Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз Диккенс

Читать онлайн.
Название Le magasin d'antiquités. Tome I
Автор произведения Чарльз Диккенс
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

eux. Le meilleur parti qu'ils aient à prendre, c'est de s'occuper de leurs affaires et de me laisser le soin des miennes. Il y a là dehors un de mes amis qui m'attend; et comme, selon toute apparence, j'aurai à rester ici quelque temps, je vais, avec votre permission, le faire entrer.»

      En parlant ainsi, il fit un pas vers la porte, et, regardant dans la rue, il adressa de la main plusieurs signes à une personne qu'on ne voyait pas; celle-ci, à en juger par les marques d'impatience qui accompagnaient les appels, ne paraissait pas très-disposée à se déterminer à venir. Enfin arriva, de l'autre côté de la rue, sous le prétexte assez gauche de passer là par hasard, un individu, remarquable par son élégance malpropre; après avoir fait de nombreuses difficultés et force mouvements de tête comme pour se défendre de l'invitation, il se décida à traverser la rue et entra dans la boutique.

      «Là! dit le jeune homme le poussant devant; voici Dick Swiveller.

      Asseyez-vous, Swiveller.

      – Mais je ne sais pas si cela fait plaisir au vieux, dit M. Swiveller à demi-voix.

      – Asseyez-vous,» répéta son compagnon.

      M. Swiveller obéit, et regardant autour de lui avec un sourira câlin, il fit observer que la semaine passée avait été bonne pour les canards, et que celle-ci était bonne pour la poussière: il ajouta que, tandis qu'il attendait auprès de la lanterne, au coin de la rue, il avait vu un cochon avec de la paille au groin sortir d'un débit de tabac; d'où il avait auguré qu'on ne tarderait pas à avoir une autre semaine favorable aux canards, et que la pluie ne se ferait pas attendre; il trouva ensuite occasion de s'excuser de la négligence qu'on pouvait remarquer dans sa toilette: «C'est que, voyez-vous, la nuit dernière, dit-il, j'ai attrapé un fameux coup de soleil.» Expression par laquelle il instruisait la compagnie le plus délicatement possible qu'il s'était enivré complètement.

      «Mais qu'importe! dit M. Swiveller avec un soupir; qu'importe, pourvu que le feu de l'âme s'enflamme à la torche de la joyeuse fraternité des convives, pourvu qu'il ne tombe pas une plume de l'aile de l'amitié! Qu'importe, pourvu que l'esprit s'épanche dans des flots de vin rosé, et que le moment présent soit pour le moins le plus heureux de notre existence!

      – Vous n'avez pas besoin de faire ici le président de banquet, lui dit son ami en aparté.

      – Fred! s'écria M. Swiveller en se frappant légèrement le nez du bout du doigt; un mot suffit au sage. Fred, on peut être bon et heureux sans être riche. Pas une syllabe de plus! Je connais mon rôle: trop parler nuit. Seulement, Fred, un petit mot à l'oreille: le vieux est-il bien disposé?

      – Qu'est-ce que cela vous fait? répliqua son ami.

      – Tout cela est bel et bon, dit M. Swiveller; mais prudence est mère de sûreté.»

      En même temps il cligna de l'oeil, comme s'il avait à garder quelque secret d'importance; et, croisant ses bras en se renversant sur le dossier de sa chaise, il se mit à contempler le plafond avec une imperturbable gravité.

      D'après tout ce qui venait de se passer, on pouvait raisonnablement soupçonner que M. Swiveller n'était point encore parfaitement remis du fameux coup de soleil auquel il avait fait allusion; mais, quand ses paroles seules n'auraient pas suffi pour éveiller ce soupçon, ses cheveux, roides comme du fil d'archal, ses yeux hébétés, et la couleur livide de son visage ne témoignaient que trop des désordres de la nuit passée. Comme il l'avait fait remarquer lui-même, son costume n'était pas parfaitement soigné, ou plutôt il était d'un débraillé qui laissait supposer qu'il s'était couché tout habillé. Ce costume consistait en un habit brun, garni par devant d'une grande quantité de boutons de cuivre, mais n'en ayant qu'un seul par derrière; d'une cravate à carreaux, de couleur voyante; d'un gilet écossais; d'un pantalon blanc sale, et d'un chapeau déformé, que M. Swiveller portait sens devant derrière pour cacher un trou dans le bord. Le devant de son habit était orné d'une poche extérieure d'où sortait le coin le plus propre d'un grand vilain mouchoir. Les poignets tout noircis de sa chemise étaient tirés le plus possible et prétentieusement relevés par-dessus le bord de ses manches; il n'avait pas de gants et tenait une canne jaune ayant pour pomme une main en os qui semblait porter une bague au petit doigt et saisir à poignée une boule noire. C'était avec tous ces avantages personnels, auxquels il convient d'ajouter une forte odeur de fumée de tabac et un extérieur crasseux, que M. Swiveller s'était renversé sur son siège, les yeux fixés au plafond; de temps à autre, mettant sa voix au ton, il régalait la compagnie de quelques mesures d'un air mélancolique, puis soudain, au milieu même d'une note, il retombait dans son premier silence.

