André. Жорж Санд

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Название André
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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s'élançait pour réparer sa faute, dansait une autre figure et embrouillait toute la contredanse, aux grands éclats de rire des jeunes filles. Geneviève seule ne se moquait pas de lui; elle était silencieuse et réservée. Cependant elle regardait André avec assez de bienveillance; car il avait bien parlé sur la botanique, et cela devait abréger de beaucoup les timides préliminaires de leur connaissance. Mais si André avait osé se mêler à la conversation et s'adresser à elle d'une manière générale, il n'en était plus de même lorsqu'il s'agissait de lui dire quelques mots directement. Cette excessive timidité diminuait d'autant celle de Geneviève; car elle était fière et non prude. Elle craignait les grosses fadeurs qu'elle entendait adresser à ses compagnes; mais en bonne compagnie elle se fût sentie à l'aise comme dans son élément.

      Il y a des natures choisies qui se développent d'elles-mêmes, et dans toutes ces positions où il plaît au hasard de les faire naître. La noblesse du coeur est, comme la vivacité d'esprit, une flamme que rien ne peut étouffer, et qui tend sans cesse à s'élever, comme pour rejoindre le foyer de grandeur et de bonté éternelle dont elle émane. Quels que soient les éléments contraires qui combattent ces destinées élues, elles se font jour, elles arrivent sans effort à prendre leur place, elles s'en font une au milieu de tous les obstacles. Il y a sur leur front comme un sceau divin, comme un diadème invisible qui les appelle à dominer naturellement les essences inférieures; on ne souffre pas de leur supériorité, parce qu'elle s'ignore elle-même; on l'accepte parce qu'elle se fait aimer. Telle était Geneviève, créature plus fraîche et plus pure que les fleurs au milieu desquelles s'écoulait sa vie.

      On dit que la poésie se meurt: la poésie ne peut pas mourir. N'eût-elle pour asile que le cerveau d'un seul homme, elle aurait encore des siècles de vie, car elle en sortirait comme la lave du Vésuve, et se fraierait un chemin parmi les plus prosaïques réalités. En dépit de ses temples renversés et des faux dieux adorés sur leurs ruines, elle est immortelle comme le parfum des fleurs et la splendeur des cieux. Exilée des hauteurs sociales, répudiée par la richesse, bannie des théâtres, des églises et des académies, elle se réfugiera dans la vie bourgeoise, elle se mêlera aux plus naïfs détails de l'existence. Lasse de chanter une langue que les grands ne comprennent pas, elle ira murmurer à l'oreille des petits des paroles d'amour et de sympathie. Et déjà n'est-elle pas descendue sous les ventes des tavernes allemandes? ne s'est-elle pas assise au rouet des femmes? ne berce-t-elle pas dans ses bras les enfants du pauvre? Compte-t-on pour rien toutes ces âmes aimantes qui la possèdent et qui souffrent, qui se taisent devant les hommes et qui pleurent devant Dieu? Voix isolées qui enveloppent le monde d'un choeur universel et se rejoignent dans les cieux; étincelles divines qui retournent à je ne sais quel astre mystérieux, peut-être à l'antique Phébus, pour en redescendre sans cesse sur la terre et l'alimenter d'un feu toujours divin! Si elle ne produit plus de grands hommes, n'en peut-elle pas produire de bons? Qui sait si elle ne sera pas la divinité douce et bienfaisante d'une autre génération, et si elle ne succédera pas au doute et au désespoir dont notre siècle est atteint? Qui sait si dans un nouveau code de morale, dans un nouveau catéchisme religieux, le dégoût et la tristesse ne seront pas flétris comme des vices, tandis que l'amour, l'espoir et l'admiration seront récompensés comme des vertus?

      La poésie, révélée à toutes les intelligences, serait un sens de plus que tous les hommes peut-être sont plus ou moins capables d'acquérir, et qui rendrait toutes les existences plus étendues, plus nobles et plus heureuses. Les moeurs de certaines tribus montagnardes le prouvent avec une évidence éclatante; la nature, il est vrai, prodigue de grands spectacles dans de telles régions, s'est chargée de l'éducation de ces hommes; mais les chants des bardes sont descendus dans les vallées, et les idées poétiques peuvent s'ajuster à la taille de tous les hommes. L'un porte sa poésie sur son front, un autre dans son coeur; celui-ci la cherche dans une promenade lente et silencieuse au sein des plaines, celui-là la poursuit au galop de son cheval à travers les ravins; un troisième l'arrose sur sa fenêtre dans un pot de tulipes. Au lieu de demander où elle est, ne devrait-on pas demander où elle n'est pas? Si ce n'était qu'une langue, elle pourrait se perdre; mais c'est une essence qui nait de deux choses: la beauté répandue dans la nature extérieure, et le sentiment départi à toute intelligence ordinaire. Pour condamner à mort la poésie et la porter au cercueil, il nous faudra donc arracher du sol jusqu'à la dernière des fleurettes dont Geneviève faisait ses bouquets.

