Название | Histoires extraordinaires |
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Автор произведения | Edgar Allan Poe |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Si la routine de notre vie dans ce lieu avait été connue du monde, nous eussions passé pour deux fous, – peut-être pour des fous d'un genre inoffensif. Notre réclusion était complète; nous ne recevions aucune visite. Le lieu de notre retraite était resté un secret – soigneusement gardé – pour mes anciens camarades; il y avait plusieurs années que Dupin avait cessé de voir du monde et de se répandre dans Paris. Nous ne vivions qu'entre nous.
Mon ami avait une bizarrerie d'humeur, – car comment définir cela? – c'était d'aimer la nuit pour l'amour de la nuit; la nuit était sa passion; et je tombai moi-même tranquillement dans cette bizarrerie, comme dans toutes les autres qui lui étaient propres, me laissant aller au courant de toutes ses étranges originalités avec un parfait abandon. La noire divinité ne pouvait pas toujours demeurer avec nous; mais nous en faisions la contrefaçon. Au premier point du jour, nous fermions tous les lourds volets de notre masure, nous allumions une couple de bougies fortement parfumées, qui ne jetaient que des rayons très-faibles et très-pâles. Au sein de cette débile clarté, nous livrions chacun notre âme à ses rêves, nous lisions, nous écrivions ou nous causions, jusqu'à ce que la pendule nous avertit du retour de la véritable obscurité. Alors, nous nous échappions à travers les rues, bras dessus bras dessous, continuant la conversation du jour, rôdant au hasard jusqu'à une heure très-avancée, et cherchant à travers les lumières désordonnées et les ténèbres de la populeuse cité ces innombrables excitations spirituelles que l'étude paisible ne peut pas donner.
Dans ces circonstances, je ne pouvais m'empêcher de remarquer et d'admirer, – quoique la riche idéalité dont il était doué eût dû m'y préparer, une aptitude analytique particulière chez Dupin. Il semblait prendre un délice âcre à l'exercer, – peut être même à l'étaler, – et avouait sans façon tout le plaisir qu'il en tirait. Il me disait à moi, avec un petit rire tout épanoui, que bien des hommes avaient pour lui une fenêtre ouverte à l'endroit de leur cœur, et d'habitude il accompagnait une pareille assertion de preuves immédiates et des plus surprenantes, tirées d'une connaissance profonde de ma propre personne.
Dans ces moments-là, ses manières étaient glaciales et distraites; ses yeux regardaient dans le vide, et sa voix, – une riche voix de ténor, habituellement, – montait jusqu'à la voix de tête; c'eût été de la pétulance, sans l'absolue délibération de son parler et la parfaite certitude de son accentuation. Je l'observais dans ses allures, et je rêvais souvent à la vieille philosophie de l'âme double, – je m'amusais à l'idée d'un Dupin double, – un Dupin créateur et un Dupin analyste.
Qu'on ne s'imagine pas, d'après ce que je viens de dire, que je vais dévoiler un grand mystère ou écrire un roman. Ce que j'ai remarqué dans ce singulier Français était simplement le résultat d'une intelligence surexcitée, malade peut-être. Mais un exemple donnera une meilleure idée de la nature de ses observations à l'époque dont il s'agit.
Une nuit, nous flânions dans une longue rue sale, avoisinant le Palais Royal. Nous étions plongés chacun dans nos propres pensées, en apparence du moins, et, depuis près d'un quart d'heure, nous n'avions pas soufflé une syllabe. Tout à coup Dupin lâcha ces paroles:
– C'est un bien petit garçon, en vérité, et il serait mieux à sa place au théâtre des Variétés.
– Cela ne fait pas l'ombre d'un doute, répliquai-je sans y penser et sans remarquer d'abord, tant j'étais absorbé, la singulière façon dont l'interrupteur adaptait sa parole à ma propre rêverie.
Une minute après, je revins à moi, et mon étonnement fut profond.
– Dupin, dis-je très-gravement, voilà qui passe mon intelligence. Je vous avoue, sans ambages, que j'en suis stupéfié et que j'en peux à peine croire mes sens. Comment a-t-il pu se faire que vous ayez deviné que je pensais à…?
