Название | Le vicomte de Bragelonne, Tome III. |
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Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Et voilà ce qu'il n'osait s'avouer à lui-même, c'est que ces lancinantes atteintes avaient leur siège au coeur.
Et, en effet, il faut bien que l'historien l'avoue aux lecteurs, comme le roi se l'avouait à lui-même: il s'était laissé chatouiller le coeur par cette naïve déclaration de La Vallière; il avait cru à l'amour pur, à de l'amour pour l'homme, à de l'amour dépouillé de tout intérêt; et son âme, plus jeune et surtout plus naïve qu'il ne le supposait, avait bondi au-devant de cette autre âme qui venait de se révéler à lui par ses aspirations.
La chose la moins ordinaire dans l'histoire si complexe de l'amour, c'est la double inoculation de l'amour dans deux coeurs: pas plus de simultanéité que d'égalité; l'un aime presque toujours avant l'autre, comme l'un finit presque toujours d'aimer après l'autre. Aussi le courant électrique s'établit-il en raison de l'intensité de la première passion qui s'allume. Plus Mlle de La Vallière avait montré d'amour, plus le roi en avait ressenti.
Et voilà justement ce qui étonnait le roi.
Car il lui était bien démontré qu'aucun courant sympathique n'avait pu entraîner son coeur, puisque cet aveu n'était pas de l'amour, puisque cet aveu n'était qu'une insulte faite à l'homme et au roi, puisque enfin c'était, et le mot surtout brûlait comme un fer rouge, puisque enfin c'était une mystification.
Ainsi cette petite fille à laquelle, à la rigueur, on pouvait tout refuser, beauté, naissance, esprit, ainsi cette petite fille, choisie par Madame elle-même en raison de son humilité, avait non seulement provoqué le roi, mais encore dédaigné le roi, c'est-à- dire un homme qui, comme un sultan d'Asie, n'avait qu'à chercher des yeux, qu'à étendre la main, qu'à laisser tomber le mouchoir.
Et, depuis la veille, il avait été préoccupé de cette petite fille au point de ne penser qu'à elle, de ne rêver que d'elle; depuis la veille, son imagination s'était amusée à parer son image de tous les charmes qu'elle n'avait point; il avait enfin, lui que tant d'affaires réclamaient, que tant de femmes appelaient, il avait, depuis la veille, consacré toutes les minutes de sa vie, tous les battements de son coeur, à cette unique rêverie.
En vérité, c'était trop ou trop peu.
Et l'indignation du roi lui faisant oublier toutes choses, et entre autres que de Saint-Aignan était là, l'indignation du roi s'exhalait dans les plus violentes imprécations.
Il est vrai que Saint-Aignan était tapi dans un coin, et de ce coin regardait passer la tempête.
Son désappointement à lui paraissait misérable à côté de la colère royale.
Il comparait à son petit amour-propre l'immense orgueil de ce roi offensé, et, connaissant le coeur des rois en général et celui des puissants en particulier, il se demandait si bientôt ce poids de fureur, suspendu jusque-là sur le vide, ne finirait point par tomber sur lui, par cela même que d'autres étaient coupables et lui innocent.
En effet, tout à coup le roi s'arrêta dans sa marche immodérée, et, fixant sur de Saint-Aignan un regard courroucé.
– Et toi, de Saint-Aignan? s'écria-t-il.
De Saint-Aignan fit un mouvement qui signifiait:
– Eh bien! Sire?
– Oui, tu as été aussi sot que moi, n'est-ce pas?
– Sire, balbutia de Saint-Aignan.
– Tu t'es laissé prendre à cette grossière plaisanterie.
– Sire, dit de Saint-Aignan, dont le frisson commençait à secouer les membres, que Votre Majesté ne se mette point en colère: les femmes, elle le sait, sont des créatures imparfaites créées pour le mal; donc, leur demander le bien c'est exiger d'elles la chose impossible.
Le roi, qui avait un profond respect de lui-même, et qui commençait à prendre sur ses passions cette puissance qu'il conserva sur elles toute sa vie, le roi sentit qu'il se déconsidérait à montrer tant d'ardeur pour un si mince objet.
– Non, dit-il vivement, non, tu te trompes, Saint-Aignan, je ne me mets pas en colère; j'admire seulement que nous ayons été joués avec tant d'adresse et d'audace par ces deux petites filles. J'admire surtout que, pouvant nous instruire, nous ayons fait la folie de nous en rapporter à notre propre coeur.
– Oh! le coeur, Sire, le coeur, c'est un organe qu'il faut absolument réduire à ses fonctions physiques, mais qu'il faut destituer de toutes fonctions morales. J'avoue, quant à moi, que, lorsque j'ai vu le coeur de Votre Majesté si fort préoccupé de cette petite…
– Préoccupé, moi? mon coeur préoccupé? Mon esprit, peut-être; mais quant à mon coeur… il était…
Louis s'aperçut, cette fois encore, que pour couvrir un vide, il en allait découvrir un autre.
– Au reste, ajouta-t-il, je n'ai rien à reprocher à cette enfant.
Je savais qu'elle en aimait un autre.
– Le vicomte de Bragelonne, oui. J'en avais prévenu Votre
Majesté.
– Sans doute. Mais tu n'étais pas le premier. Le comte de La Fère m'avait demandé la main de Mlle de La Vallière pour son fils. Eh bien! à son retour d'Angleterre, je les marierai puisqu'ils s'aiment.
– En vérité, je reconnais là toute la générosité du roi.
– Tiens, Saint-Aignan, crois-moi, ne nous occupons plus de ces sortes de choses, dit Louis.
– Oui, digérons l'affront, Sire, dit le courtisan résigné.
– Au reste, ce sera chose facile, fit le roi en modulant un soupir.
– Et pour commencer, moi… dit Saint-Aignan.
– Eh bien?
– Eh bien! je vais faire quelque bonne épigramme sur le trio.
J'appellerai cela: Naïade et Dryade; cela fera plaisir à Madame.
– Fais, Saint-Aignan, fais, murmura le roi. Tu me liras tes vers, cela me distraira. Ah! n'importe, n'importe, Saint-Aignan, ajouta le roi comme un homme qui respire avec peine, le coup demande une force surhumaine pour être dignement soutenu.
Et, comme le roi achevait ainsi en se donnant les airs de la plus angélique patience, un des valets de service vint gratter à la porte de la chambre.
De Saint-Aignan s'écarta par respect.
– Entrez, fit le roi.
Le valet entrebâilla la porte.
– Que veut-on? demanda Louis.
Le valet montra une lettre pliée en forme de triangle.
– Pour Sa Majesté, dit-il.
– De quelle part?
– Je l'ignore; il a été remis par un des officiers de service.
Le roi fit signe, le valet apporta le billet.
Le roi s'approcha des bougies, ouvrit le billet, lut la signature et laissa échapper un cri.
Saint-Aignan était assez respectueux pour ne pas regarder; mais, sans regarder, il voyait et entendait.
Il accourut.
Le roi, d'un geste, congédia le valet.
– Oh! mon Dieu! fit le roi en lisant.
– Votre Majesté se trouve-t-elle indisposée? demanda Saint-Aignan les bras étendus.
– Non, non, Saint-Aignan; lis!
Et il lui passa le billet.
Les yeux de Saint-Aignan se portèrent à la signature.
– La