous le dirait pas; et pourtant je l'avais chargée de vous faire songer à la différence de nos âges. Elle m'a dit l'avoir fait; elle m'a dit que vous étiez bien aise de trouver en moi un père en même temps qu'un amant. – Un père! ai-je répondu; non, Jacques, je n'ai pas dit cela.» Jacques a souri, et, me baisant au front, il s'est écrié: «Tu es franche comme une sauvage; je t'aime à la folie, tu seras ma fille chérie; mais si tu crains qu'en devenant ton père, je ne devienne ton maître, je ne t'appellerai ma fille que dans le secret de mon coeur. Cependant, a-t-il dit un instant après en se levant, il est possible que je sois trop vieux pour toi. Si tu le trouves, je le suis en effet. – Non, Jacques! non! ai-je répondu vivement en me levant aussi. – Ne t'abuse pas, a-t-il repris, j'ai trente-cinq ans, dix-huit belles années de plus que toi. Est-ce que vous ne vous ne vous en étiez jamais aperçue? Est-ce que cela ne se lit pas sur mon visage? – Non; la première fois que je vous ai vu, j'ai cru que vous aviez vingt-cinq ans, et depuis, je vous en ai toujours donné trente. – Vous ne n'avez donc jamais regardé, Fernande? Regardez-moi bien, je le veux; je détournerai les yeux pour ne pas vous intimider.» Il m'a attirée vers lui et a détourné les yeux en effet. Alors je l'ai examiné avec attention, et j'ai découvert qu'il y avait au-dessous des paupières et au coin de la bouche quelques rides imperceptibles, et sur ses tempes quelques cheveux blancs mêlés à une forêt de cheveux noirs; c'est là tout. «Voilà toute la différence d'un homme de trente-cinq ans à un homme de trente!» me suis-je dit; et je me suis mise à rire de cette idée qu'il avait de se faire regarder. «Je vais vous dire la vérité, lui ai-je dit: votre figure, telle qu'elle est, me plaît beaucoup mieux que la mienne; mais je crains que cette différence d'âge ne se fasse sentir dans votre caractère.» Alors j'ai tâché de lui exposer tous les doutes que renferme ta lettre, comme s'ils venaient du moi. Il m'a écoutée avec beaucoup d'attention et avec une sérénité de visage qui m'avait déjà rassurée avant qu'il me parlât. Quand j'ai eu tout dit, il m'a répondu: «Fernande, deux caractères semblables ne se rencontrent jamais; l'âge n'y fait rien; à quinze ans j'étais beaucoup plus vieux que vous sous de certains rapports, et sous d'autres, je suis encore aujourd'hui plus jeune que vous. Nous différons sur beaucoup de points, je n'en doute pas; mais vous aurez moins à souffrir de cela avec moi qu'avec tout autre. Est-ce que vous ne le croyez pas?» Que voulais-tu que je répondisse? Du moment qu'il me le dit, je le crois en effet: il a l'air si sûr de son fait! Ah! Clémence, il est possible qu'il me trompe ou qu'il se trompe lui-même, mais il est impossible que je me trompe aussi sur l'amour que j'ai pour lui; non, ce n'est pas le besoin d'aimer d'une petite pensionnaire. J'ai vu d'autres hommes avant lui, et nul ne m'a inspiré de sympathie. La maison d'Eugénie est toujours pleine d'hommes plus jeunes, plus gais, plus brillants et plus beaux peut-être que Jacques; je n'ai jamais désiré d'être la femme d'aucun de ceux-là. Je ne me jette pas en aveugle dans les séductions d'une position nouvelle. Tes lettres me font beaucoup d'effet; je les commente, je les apprends par coeur, j'en applique à chaque instant un passage aux entraînements de mon amour, et je vois que la prudence est inutile, que la raison est impuissante. J'aperçois les dangers où cet amour peut me précipiter, et la crainte d'être malheureuse avec Jacques ne m'ôte pas le désir de passer ma vie près de lui.