Mais je m'arrêtai pour m'assurer indubitablement qu'il avait réellement deviné à qui je pensais.
– À Chantilly? dit-il; pourquoi vous interrompre? Vous faisiez en vous-même la remarque que sa petite taille le rendait impropre à la tragédie.
C'était précisément ce qui faisait le sujet de mes réflexions. Chantilly était un ex-savetier de la rue Saint-Denis qui avait la rage du théâtre, et avait abordé le rôle de Xerxès dans la tragédie de Crébillon; ses prétentions étaient dérisoires: on en faisait des gorges chaudes.
– Dites-moi, pour l'amour de Dieu! la méthode – si méthode il y a – à l'aide de laquelle vous avez pu pénétrer mon âme, dans le cas actuel!
En réalité, j'étais encore plus étonné que je n'aurais voulu le confesser.
– C'est le fruitier, répliqua mon ami, qui vous a amené à cette conclusion que le raccommodeur de semelles n'était pas de taille à jouer Xerxès et tous les rôles de ce genre.
– Le fruitier! vous m'étonnez! je ne connais de fruitier d'aucune espèce.
– L'homme qui s'est jeté contre vous, quand nous sommes entrés dans la rue, il y a peut-être un quart d'heure.
Je me rappelai alors qu'en effet un fruitier, portant sur sa tête un grand panier de pommes, m'avait presque jeté par terre par maladresse, comme nous passions de la rue C… dans l'artère principale où nous étions alors. Mais quel rapport cela avait-il avec Chantilly? Il m'était impossible de m'en rendre compte.
Il n'y avait pas un atome de charlatanerie dans mon ami Dupin.
– Je vais vous expliquer cela, dit-il, et, pour que vous puissiez comprendre tout très-clairement, nous allons d'abord reprendre la série de vos réflexions, depuis le moment dont je vous parle jusqu'à la rencontre du fruitier en question. Les anneaux principaux de la chaîne se suivent ainsi: Chantilly, Orion, le docteur Nichols, Épicure, la stéréotomie, les pavés, le fruitier.
Il est peu de personnes qui ne se soient amusées, à un moment quelconque de leur vie, à remonter le cours de leurs idées et à rechercher par quels chemins leur esprit était arrivé à de certaines conclusions. Souvent cette occupation est pleine d'intérêt, et celui qui l'essaye pour la première fois est étonné de l'incohérence et de la distance, immense en apparence, entre le point de départ et le point d'arrivée.
Qu'on juge donc de mon étonnement quand j'entendis mon Français parler comme il avait fait, et que je fus contraint de reconnaître qu'il avait dit la pure vérité.
Il continua:
– Nous causions de chevaux – si ma mémoire ne me trompe pas – juste avant de quitter la rue C… Ce fut notre dernier thème de conversation. Comme nous passions dans cette rue-ci, un fruitier, avec un gros panier sur la tête, passa précipitamment devant nous, vous jeta sur un tas de pavés amoncelés dans un endroit où la voie est en réparation. Vous avez mis le pied sur une des pierres branlantes; vous avez glissé, vous vous êtes légèrement foulé la cheville; vous avez paru vexé, grognon; vous avez marmotté quelques paroles; vous vous êtes retourné pour regarder le tas, puis vous avez continué votre chemin en silence. Je n'étais pas absolument attentif à tout ce que vous faisiez; mais, pour moi, l'observation est devenue, de vieille date, une espèce de nécessité.
«Vos yeux sont restés attachés sur le sol, – surveillant avec une espèce d'irritation les trous et les ornières du pavé (de façon que je voyais bien que vous pensiez toujours aux pierres), jusqu'à ce que nous eussions atteint le petit passage qu'on nomme le passage Lamartine6, où l'on vient de faire l'essai du pavé de bois, un système de blocs unis et solidement assemblés. Ici votre physionomie s'est éclaircie, j'ai vu vos lèvres remuer, et j'ai deviné, à n'en pas douter, que vous vous murmuriez le mot stéréotomie, un terme appliqué fort prétentieusement à ce genre de pavage.
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Ai-je besoin d'avertir, à propos de la rue Morgue, du passage Lamartine, etc. qu'Edgar Poe n'est jamais venu à Paris? (C. B.)