Georges. Dumas Alexandre

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Название Georges
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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dans les circonstances habituelles de sa vie, reprocher de manquer un peu d'expression, laissaient errer un regard limpide, mais qui ne s'attachait à rien et semblait ne rien chercher à approfondir. De temps en temps, cependant, il clignait les yeux comme un homme fatigué du soleil, accompagnant ce mouvement d'un léger écartement des lèvres qui laissaient apercevoir alors une double rangée de dents petites, bien rangées, et blanches comme des perles. Cette espèce de tic semblait alors ôter à son regard le peu d'expression qu'il avait; mais, si on l'examinait avec soin, on s'apercevait, au contraire, que c'était dans ce moment que sa vue, profonde et rapide, dardant un rayon de flamme entre ses deux paupières rapprochées, allait chercher la pensée de son interlocuteur jusqu'au plus profond de son âme. Ceux qui le voyaient pour la première fois ne manquaient presque jamais de le prendre pour un esprit nul; il savait que c'était, en général, l'opinion que les hommes superficiels avaient de lui, et, presque toujours, soit calcul, soit indifférence, il se plaisait à la leur laisser, bien sûr de les détromper quand le caprice lui en prendrait ou quand le moment en serait venu; car cette enveloppe menteuse cachait un esprit singulièrement profond, comme il arrive souvent que deux pouces de neige cachent un précipice de mille pieds; aussi, avec la conscience de sa supériorité presque universelle, attendait-il patiemment qu'on vînt lui offrir l'occasion de triompher. Alors, et dès qu'il rencontrait dans une pensée opposée à la sienne, et dans la personne qui émettait cette pensée, une lutte digne de lui, il s'accrochait à la conversation, que, jusque-là, il avait laissé errer dans tous ses capricieux détours, s'animait peu à peu, se répandait au dehors, grandissait à toute hauteur; car sa voix stridente, ses yeux enflammés, secondaient parfaitement sa parole vive, incisive, colorée, à la fois séduisante et grave, éblouissante et positive; si cette occasion ne venait pas, il s'en passait, et continuait d'être regardé par ceux qui l'entouraient comme un homme ordinaire. Ce n'est pas qu'il manquât d'amour-propre, au contraire, il poussait l'orgueil de certaines choses jusqu'à l'excès. Mais c'était un système de conduite qu'il s'était imposé et duquel il ne s'écartait jamais. Toutes les fois qu'une position erronée, une pensée fausse, une vanité mal soutenue, un ridicule quelconque, enfin, venait poser devant lui, l'extrême finesse de son esprit lui faisait aussitôt venir sur la langue un sarcasme incisif ou sur les lèvres un sourire moqueur; mais il étouffait à l'instant même ce genre d'ironie extérieure, et, quand il ne pouvait renfermer entièrement cette irruption de dédain, il déguisait sous un des clignements d'yeux qui lui étaient habituels le mouvement railleur qui lui échappait malgré lui, sachant bien que le moyen de tout voir, de tout entendre, était de paraître aveugle et sourd. Peut-être eût-il bien voulu, comme Sixte-Quint, paraître aussi paralytique: mais, comme cela l'eût entraîné à une trop longue et trop fatigante dissimulation, il y avait renoncé.

      L'autre était un jeune homme brun, au teint pâle et aux longs cheveux noirs; ses yeux, qui étaient grands, admirablement fendus et du plus beau velouté, avaient, derrière la douceur apparente qu'ils ne devaient qu'à la préoccupation éternelle de sa pensée, un caractère de fermeté qui frappait au premier abord. S'emportait-il, ce qui était rare, car toute son organisation paraissait obéir non pas à des instincts physiques, mais à une puissance morale, alors ses yeux s'illuminaient d'une flamme intérieure et lançaient des éclairs dont le foyer semblait être au fond de son âme. Quoique les lignes de son visage fussent pures, elles manquaient jusqu'à un certain point de régularité; son front harmonieux, quoique, d'une modulation vigoureuse et carrée, était sillonné par une légère cicatrice, presque imperceptible dans l'état de calme qui lui était habituel, mais qui se trahissait par une ligne blanche, lorsque la rougeur lui montait au visage. Une moustache noire comme ses cheveux, régulière comme ses sourcils, ombrageait, en déguisant sa grandeur, une bouche à lèvres fortes et garnie d'admirables dents. L'aspect général de sa physionomie était grave: aux rides de son front, au froncement presque perpétuel de ses sourcils, aux habitudes sévères de tous ses traits, on pouvait reconnaître une réflexion profonde et une résolution inébranlable. Aussi, tout au contraire de son compagnon, aux traits effacés, et qui, ayant quarante ans, en paraissait à peine trente ou trente-deux, lui, qui n'en avait guère que vingt-cinq, en paraissait presque trente. Quant au reste de sa personne, il était d'une taille moyenne, mais bien prise; tous ses membres étaient peut-être un peu grêles, mais on sentait que, animés par une émotion quelconque, une violente tension nerveuse devait chez eux remplacer la force. En échange, on comprenait que la nature lui avait donné en agilité et en adresse bien au delà de ce qu'elle lui avait refusé de grossière vigueur. Du reste, mis presque toujours avec une simplicité élégante, il était vêtu, pour le moment, d'un pantalon, d'un gilet et d'une redingote dont la forme indiquait qu'ils sortaient des mains d'un des plus habiles tailleurs de Paris, et, à la boutonnière de cette redingote, il portait, noués avec une élégante négligence, les rubans réunis de la Légion d'honneur et de Charles III.