      Car elle aussi était poète; et croyez bien qu'il y a au fond des plus sombres masures, au sein des plus médiocres conditions, beaucoup d'existences qui s'achèvent sans avoir produit un sonnet, mais qui pourtant sont de magnifiques poëmes.

      Il faut bien peu de chose pour éveiller ces esprits endormis dans l'épaisse atmosphère de l'ignorance; et pour les entourer à jamais d'une lumineuse auréole qui ne les quitte plus. Un livre tombé sous la main, un chant ou quelques paroles recueillies d'un passant, une étude entreprise dans un dessein prosaïque ou par nécessité, le moindre hasard providentiel, suffit à une âme élue pour découvrir un monde d'idées et de sentiments. C'est ce qui était arrivé à Geneviève. L'art frivole d'imiter les fleurs l'avait conduite à examiner ses modèles, à les aimer, à chercher dans l'étude de la nature un moyen de perfectionner son intelligence; peu à peu elle s'était identifiée avec elle, et chaque jour, dans le secret de son coeur, elle dévorait avidement le livre immense ouvert devant ses yeux. Elle ne songeait pas à approfondir d'autre science que celle à laquelle tous ses instants étaient forcément consacrés; mais elle avait surpris le secret de l'universelle harmonie. Ce monde inanimé qu'autrefois elle regardait sans le voir, elle le comprenait désormais; elle le peuplait d'esprits invisibles, et son âme s'y élançait pour y embrasser sans cesse l'amour infini qui plane sur la création. Emportée par les ailes de son imagination toute-puissante, elle apercevait, au delà des toits enfumés de sa petite ville, une nature enchantée qui se résumait sur sa table dans un bouton d'aubépine. Un chardonneret familier, qui voltigeait dans sa chambre, lui apportait du dehors toutes les mélodies des bois et des prairies; et lorsque sa petite glace lui renvoyait sa propre image, elle y voyait une ombre divine si accomplie qu'elle était émue sans savoir pourquoi, et versait des pleurs délicieux comme à l'aspect d'une soeur jumelle.

      Elle s'était donc habituée à vivre en dehors de tout ce qui l'entourait. Ce n'était pas, comme on le prétendait, une vertu sauvage et sombre; elle était trop calme dans son innocence pour avoir jamais cherché sa force dans les maximes farouches. Elle n'avait pas besoin de vertu pour garder sa sainte pudeur, et le noble orgueil d'elle-même suffisait à la préserver des hommages grossiers que recherchaient ses compagnes; elle les fuyait, non par haine, mais par dédain; elle ne craignait pas d'y succomber, mais d'en subir le dégoût et l'ennui. Heureuse avec sa liberté et ses occupations, orpheline, riche par son travail au delà de ses besoins, elle était affable et bonne avec ses amies d'enfance: elle eût craint de leur paraître vaine de son petit savoir, et se laissait égayer par elles; mais elle supportait cette gaieté plutôt qu'elle ne la provoquait, et si jamais elle ne leur donnait le moindre signe de mépris et d'ennui, du moins son plus grand bonheur était de se retrouver seule dans sa petite chambre et de faire sa prière en regardant la lune et en respirant les jasmins de sa fenêtre.

      VI

      André avait un peu trop compté sur ses forces en se chargeant de demander le char à bancs et le cheval de son père. Il fit cette pénible réflexion en quittant, vers neuf heures, la famille Marteau, et son anxiété prit un caractère de plus en plus grave à mesure qu'il approchait du toit paternel; mais ce fut une bien autre consternation lorsqu'il trouva son père dans un de ses accès de mauvaise humeur des plus prononcés. Le plus beau de ses boeufs de travail était tombé malade en rentrant du pâturage, et le marquis, se promenant d'un air sombre dans la salle basse de son manoir, répétait d'une voix entrecoupée, en jetant des regards effarés sur son fils: «Des tranchées! des tranchées épouvantables!

      – Hélas! mon père, êtes-vous malade? s'écria André, qui ne comprenait rien à son angoisse.

      Le marquis haussa les épaules, et, lui tournant le dos, continua à marcher à grands pas.

      André, n'osant renouveler sa question, resta fort troublé à sa place, suivant d'un oeil timide tous les mouvements de son père, qu'il croyait