Название | Le vicomte de Bragelonne, Tome I. |
---|---|
Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Votre Majesté a bonne mémoire; répondit froidement l'officier.
– Voyez alors, monsieur, continua le roi, si j'ai de pareils souvenirs d'enfance, ce que je puis en amasser dans l'âge de raison.
– Votre Majesté a été richement douée par Dieu, dit l'officier avec le même ton.
– Voyons, monsieur d'Artagnan, continua Louis avec une agitation fébrile, est-ce que vous ne serez pas aussi patient que moi? est- ce que vous ne ferez pas ce que je fais? voyons.
– Et que faites-vous, Sire?
– J'attends.
– Votre Majesté le peut, parce qu'elle est jeune; mais moi, Sire, je n'ai pas le temps d'attendre: la vieillesse est à ma porte, et la mort la suit, regardant jusqu'au fond de ma maison. Votre Majesté commence la vie; elle est pleine d'espérance et de fortune à venir; mais moi, Sire, moi, je suis à l'autre bout de l'horizon, et nous nous trouvons si loin l'un de l'autre, que je n'aurais jamais le temps d'attendre que Votre Majesté vînt jusqu'à moi.
Louis fit un tour dans la chambre, toujours essuyant cette sueur qui eût bien effrayé les médecins, si les médecins eussent pu voir le roi dans un pareil état.
– C'est bien, monsieur, dit alors Louis XIV d'une voix brève; vous désirez votre retraite? vous l'aurez. Vous m'offrez votre démission du grade de lieutenant de mousquetaires?
– Je la dépose bien humblement aux pieds de Votre Majesté, Sire.
– Il suffit. Je ferai ordonnancer votre pension.
– J'en aurai mille obligations à Votre Majesté.
– Monsieur, dit encore le roi en faisant un évident effort sur lui-même, je crois que vous perdez un bon maître.
– Et moi, j'en suis sûr, Sire.
– En retrouverez-vous jamais un pareil?
– Oh! Sire je sais bien que Votre Majesté est unique dans le monde; aussi ne prendrai-je désormais plus de service chez aucun roi de la terre, et n'aurai plus d'autre maître que moi.
– Vous le dites?
– Je le jure à Votre Majesté.
– Je retiens cette parole, monsieur.
D'Artagnan s'inclina.
– Et vous savez que j'ai bonne mémoire, continua le roi.
– Oui, Sire, et cependant je désire que cette mémoire fasse défaut à cette heure à Votre Majesté, afin qu'elle oublie les misères que j'ai été forcé d'étaler à ses yeux. Sa Majesté est tellement au-dessus des pauvres et des petits, que j'espère…
– Ma Majesté, monsieur, fera comme le soleil, qui voit tout, grands et petits, riches et misérables, donnant le lustre aux uns, la chaleur aux autres, à tous la vie. Adieu, monsieur d'Artagnan, adieu, vous êtes libre.
Et le roi, avec un rauque sanglot qui se perdit dans sa gorge, passa rapidement dans la chambre voisine.
D'Artagnan reprit son chapeau sur la table où il l'avait jeté, et sortit.
Chapitre XV – Le proscrit
D'Artagnan n'était pas au bas de l'escalier que le roi appela son gentilhomme.
– J'ai une commission à vous donner, monsieur, dit-il.
– Je suis aux ordres de Votre Majesté.
– Attendez alors.
Et le jeune roi se mit à écrire la lettre suivante, qui lui coûta plus d'un soupir, quoique en même temps quelque chose comme le sentiment du triomphe brillât dans ses yeux.
«Monsieur le cardinal, Grâce à vos bons conseils, et surtout grâce à votre fermeté, j'ai su vaincre et dompter une faiblesse indigne d'un roi. Vous avez trop habilement arrangé ma destinée pour que la reconnaissance ne m'arrête pas au moment de détruire votre ouvrage. J'ai compris que j'avais tort de vouloir faire dévier ma vie de la route que vous lui aviez tracée. Certes, il eût été malheureux pour la France, et malheureux pour ma famille, que la mésintelligence éclatât entre moi et mon ministre.
C'est pourtant ce qui fût certainement arrivé si j'avais fait ma femme de votre nièce. Je le comprends parfaitement, et désormais n'opposerai rien à l'accomplissement de ma destinée. Je suis donc prêt à épouser l'infante Marie-Thérèse. Vous pouvez fixer dès cet instant l'ouverture des conférences.
Votre affectionné, Louis.»
Le roi relut la lettre, puis il la scella lui-même.
– Cette lettre à M. le cardinal, dit-il.
Le gentilhomme partit. À la porte de Mazarin, il rencontra
Bernouin qui attendait avec anxiété.
– Eh bien? demanda le valet de chambre du ministre.
– Monsieur, dit le gentilhomme, voici une lettre pour Son
Éminence.
– Une lettre! Ah! nous nous y attendions, après le petit voyage de ce matin.
– Ah! vous saviez que Sa Majesté…
– En qualité de Premier ministre, il est des devoirs de notre charge de tout savoir. Et Sa Majesté prie, supplie, je présume?
– Je ne sais, mais il a soupiré bien des fois en l'écrivant.
– Oui, oui, oui, nous savons ce que cela veut dire. On soupire de bonheur comme de chagrin, monsieur.
– Cependant, le roi n'avait pas l'air fort heureux en revenant, monsieur.
– Vous n'aurez pas bien vu. D'ailleurs, vous n'avez vu Sa Majesté qu'au retour, puisqu'elle n'était accompagnée que de son seul lieutenant des gardes. Mais moi, j'avais le télescope de Son Éminence, et je regardais quand elle était fatiguée. Tous deux pleuraient, j'en suis sûr.
– Eh bien! était-ce aussi de bonheur qu'ils pleuraient?
– Non, mais d'amour, et ils se juraient mille tendresses que le roi ne demande pas mieux que de tenir. Or, cette lettre est un commencement d'exécution.
– Et que pense Son Éminence de cet amour, qui, d'ailleurs, n'est un secret pour personne?
Bernouin prit le bras du messager de Louis, et tout en montant l'escalier:
– Confidentiellement, répliqua-t-il à demi-voix, Son Éminence s'attend au succès de l'affaire. Je sais bien que nous aurons la guerre avec l'Espagne; mais bah! la guerre satisfera la noblesse. M. le cardinal d'ailleurs dotera royalement, et même plus que royalement, sa nièce. Il y aura de l'argent, des fêtes et des coups; tout le monde sera content.
– Eh bien! à moi, répondit le gentilhomme en hochant la tête, il me semble que voici une lettre bien légère pour contenir tout cela.
– Ami, répondit Bernouin, je suis sûr de ce que je dis;
M. d'Artagnan m'a tout conté.
– Bon! et qu'a-t-il dit? voyons!
– Je l'ai abordé pour lui demander des nouvelles de la part du cardinal, sans découvrir nos desseins, bien entendu, car M. d'Artagnan est un fin limier.
« – Mon cher monsieur Bernouin, a-t-il répondu, le roi est amoureux fou de Mlle de Mancini. Voilà tout ce que je puis vous dire.
« – Eh! lui ai-je demandé, est-ce donc à ce point que vous le croyez capable de passer outre aux desseins de Son Éminence?
« – Ah! ne m'interrogez pas; je crois le roi capable de tout. Il a une tête de fer, et ce qu'il veut, il le veut bien. S'il s'est chaussé dans la cervelle d'épouser Mlle de Mancini, il l'épousera.
«Et là-dessus il m'a quitté et est allé