Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд

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Название Les Maîtres sonneurs
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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inconnus dans vos plaines grasses. Mais à quoi bon te parler de ces endroits que tu ne verras jamais? Le Berrichon, je le sais, est une pierre qui roule d'un sillon sur l'autre, revenant toujours sur celui de droite quand la charrue l'a poussé pour une saison sur celui de gauche. Il respire un air lourd, il aime ses aises, il n'a point de curiosité; il chérit son argent, et ne le dépense point; mais il ne sait pas l'augmenter, et n'a ni invention ni courage. Je ne dis pas ça pour toi, Tiennet; tu sais te battre, mais c'est pour défendre ton bien, et tu ne saurais pas en acquérir par industrie, comme nous autres, esprits voyageurs, qui vivons partout comme chez nous, et prenons par ruse ou par force ce qu'on ne nous donne pas de bon gré.

      – Oui, j'en suis d'accord, répondis-je; mais ne faites-vous pas là un métier de brigands? Voyons, ami Huriel, ne vaut-il pas mieux être moins riche et n'avoir rien à se reprocher? car enfin, quand, sur vos vieux jours, vous jouirez de votre fortune mal acquise, aurez-vous la conscience bien nette?

      – Mal acquise! Voyons ami Tiennet, dit-il en riant, vous qui avez, je suppose, comme tous les petits propriétaires de ce pays, une vingtaine de moutons, deux ou trois chèvres, et peut-être une pauvre bourrique à nourrir sur le communal, quand, par inadvertance, vous les laissez peler les arbres et manger le blé vert du voisin, courez-vous en offrir réparation? Ne les ramenez-vous, pas au plus vite sans rien dire, quand vous voyez paraître les gardes? Et s'ils vous font procédure, ne pestez-vous contre eux et contre la loi? Et si vous pouviez, sans danger, les tenir dans quelque bon coin, n'est-ce pas sur leurs épaules que vous payeriez l'amende à beaux coups de trique? Tenez! c'est par couardise ou par force que vous respectez la règle, et c'est parce que nous y échappons que vous nous blâmez, par jalousie des franchises que nous savons prendre!

      – Je ne peux pas goûter votre morale étrangère, Huriel; mais nous voilà bien loin de la musique. Pourquoi raillez-vous ma chanson? Est-ce que vous prétendez en savoir de meilleures?

      – Je ne prétends rien, Tiennet; mais je te dis que la chanson, la liberté, les beaux pays sauvages, la vivacité des esprits, et, si tu veux aussi, l'art de faire fortune sans devenir bête, tout ça se tient comme les doigts de la main; je te dis que crier, n'est pas chanter, et que vous avez beau beugler comme des sourds dans vos champs et dans vos cabarets, ça ne fait pas de la musique. La musique est chez nous, elle n'est pas chez vous. Ton ami Joset l'a bien senti, lui qui a les sens plus légers que toi; car, pour toi, mon petit Tiennet, je vois bien que je perdrais mon temps à t'en vouloir montrer la différence. Tu es un franc Berrichon, comme un moineau franc est un moineau franc, et ce que tu es à cette heure, tu le seras dans cinquante ans d'ici; ton crin aura blanchi, mais ta cervelle n'aura pas pris un jour.

      – Pourquoi me juges-tu si sot? repris-je un peu mortifié.

      – Sot? Pas du tout, dit-il. Franc de ton cœur et fin de ton intérêt, tu l'es et le seras; mais vivant de ton corps et léger de ton âme, tu ne saurais jamais l'être.

      Voici pourquoi, Tiennet, dit-il encore en me montrant les meubles qui étaient dans la maison. Voilà de bons gros lits ventrus, où vous dormez dans la plume jusque par-dessus les yeux. Vous êtes gens de bêche et de pioche, et faiseurs de grandes tâches qui se voient au soleil; mais il vous faut ensuite la couette de fin duvet pour vous reposer. Nous autres, gens des forêts, nous serions malades s'il fallait nous ensevelir vivants dans des draps et des couvertures. Une hutte de branchage, un lit de fougère, voilà notre mobilier, et même ceux de nous qui voyagent sans cesse et qui ne se soucient pas de payer dans les auberges, ne supportent pas le toit d'une maison sur leurs têtes; au cœur des hivers, ils dorment à la franche étoile sur la bâtine de leurs mulets, et la neige leur sert de linge blanc. – Voilà des dressoirs, des tables, des chaises, de la belle vaisselle, des tasses de grès, du bon vin, une crémaillère, des pots à soupe, que sais-je? Il vous faut tout cela pour être contents; vous mettez à chaque repas une bonne heure pour vous lester; vous mâchonnez comme des bœufs qui ruminent: aussi, quand il vous faut remettre sur vos jambes et retourner à l'ouvrage, vous avez un crève-cœur qui revient tous les jours deux ou trois fois. Vous êtes lourds et pas plus gaillards d'esprits que vos bêtes de trait. Le dimanche, accoudés sur des tables, mangeant plus que votre faim et buvant plus que votre soif, croyant vous divertir et vous réconforter en vous indigérant, soupirant pour des filles qui s'ennuient avec vous sans savoir pourquoi; dansant vos bourrées traînantes dans des chambres ou dans des granges où l'on étouffe, vous faites, d'un jour de liesse et de repos, une pesanteur de plus sur vos estomacs et sur vos esprits; et la semaine entière vous en paraît plus triste, plus longue et plus dure. Oui, Tiennet, voilà la vie que vous menez. Pour trop chérir vos aises, vous vous faites trop de besoins, et pour trop bien vivre, vous ne vivez pas.