      Ces deux hommes s'étaient rencontrés à bord du Leycester, qui avait pris l'un à Portsmouth et l'autre à Cadix. Au premier coup d'œil, ils s'étaient reconnus pour s'être vus déjà dans ces salons de Londres et de Paris où l'on voit tout le monde; ils s'étaient donc salués comme d'anciennes connaissances, mais sans se parler d'abord; car, n'ayant jamais été présentés l'un à l'autre, tous deux avaient été retenus par cette réserve aristocratique des gens comme il faut, qui hésitent, même dans les circonstances particulières de la vie, à sortir des règles imposées par les convenances générales. Cependant, l'isolement du bord, l'exiguïté du terrain sur lequel ils se croisaient chaque jour, l'attrait naturel que deux hommes du monde éprouvent instinctivement l'un pour l'autre, les avaient bientôt rapprochés; ils avaient échangé d'abord quelques paroles insignifiantes, puis leurs conversations avaient pris un peu plus de consistance. Au bout de quelques jours, chacun des deux avait reconnu son compagnon pour un homme supérieur, et s'était félicité d'une rencontre pareille dans une traversée de plus de trois mois; enfin, en attendant mieux, ils s'étaient liés de cette amitié de circonstance qui, sans racines dans le passé, devient une distraction dans le présent, sans être un engagement pour l'avenir. Alors, pendant ces longues soirées de l'équateur, pendant ces belles nuits des tropiques, ils avaient eu le temps de s'étudier l'un l'autre, et tous deux avaient reconnu qu'en art, en science, en politique, ils avaient, soit par investigation, soit par expérience, appris tout ce qu'il est donné à l'homme de savoir. Tous deux étaient donc restés constamment en face, comme deux lutteurs de même force, et, dans cette longue traversée, un seul avantage avait été donné au premier de ces deux hommes sur le second: c'est que, dans un grain qui assaillit la frégate, après avoir doublé le cap de Bonne-Espérance, et dans lequel le capitaine du Leycester, blessé par la chute d'un mât de perroquet, avait été emporté évanoui dans sa cabine, le passager aux cheveux blonds s'était emparé du porte-voix, et, s'élançant sur le gaillard d'arrière, avait, en l'absence du second, retenu dans son hamac par une maladie grave, avec la fermeté d'un homme habitué au commandement et la science d'un marin consommé, ordonné à l'instant même une suite de manœuvres à l'aide desquelles la frégate avait conjuré la force de l'ouragan. Puis, le grain passé, son visage, un instant resplendissant de cet orgueil sublime qui monte au front de toute créature humaine luttant contre son Créateur, avait repris son expression ordinaire. Sa voix, dont le timbre éclatant s'était fait entendre au-dessus du roulement du tonnerre et du sifflement de la tempête, était redescendue à son diapason ordinaire; enfin, d'un geste aussi simple que ses gestes précédents avaient été poétiques et exaltés, il avait remis au lieutenant le porte-voix, ce sceptre du capitaine de vaisseau qui est, aux mains de celui qui le porte, le signe de l'absolu commandement.

      Pendant tout ce temps, son compagnon, sur la figure calme duquel, hâtons-nous de le dire, il eût été impossible de reconnaître la moindre trace d'émotion, l'avait suivi des yeux avec cette expression envieuse de l'homme obligé de se reconnaître à lui-même une infériorité sur celui dont jusque-là il s'était cru l'égal. Puis, lorsque, le danger passé, ils s'étaient retrouvés côte à côte, il s'était contenté de lui dire:

      – Vous avez donc été capitaine de vaisseau, milord?

      – Oui, avait répondu simplement celui auquel on donnait ce titre honorifique; j'ai même atteint le grade de commodore; mais, depuis six ans, je suis passé dans la diplomatie, et, au moment du péril, je me suis