Название | Georges |
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Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Puis enfin on arriva à ce qu'on appelle, dans chaque plantation, le camp des noirs.
Au milieu du camp s'élevait un grand bâtiment qui servait de grange l'hiver, et de salle de danse l'été; de grands cris de joie en sortaient, mêlés au son du tambourin, du tam-tam et de la harpe malgache. Les nègres, profitant des vacances données, s'étaient aussitôt joyeusement mis en fête; car, dans ces natures primitives, il n'y a pas de nuances; du travail, elles passent au plaisir, et se reposent de la fatigue par la danse. Georges et son père ouvrirent la porte et parurent tout à coup au milieu d'eux.
Aussitôt le bal fut interrompu; chacun se rangea contre son voisin, cherchant à prendre son rang, comme font des soldats surpris par leur colonel. Puis, après un moment de silence agité, une triple acclamation salua les maîtres. Cette fois, c'était bien l'expression franche et entière de leurs sentiments. Bien nourris, bien vêtus, rarement punis, parce que rarement ils manquaient à leur devoir, ils adoraient Pierre Munier, le seul peut-être des mulâtres de la colonie qui, humble avec les blancs, ne fût pas cruel avec les noirs. Quant à Georges, dont le retour, comme nous l'avons dit, avait inspiré de graves craintes dans la pauvre population, comme s'il eût deviné l'effet que sa présence avait produit, il éleva la main en signe qu'il voulait parler. Aussitôt, le plus profond silence se fit, et les nègres recueillirent avidement les paroles suivantes, qui tombèrent de sa bouche, lentes comme une promesse, solennelles comme un engagement:
– Mes amis, je suis touché de la bienvenue que vous me faites, et plus encore du bonheur qui brille ici sur tous les visages: mon père vous rend heureux, je le sais, et je l'en remercie; car c'est mon devoir comme le sien de faire le bonheur de ceux qui m'obéiront, je l'espère, aussi religieusement qu'ils lui obéissent. Vous êtes trois cents ici, et vous n'avez que quatre-vingt-dix cases; mon père désire que vous en bâtissiez soixante autres, une pour deux; chaque case aura un petit jardin, il sera permis à chacun d'y planter du tabac, des giromons, des patates, et d'y élever un cochon avec des poules; ceux qui voudront faire argent de tout cela l'iront vendre le dimanche à Port-Louis, et disposeront à leur volonté du produit de la vente. Si un vol est commis, il y aura une sévère punition pour celui qui aura volé son frère; si quelqu'un est injustement battu par le commandeur, qu'il prouve que le châtiment n'était pas mérité, et il lui sera fait justice: je ne prévois pas le cas où vous vous ferez marrons, car vous êtes et vous serez, je l'espère, trop heureux pour songer à nous quitter.
De nouveaux cris de joie accueillirent ce petit discours, qui paraîtra sans doute bien minutieux et bien futile aux soixante millions d'Européens qui ont le bonheur de vivre sous le régime constitutionnel, mais qui, là-bas, fut reçu avec d'autant plus d'enthousiasme, que c'était la première charte de ce genre qui eût été octroyée dans la colonie.
Chapitre VII – La berloque
Pendant la soirée du lendemain, qui était, comme nous l'avons dit, un samedi, une assemblée de nègres, moins joyeuse que celle que nous venons de quitter, était réunie sous un vaste hangar, et, assise autour d'un grand foyer de branches sèches, faisait tranquillement la berloque, comme on dit dans les colonies; c'est-à-dire que, selon ses besoins, son tempérament ou son caractère, l'un travaillait à quelque ouvrage manuel destiné à être vendu le lendemain, l'autre faisait cuire du riz, du manioc ou des bananes. Celui-ci fumait dans une pipe de bois du tabac non seulement indigène, mais encore récolté dans son jardin; ceux-là enfin causaient entre eux à voix basse. Au milieu de tous ces groupes, les femmes et les enfants, chargés d'entretenir le feu, allaient et venaient sans cesse; mais malgré cette activité et ce mouvement, quoique cette soirée précédât un jour de repos, on sentait peser sur ces malheureux quelque chose de triste et d'inquiet. C'était l'oppression du géreur, mulâtre lui-même. Ce hangar était situé dans la partie inférieure des plaines Williams, au pied de la montagne des Trois-Mamelles, autour de laquelle s'étendait la propriété de notre ancienne connaissance M. de Malmédie.
