André. Жорж Санд

Читать онлайн.
Название André
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

parfois le gémissement douloureux et colère de la petite Fenella. Du sein des nuages, les soupirs éloignés des vierges hébraïques de Byron répondaient à ces belles voix de la terre, tandis que la grande et pâle Clarisse, assise sur la mousse, s'entretenait gravement à l'écart avec Julie, et que Virginie enfant jouait avec les brins d'herbe du rivage. Quelquefois un choeur de bacchantes traversait l'air et emportait ironiquement les douces mélodies. André, pâle et tremblant, les voyait passer, fantasques, méchantes et belles, écrasant sans pitié les fleurs du rivage sous leurs pieds nus, effarouchant les tranquilles oiseaux endormis dans les saules, et trempant leurs couronnes de pampres dans les eaux pour les secouer moqueusement à la figure du jeune rêveur. André s'éveillait de sa vision triste et découragé. Il se reprochait de les avoir trouvées belles et d'avoir eu envie un instant de suivre leur trace, semée de fleurs et de débris. Il évoquait alors ses divins fantômes, ses types chéris de sentiment et de pureté. Il les voyait redescendre vers lui dans leurs longues robes blanches et lui montrer au fond de l'onde une image fugitive qu'il s'efforçait en vain d'attirer et de saisir.

      Cette ombre mystérieuse et vague qu'il voyait flotter partout, c'était son amante inconnue, c'était son bonheur futur; mais toutes les réalités différaient tellement de sa beauté idéale, qu'il désespérait souvent de la rencontrer sur la terre, et se mettait à pleurer en murmurant, dans son angoisse, des paroles incohérentes. Son père le crut fou bien des fois, et faillit envoyer chercher le médecin pour l'avoir entendu crier au milieu de la nuit: – Où es-tu? es-tu née seulement? ne suis-je pas venu trop tôt ou trop tard pour te rencontrer sur la terre? Et vingt autres folies que le bonhomme traita de billevesées des qu'il se fut bien assuré que son fils n'avait pas attrapé de coup de soleil dans la journée.

      Un soir que le jeune homme s'était attardé dans les Prés-Girault, c'était le nom de sa chère retraite, il lui sembla voir passer à quelque distance une forme réelle; autant qu'il put la distinguer, c'était une taille déliée avec une robe blanche. Elle semblait voltiger sur la pointe des joncs, tant elle courait légèrement! Cette vision ne dura qu'un instant et disparut derrière un massif de trembles. André s'était arrêté stupéfait, et son coeur battait si fort qu'il lui eût été impossible de faire un pas pour la suivre. Quand il en eut retrouvé la force, il s'aperçut que la rivière, qui coulait à fleur de terre et formait cent détours dans la prairie, le séparait du massif. Il lui fallut faire beaucoup de chemin pour rencontrer un de ces petits ponts que les gardeurs de troupeaux construisent eux-mêmes avec des branches entrelacées et de la terre; enfin il atteignit le massif et n'y trouva personne. L'ombre était devenue si épaisse qu'il était impossible de voir à dix pas devant soi. Il revint, tout pensif et tout ému, s'asseoir devant le souper de son père; mais il dormit moins encore que de coutume, et retourna aux Prés-Girault le lendemain. Rien n'en troublait la solitude, et il craignit d'être devenu assez fou pour qu'une de ses fictions ordinaires lui fût apparue comme une chose réelle.

      Le jour suivant, à force d'explorer les bords de la rivière, il trouva un petit gant de fil blanc très fin, tricoté à l'aiguille avec des points à jour très artistement travaillés, et qui semblait avoir servi à arracher des herbes, car il était taché de vert.

      André le prit, le baisa mille fois comme un fou, l'emporta sur son coeur et en devint amoureux, sans songer que le prince Charmant, épris d'une pantoufle, n'était pas un rêveur beaucoup plus ridicule que lui.

      Huit jours s'étaient passés sans qu'il trouvât aucune autre trace de cette apparition. Un matin il arriva lentement, comme un homme qui n'espère plus, et, s'appuyant contre un arbre, il se mit à lire un sonnet de Pétrarque.

      Tout à coup une petite voix fraîche sortit des roseaux et chanta deux vers d'une vieille romance:

      Puis, tout après, je vis dame d'amour

      Qui marchait doux et venait sur la rive.