      – Et comment donc vivez-vous, vous autres muletiers? lui dis-je, un peu ébranlé de sa critique. Voyons, je ne parle pas de ton pays bourbonnais, que je ne connais point, mais de toi, muletier, que je vois là devant moi, buvant rude, mettant les coudes sur la table, n'étant pas fâché de trouver quelque part du feu pour ta pipe et un chrétien pour causer? Es-tu donc fait autrement que les autres hommes? Et quand tu auras mené cette dure vie que tu vantes, une vingtaine d'années, l'argent que tu auras ménagé à te priver de tout, ne le dépenseras-tu pas à te procurer une femme, une maison, une table, un bon lit, du bon vin et du repos?

      – Voilà bien des questions à la fois, Tiennet, répondit mon hôte. Pour un Berrichon, ça n'est pas mal raisonné. Je vas tâcher d'y répondre. Tu me vois boire et causer, parce que j'aime le vin et que je suis un homme. La table et la société me plaisent même beaucoup plus qu'à toi, par la raison que je n'en ai pas besoin et n'en fais pas mon habitude. Toujours sur pied, mangeant sur le pouce, buvant aux fontaines que je rencontre, et dormant sous la feuillée du premier chêne venu, quand, par hasard, je trouve bonne table et bon vin à discrétion, c'est fête pour moi, ce n'est plus nécessité. Vivant souvent seul des semaines entières, la société d'un ami m'est tout un dimanche, et dans une heure de causette, je lui en dis plus que dans une journée de cabaret. Je jouis donc de tout, plus-que vous autres, parce que je ne fais abus de rien. Si une gentille fillette ou une femme déterminée me vient trouver dans mon hallier; c'est pour me dire qu'elle m'aime ou qu'elle me veut. Elle sait bien que je n'ai pas le temps d'aller me planter auprès d'elle comme un nigaud pour attendre son heure, et j'avoue qu'en fait d'amour, j'aime ce qui se trouve, plutôt que ce qu'il faut chercher et attendre. Quant à l'avenir, Tiennet, je ne sais pas si j'aurai jamais une maison et une famille: si cela m'arrive, j'en serai plus reconnaissant que toi au bon Dieu, et j'en connaîtrai mieux la douceur; mais je jure que ma ménagère ne sera point une de vos grosses rougeaudes, eût-elle vingt mille écus en dot. L'homme amoureux de liberté et de bonheur vrai ne se marie pas pour de l'argent. Je n'aimerai jamais qu'une fille blanche et mince comme nos jeunes bouleaux, une de ces mignonnes alertes comme il en pousse sous nos ombrages et qui chantent mieux que vos rossignols.

      – Une fille comme Brulette, pensai-je. Par bonheur, elle n'est point ici, car elle qui méprise tous ceux qu'elle connaît, se pourrait bien coiffer de ce barbouillé, ne fût-ce que par caprice.

      Le muletier continua.

      – Adonc, Tiennet, je ne te blâme point de suivre le chemin qui est devant toi; mais le mien va plus loin et me plaît davantage. Je suis content de te connaître, et si tu as jamais besoin de moi, tu peux me requérir. Je ne te demande pas la pareille; je sais qu'un habitant des plaines, quand il s'agit de faire une douzaine de lieues pour aller trouver un parent ou un ami, se confesse à son curé et dresse son testament. Pour nous autres, ce n'est pas de même; nous volons comme les hirondelles, et on nous rencontre quasiment partout. À revoir, une poignée de main, et si tu t'ennuies jamais de ta vie de paysan, appelle le corbeau noir du Bourbonnais à ton aide; il se souviendra qu'il a cornemusé un air sur ton dos sans fâcherie, et qu'il t'a cédé par estime de ton bon courage.

      Septième veillée

      Là-dessus, Huriel alla rejoindre Joseph, et moi mon lit, en dépit de la critique du muletier; car si j'avais, jusque-là, caché par amour-propre et oublié par curiosité le mal que je me sentais dans les os, je n'en étais pas moins vanné des pieds à la tête. Il paraît que maître Huriel reprit sa marche bien allègrement sans se ressentir de rien; pour moi, je fus forcé de rester couché environ une semaine, car je