Tu dis que deux amis seulement m'ont dit du bien de Jacques. Je vais te raconter la conversation qui eut lieu à Cenay, chez les Borel, il y a quelques jours. Il y avait là cinq ou six compagnons d'armes de M. Borel; Jacques avait l'air un peu plus sérieux que de coutume, mais sa figure et ses manières exprimaient toujours la même tranquillité d'âme. Il prit une tasse de café, et fit quelques tours de promenade dans l'appartement, sans rien dire. «Eh bien, Jacques, comment vous trouvez-vous? lui demanda Eugénie. – Mieux, répondit-il d'un air doux. – Il a donc été malade?» demandai-je étourdiment. Je vis tous les regards de ces messieurs se tourner vers moi, et un certain sourire de bienveillance, un peu moqueuse peut-être, sur tous les visages. Je sentis que je devenais rouge, mais cela m'était égal; j'étais inquiète de Jacques, je réitérai ma question. «J'ai eu quelques douleurs de tête, répondit-il en me remerciant par un regard affectueux, mais ce n'est rien du tout, et ne vaut pas la peine qu'on s'en occupe.» On parla d'autre chose, et il sortit. «Je crains que Jacques ne soit réellement malade, dit Eugénie on le regardant s'éloigner. – Mais il faudrait savoir s'il n'a pas besoin de soins, dit ma mère en affectant beaucoup d'intérêt. – Oh! il faut surtout le laisser tranquille, dit M. Borel brusquement; il ne peut pas supporter qu'on s'occupe de lui quand il souffre. – Parbleu! il a de quoi souffrir, dit un de ces messieurs; il a sur la poitrine deux ou trois belles blessures qui auraient tué tout autre que lui. – Il en souffre rarement, dit Eugénie; mais je crains qu'aujourd'hui il n'ait beaucoup souffert. – Qui est-ce qui peut jamais savoir si Jacques souffre? reprit M. Borel. Est-ce que Jacques est fait de chair humaine? – Je crois bien que oui, dit un vieux capitaine de dragons; mais je crois que c'est l'âme d'un diable qui est dans ce corps-là. – C'est l'âme d'un ange plutôt, dit Eugénie. – Ah! voilà madame Borel qui parle comme les autres, reprit le vieux capitaine; je ne sais pas ce que Jacques chante à l'oreille des femmes, mais elles ne parlent jamais de lui que comme d'un chérubin; et nous, pauvres pécheurs, on publie nos vertus civiles et militaires. ( Ceci est une plaisanterie favorite du capitaine.) – Oh! pour moi, dit Eugénie, je professe une espèce de religion pour notre Jacques, et mon mari l'ordonne ainsi à tous ceux qui sont ici.» On m'adressa indirectement quelques épigrammes affectueuses, qui avaient la meilleure volonté du monde de me faire plaisir, mais qui m'embarrassèrent un peu. Je pris le bras de mademoiselle Regnault, et je sortis comme pour faire un tour de jardin; mais je lui confessai que je mourais d'envie d'entendre le reste de la conversation sur Jacques, et elle me conduisit près d'une fenêtre d'où l'on entend tout ce qui se dit dans le salon. J'entendis la voix de M. Borel, et je compris qu'il parlait à un de ces messieurs qui ne connaît Jacques que très-peu. «Vous voyez bien la figure pâle et l'air distrait de Jacques, disait-il, Je ne sais pas si vous avez fait attention à ce petit chantonnement qu'il fait dans sa barbe quand il charge sa pipe, ou quand il taille son crayon pour dessiner? Eh bien! quand il souffre beaucoup, tous ses témoignages de douleur et d'impatience se réduisent à cette petite chanson. Je la lui ai entendu faire en plusieurs occasions où je n'avais pas envie de chanter. A Smolensk, quand on m'a amputé deux doigts du pied, et quand on lui a retiré deux balles qui s'étaient proprement logées entre deux de ses côtes, moi je jurais comme un damné, M. Jacques chantonnait.» Ici M. Borel se mit à imiter parfaitement le petit Lila Burello de Jacques. Ces messieurs se mirent à rire. Quant à moi, l'image que ce récit m'avait fait passer devant les yeux, Jacques sanglant, chantant sous le fer du chirurgien, m'avait donné une sueur froide, et je vis bien encore, à cette impression-là, que j'aime Jacques; car j'étais bien indifférente aux douleurs de M. Borel, et tandis qu'Eugénie sans doute frémissait en y pensant, il m'était absolument égal qu'il eût deux ou trois doigts de plus ou de moins au pied.
«Vous souvenez-vous, dit une autre voix, de l'arrivée de Jacques au régiment, la veille de***? – Ah! brave Jacques! il avait seize ans, dit