Название | Jacques |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
XII.
De SYLVIA A JACQUES
Va donc où t'emporte ta destinée! J'aime mieux cette lettre-ci que l'autre: elle est franche, du moins. Ce que je crains le plus, c'est de te voir retomber dans les illusions de ta jeunesse. Mais si tu abordes hardiment le péril, si tu vois clair à les pieds, tu franchiras peut-être l'abîme. Qui sait ce qui peut vaincre le courage d'un homme? Tu es las de disputer lentement la partie, et tu joues tout ton avenir sur un dernier coup de dés. Si tu perds, souviens-toi qu'il te reste un coeur ami pour t'aider à supporter le reste de ta vie, ou pour te tenir compagnie, si tu veux t'en débarrasser.
Tu me dis de te parler de moi, et tu me reproches de garder un dédaigneux silence. Sais-tu pourquoi, Jacques, j'envisage si sévèrement la nouvelle phase d'amour où entre ta destinée? Sais-tu pourquoi j'ai peur, pourquoi je t'ai averti du danger, pourquoi je te vois d'un oeil sombre marcher à sa rencontre? Tu ne l'as pas deviné? C'est que moi aussi je suis perdue sur cette mer orageuse; moi aussi je m'abandonne au destin, et je place tout ce qui me reste de force et d'espoir sur le hasard d'un chiffre. Octave est ici; je l'ai vu, je lui ai pardonné.
J'ai fait une grande faute en ne prévoyant pas qu'il viendrait. J'ai arrangé toute ma situation pour oublier son absence, et non pour combattre son retour. Il est venu, j'ai été surprise; la joie a été plus forte que la raison.
Je parle de joie! et toi aussi tu en parles. Quelle joie que la nôtre! Sombre comme la flamme de l'incendie, sinistre comme les derniers rayons du soleil qui perce les nues avant la tempête! Nous joyeux! quelle dérision! Oh! quels êtres sommes-nous, et pourquoi voulons-nous toujours vivre la même vie que les autres?
Je sais que l'amour seul est quelque chose, je sais qu'il n'y a rien outre sur la terre. Je sais que ce serait une lâcheté que de le fuir par crainte des douleurs qui l'expient; mais vraiment, quand on voit si bien sa marche et ses résultats, peut-on goûter des joies bien pures? Pour moi, cela m'est impossible. Il y a des moments où je m'échappe des bras d'Octave avec haine et avec terreur, parce que je vois dans le rayonnement de son front l'arrêt de mon futur désespoir. Je sais que son caractère n'a aucun rapport avec le mien; je sais qu'il est trop jeune pour moi, je sais qu'il est bon sans être vertueux, affectueux, mais incapable de passion; je sais qu'il ressent l'amour assez fortement pour commettre toutes les fautes, mais pas assez pour faire quelque chose de grand. Enfin je ne l'estime pas, dans l'acception particulière que toi et moi donnons à ce mot.
Quand j'ai commencé à l'aimer, j'ai chéri en lui cette faiblesse qui me fait souffrir maintenant. Je n'ai pas prévu qu'elle me révolterait bientôt. En vérité, j'ai fait ce que tu fais sans doute à présent. J'ai trop compté sur la générosité de mon amour. Je me suis imaginé que, plus il avait besoin d'appui et de conseil, plus il me deviendrait cher en recevant tout de moi; que le plus heureux, le plus noble amour d'une femme pour un homme devait ressembler à la tendresse d'une mère pour son enfant. Hélas! j'avais tant cherché la force, et mes tentatives avaient été si déplorables! En croyant m'appuyer sur des êtres plus grands que moi, je m'étais sentie si durement repoussée par un froid de glace! Je me disais: La force chez les hommes, c'est l'insensibilité; la grandeur; c'est l'orgueil; le calme, c'est l'indifférence. J'avais pris le stoïcisme en aversion après lui avoir voué un culte insensé. Je me disais que l'amour et l'énergie ne peuvent habiter ensemble que dans des coeurs froissés et désolés comme le mien, que la tendresse et la douceur étaient le baume dont j'avais besoin pour me guérir, et que je les trouverais dans l'affection de cette âme ingénue. Qu'importe, pensai-je, qu'il sache ou non supporter la douleur? Avec moi, il n'aura pas à la connaître. Je prendrai sur moi tout le poids de la vie. Son unique affaire sera de me bénir et de m'aimer.
C'était là un rêve comme les autres; je n'ai pas tardé à souffrir de cette erreur, et à reconnaître que si, dans l'amour, un caractère devait être plus fort que l'autre, ce ne devait pas être celui de la femme. Il faudrait du moins qu'il y eût quelque compensation; ici il n'y en a pas. C'est moi qui suis l'homme; ce rôle me fatigue le coeur, au point que je deviens faible moi-même par dégoût de la force.