Ce n'est pas que M. de Malmédie fût un mauvais maître, dans l'acception que nous donnons en France à ce mot. Non, M. de Malmédie était un gros homme tout rond, incapable de haine, incapable de vengeance, mais entiché au plus haut degré de son importance civile et politique; plein de fierté lorsqu'il songeait à la pureté du sang qui coulait dans ses veines, et partageant avec une bonne foi native, et qui lui avait été léguée, de père en fils, le préjugé qui, à l'île de France, poursuivait encore à cette époque les hommes de couleur. Quant aux esclaves, ils n'étaient pas plus malheureux chez lui que partout ailleurs, mais ils étaient malheureux comme partout c'est que, pour M. de Malmédie, les nègres, ce n'étaient pas des hommes, c'étaient des machines devant rapporter un certain produit. Or, quand une machine ne rapporte pas ce qu'elle doit rapporter, on la remonte par des moyens mécaniques, M. de Malmédie appliquait donc purement et simplement à ses nègres la théorie qu'il eût appliquée à des machines. Quand les nègres cessaient de fonctionner, soit par paresse, soit par fatigue, le commandeur les remontait à coups de fouet; la machine reprenait son mouvement, et, à la fin de la semaine, le produit général était ce qu'il devait être.
Quant à M. Henri de Malmédie, c'était exactement le portrait de son père avec vingt ans de moins, et une dose d'orgueil de plus.
Il y avait donc loin, comme nous l'avons dit, de la situation morale et matérielle des nègres du quartier des plaines Williams, avec celle des nègres du quartier Moka.
Aussi, dans ces réunions, désignées, ainsi que nous l'avons dit, sous le nom de berloque, la gaieté venait-elle tout naturellement aux esclaves de Pierre Munier, tandis qu'au contraire elle avait, chez ceux de M. de Malmédie, besoin d'être excitée par quelque chanson, quelque conte ou quelque parade. Au reste, sous les tropiques comme dans nos contrées, sous le hangar du nègre comme dans le bivouac des soldats, il y a toujours un ou deux de ces loustics qui se chargent de l'emploi plus fatigant qu'on ne pense de faire rire la société et que la société, reconnaissante, paye de mille façons différentes; bien entendu que, si la société oublie de s'acquitter, ce qui lui arrive quelquefois, le bouffon, dans ce cas, lui rappelle tout naturellement qu'il est son créancier.
Or, celui qui occupait, dans l'habitation de M. de Malmédie, la charge que remplissaient autrefois Triboulet et l'Angeli à la cour du roi François Ier et du roi Louis XIII, était un petit homme, dont le torse replet était supporté par des jambes si grêles, qu'au premier abord on ne croyait pas à la possibilité d'une pareille réunion. Au reste, aux deux extrémités, l'équilibre, rompu par le milieu, se rétablissait: le gros torse supportait une petite tête d'un jaune bilieux, tandis que les jambes grêles aboutissaient à des pieds énormes. Quant aux bras, ils étaient d'une longueur démesurée, et pareils à ceux de ces singes, qui, en marchant sur leurs pieds de derrière, ramassent, sans se baisser, les objets qu'ils trouvent sur leur chemin.
Il résultait de cet assemblage de formes incohérentes et de membres disproportionnés, que le nouveau personnage que nous venons de mettre en scène offrait un singulier mélange de grotesque et de terrible, mélange dans lequel, aux yeux d'un Européen, le hideux l'emportait au point d'inspirer, dès la première vue, un vif sentiment de répulsion; mais, moins partisans du beau, moins adorateurs de la forme que nous, les nègres ne l'envisageaient, en général, que du côté comique, quoique, de temps en temps, sous sa peau de singe, le tigre allongeât ses griffes et montrât ses dents.
Il s'appelait Antonio, et était né à Tingoram; de sorte que, pour le distinguer des autres Antonio, que la confusion eût sans doute blessés, on l'appelait généralement Antonio le Malais.
La berloque était donc assez triste comme nous l'avons dit, lorsque Antonio, qui s'était glissé, sans être vu, jusque derrière un des poteaux qui soutiennent le hangar, allongea sa tête jaune et bilieuse, et poussa un petit sifflement pareil à celui que fait entendre le serpent à capuchon, un des reptiles les plus terribles de la presqu'île Malate. Ce cri, poussé dans les plaines de Ténassérim, dans les marais de Java, ou les sables de Quiloa, eût glacé de terreur quiconque l'eût entendu; mais, à l'île de France où, à part les requins qui nagent par bandes sur les côtes, on ne peut citer aucun animal nuisible, ce cri ne produisit d'autre effet que de faire ouvrir à la noire assemblée