      Le vieillard s'était assis; les mains croisées, il regardait tour à tour son petit-fils et son étrange compagnon, comme s'il n'avait plus aucune autorité et qu'il en fût réduit à leur laisser faire ce qu'ils voudraient. Le jeune homme se tenait penché contre une table, à peu de distance de son ami, indifférent en apparence à ce qui se passait; et quant à moi, sentant combien il était délicat d'intervenir, bien que le vieillard eût semblé me demander assistance par ses paroles comme par ses regards, je feignis, de mon mieux, de paraître occupé à examiner quelques-uns des objets exposés pour la vente, sans avoir l'air de faire la moindre attention à la société.

      Le silence ne fut point de longue durée: en effet, M. Swiveller qui avait pris la peine de nous donner, dans les chansons qu'il fredonnait, l'assurance mélodieuse que «son coeur était dans les montagnes, et qu'il ne lui manquait que son coursier arabe pour commencer à accomplir de grands actes de bravoure et d'honneur chevaleresque,» détacha ses yeux du plafond et descendit à la vile prose.

      «Fred, dit-il, s'arrêtant tout à coup, comme si une idée soudaine lui avait traversé le cerveau, et reprenant sa voix de fausset, le vieux est-il en bonne disposition?

      – Qu'est-ce que cela vous fait? répliqua l'ami d'un ton bourru.

      – Rien; mais je vous le demande.

      – Oui, naturellement. D'ailleurs, que m'importe qu'il le soit ou non?»

      Encouragé sans doute, par cette réponse, à se jeter dans une conversation plus générale, M. Swiveller s'attacha à captiver notre attention.

      Il commença par faire remarquer que le soda-water, quoique chose bonne en soi, était de nature à refroidir l'estomac si on ne le relevait par du gingembre ou une légère infusion d'eau-de-vie; que ce dernier liquide est en tout cas préférable, sauf une petite considération, celle de la dépense. Personne ne s'aventurant à combattre ces propositions, il continua en disant que la chevelure humaine était un corps très-propre à concentrer la fumée de tabac, et que les jeunes étudiants de Westminster et d'Eton, après avoir mangé quantité de pommes pour dissimuler l'acre parfum du cigare à leurs professeurs vigilants, étaient d'ordinaire trahis par cette propriété que possède leur tête d'une façon remarquable: d'où il conclut, que si l'Académie des sciences voulait fixer son attention sur ce sujet, et essayer de trouver dans les ressources de nos connaissances acquises un moyen de prévenir ces révélations indiscrètes, elle rendrait un immense service à l'humanité tout entière. Ces idées ne furent pas plus combattues que les précédentes. Alors M. Swiveller nous apprit que le rhum de la Jamaïque, quoiqu'il soit sans contredit un spiritueux agréable, plein de richesse et d'arôme, a l'inconvénient de revenir au goût durant tout le reste de la journée. Et comme personne ne s'avisait de contester l'un ou l'autre de ces points, M. Swiveller sentit sa confiance augmenter, et devint encore plus familier et plus expansif.

      «C'est le diable, messieurs, dit-il, lorsque des parents en viennent à se brouiller Si l'aile de l'amitié ne doit jamais perdre une plume, l'aile de la parenté ne doit jamais non plus être écourtée: au contraire, elle doit toujours se développer sous un ciel serein. Pourquoi verrait-on un petit-fils et un grand-père s'attaquer avec une égale violence, quand tout devrait être entre eux bénédiction et concorde? Pourquoi ne pas unir vos mains et oublier le passé?

      – Contenez votre langue, dit Frédéric.

      – Monsieur, répliqua M. Swiveller, n'interrompez pas l'orateur. Voyons, messieurs, de quoi s'agit-il présentement? Voici un bon vieux grand-père. Je dis cela le plus respectueusement du monde, et voici