Et pourtant il y a de bien belles choses dans le coeur de cet enfant! Quels trésors de sensibilité, quelle pureté de moeurs, quelle foi naïve dans le coeur d'autrui et dans le sien propre! Je l'aime parce que je ne connais pas d'homme meilleur. Celui qui est à part de tous les autres ne m'inspire et ne ressent pour moi que de l'amitié. – L'amitié, c'est une sorte d'amour aussi, immense et sublime en de certains moments, mais insuffisante, parce qu'elle ne s'occupe que des malheurs sérieux et n'agit que dans les grandes et rares occasions. La vie de tous les jours, cette chose si odieuse et si pesante dans la solitude, cette succession continuelle de petites douleurs fastidieuses que l'amour seul peut changer en plaisirs, l'amitié dédaigne de s'en occuper. Vous êtes capable, comme vous le dites fort bien, de tout quitter pour venir me tirer d'une situation malheureuse et de courir d'un bout du monde à l'autre pour me rendre un service; mais vous n'êtes pas capable de passer huit jours tranquilles avec moi, sans penser à Fernande, qui vous aime et vous attend. Et cela doit être ainsi, car pour moi c'est la même chose. Je sacrifierais tout mon amour pour vous sauver d'un malheur, je n'en détacherais pas une parcelle pour vous préserver d'une contrariété. Il semble donc que la vie doive être divisée en deux parts: l'intimité avec l'amour, le dévouement avec l'amitié. Mais j'ai beau faire pour me persuader que je suis contente de cet arrangement, j'ai beau me répéter que Dieu m'a servie avec prodigalité en me donnant un amant comme Octave et un ami comme vous; je trouve l'amour bien puéril et l'amitié bien austère. Je voudrais avoir pour Octave la vénération que j'ai pour vous, sans perdre la douce tendresse et la vive sollicitude que j'ai pour lui. Rêve insensé! Il faut accepter la vie comme Dieu l'a faite. C'est difficile, Jacques, bien difficile!
XIII.
DE FERNANDE A CLÉMENCE
Ne m'écris pas, ne me réponds pas. Ne me parle plus de prudence, et ne cherche plus à me mettre en garde contre le danger. C'est fini; je m'y jette les yeux bandés. J'aime: est-ce que je suis capable de voir clair à quelque chose! Il en sera ce que Dieu voudra. Qu'importe, après tout, que je sois heureuse ou non? Suis-je donc un être si précieux, pour que nous nous en occupions tant? Et à quoi mènent toutes les prévisions? Elles n'empêchent pas qu'on se risque, et elles font qu'on se risque lâchement. Ne me décourage donc plus, ne me parle plus de Jacques, mais laisse-moi t'en parler toujours.
Hier il est venu me surprendre dans le parc. J'étais assise sur un banc; j'avais la tête dans mes deux mains, et je pleurais. Il a voulu savoir la cause de mon chagrin, et il s'est mis en colère parce que je refusais de parler. Mais quelle colère! Il me prenait dans ses bras et me serrait avec tant de force qu'il me faisait mal, et pourtant je n'avais ni peur ni ressentiment de le voir me brutaliser ainsi. Il me secouait la main d'un air d'autorité, en me disant: «Parle donc, je veux que tu parles, réponds-moi tout de suite; qu'as-tu?» Et moi, qui déteste le commandement, j'ai eu du plaisir à entendre le sien. Le coeur m'a bondi de joie, comme lorsqu'il m'a tutoyée pour la première fois, en me faisant traverser un ruisseau et me disant: «Saute donc, peureuse!» Oh! bien plus cette fois! Ce que j'ai ressenti, Clémence, est inexplicable. Tout mon coeur a été au-devant du sien, comme un esclave qui se jetterait aux pieds de son maître, ou comme un enfant dans le sein de sa mère. Ces choses-là ne peuvent pas tromper; je sens que je l'aime, parce que je dois l'aimer, parce qu'il le mérite, parce que Dieu ne permettrait pas que j'éprouvasse cette confiance et cet entraînement pour un méchant homme. Pressée par ses questions, je lui ai parlé de ma conversation avec le capitaine Jean, et de l'effroi insurmontable qu'il m'avait laissé. «Ah! en effet, m'a-t-il dit, je voulais te parler des craintes auxquelles tu t'abandonnes et des questions que tu as faites à Borel et à sa femme. Cela m'embarrassait un peu; que puis-je te dire? que les reproches de Borel ne sont pas fondés, que les histoires du capitaine sont fausses? Il m'est impossible de mentir. Il est vrai que j'ai des défauts très-graves, et que j'ai fait beaucoup de folies.