      André tressaillit, et, se penchant, il vit à vingt pas de lui une jeune fille habillée de blanc, avec un petit châle couleur arbre de Judée et un mince chapeau de paille. Elle était debout et semblait absorbée dans la contemplation d'un bouquet de fleurs des champs qu'elle avait à la main. André eut l'idée de s'élancer vers elle pour la mieux voir; mais elle vint de son côté, et il se sentit tellement intimidé qu'il se cacha dans les buissons. Elle arriva tout auprès de lui sans s'apercevoir de sa présence, et se mit à chercher d'autres fleurs. Elle erra ainsi pendant près d'un quart d'heure, tantôt s'éloignant, tantôt se rapprochant, explorant tous les brins d'herbe de la prairie et s'emparant des moindres fleurettes. Chaque fois qu'elle en avait rempli sa main, elle descendait sur une petite plage que baignait la rivière, et plantait son bouquet dans le sable humide pour l'empêcher de se faner. Quand elle en eut fait une botte assez grosse, elle la noua avec des joncs, plongea les tiges à plusieurs reprises dans le courant de l'eau pour en ôter le sable, les enveloppa de larges feuilles de nymphoea pour en conserver la fraîcheur, et, après avoir rattaché son petit chapeau, elle se mit à courir, emportant ses fleurs, comme une biche poursuivie. André n'osa pas la suivre; il craignit d'avoir été aperçu et de l'avoir mise en fuite. Il espéra qu'elle reviendrait, mais elle ne revint plus. Il retourna inutilement aux Prés-Girault pendant toute la belle saison. L'hiver vint, et, à chaque fleur que le froid moissonna, André perdit l'espérance de voir revenir sa belle chercheuse de bleuets.

      Mais cette matinée romanesque avait suffi pour le rendre amoureux. Il en devint maigre à faire trembler, et son père, qui jusque-là avait craint de lui voir chercher ses distractions dans les villes environnantes, fut assez inquiet de sa mélancolie pour l'engager à courir un peu les bals et les divertissements de la province.

      André éprouvait désormais une grande répugnance pour tout ce qui ne se renfermait pas dans le cercle de ses rêveries et de ses promenades solitaires; néanmoins il chercha son inconnue dans les fêtes et dans les réunions d'alentour. Ce fut en vain: toutes les femmes qu'il vit lui semblèrent si inférieures à son inconnue, que, sans le gant qu'il avait trouvé, il aurait pris toute cette aventure pour un rêve.

      Ce fut sans doute un malheur pour lui de se retrancher dans sa fantaisie comme dans un fort inexpugnable, et de fermer les yeux et les oreilles à toutes les séductions de l'oubli. Il aurait pu trouver une femme plus belle que son idéale, mais elle l'avait fasciné. C'était la première, et par conséquent la seule dans son imagination. Il s'obstina à croire que sa destinée était d'aimer celle-là, que Dieu la lui avait montrée pour qu'il en gardât l'empreinte dans son âme et lui restât fidèle jusqu'au jour où elle lui serait rendue. C'est ainsi que nous nous faisons nous-mêmes les ministres de la fatalité.

      Ce fut surtout vers la petite ville de L… qu'il dirigea ses recherches. Mais en vain il vit pendant plusieurs dimanches, l'élite de la société se rassembler dans un salon de bourgeoises précieuses et beaux-esprits, il n'y trouva pas celle qu'il cherchait. Ce qui rendait cette découverte bien plus difficile, c'est que, par suite d'un sentiment appréciable seulement pour ceux qui ont nourri leurs premières amours de rêveries romanesques, André ne put jamais se décider à parler à qui que ce fût de la rencontre qu'il avait faite et de l'impression qu'il en avait gardée. Il aurait cru trahir une révélation divine, s'il eût confié son bonheur et son angoisse à des oreilles profanes. Or, il est bien certain qu'il n'avait aucun ami qui lui ressemblât, et que tous ses jeunes compatriotes se fussent moqués de sa passion, sans en excepter Joseph Marteau, celui qu'il estimait le plus.

      Joseph Marteau était fils d'un brave notaire de village. Dans son enfance il avait été le camarade d'André, autant qu'on pouvait être le camarade de cet enfant débile et taciturne. Joseph était précisément tout l'opposé: grand, robuste, jovial, insouciant, il ne sympathisait avec lui que par une certaine élévation de caractère et une grande loyauté naturelle. Ces bons côtés étaient d'autant plus sensibles que l'éducation n'avait guère rien fait pour les développer. Le manque d'instruction solide perçait dans la rudesse de ses goûts. Étranger à toutes les délicatesses d'idées qui caractérisaient le jeune marquis, il y suppléait par une conversation enjouée. Sa bonne et franche gaieté lui inspirait de l'esprit, ou au moins lui en tenait lieu, et il était la seule personne au monde qui pût faire rire le mélancolique André.

      Depuis deux