Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse. Voltaire

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Название Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse
Автор произведения Voltaire
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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avez tant délivrés de l'esclavage, et que vous les avez changés en hommes.»

      de frédéric, 26 novembre 1773. – «Quoique je sois venu trop tôt en ce monde, je ne m'en plains pas; j'ai vu Voltaire, et, si je ne le vois plus, je le lis et il m'écrit. Continuez longtemps de même et jouissez de toute la gloire qui vous est due…»

      du même, 18 novembre 1774. – «Votre lettre m'a affligé. Je ne saurais m'accoutumer à vous perdre tout à fait, et il me semble qu'il manquerait quelque chose à notre Europe si elle était privée de Voltaire.»

      du même, 10 décembre 1774. – «Non, vous ne mourrez pas de sitôt; vous prenez les suites de l'âge pour les avant-coureurs de la mort. Ce feu divin, que Prométhée déroba aux dieux et qui vous remplit, vous soutiendra et vous conservera encore longtemps. Vos sermons ne baissent pas

      du roi, 18 juin 1776. – «La raison se développe journellement dans notre Europe, les pays les plus stupides en ressentent les secousses… C'est vous, ce sont vos ouvrages qui ont produit cette révolution dans les esprits. La bonne plaisanterie a ruiné les remparts de la superstition… Jouissez de votre triomphe; que votre raison domine longues années sur les esprits que vous avez éclairés, et que le patriarche de Ferney, le coryphée de la vérité, n'oublie pas le solitaire de Sans-Souci.»

      du même, 22 octobre 1776. – «Faites-moi au moins savoir quelques nouvelles de la santé du vieux patriarche. Je n'entends pas raillerie sur son compte, je me flatte que le quart d'heure de Rabelais sonnera pour nous deux dans la même minute… et que je n'aurai pas le chagrin de lui survivre et d'apprendre sa perte, qui en sera une pour l'Europe. Ceci est sérieux: ainsi, je vous recommande à la sainte garde d'Apollon, des Grâces qui ne vous quittent jamais et des Muses qui veillent autour de vous.»

      du même, décembre 1776. – «Quelle honte pour la France de persécuter un homme unique… Quelle lâcheté plus révoltante que de répandre l'amertume sur vos derniers jours! Ces indignes procédés me mettent en colère.. Cependant soyez sûr que le plus grand crève-cœur que vous puissiez faire à vos ennemis, c'est de vivre en dépit d'eux.»

      du même, 10 février 1777. – «Vous aurez toutefois eu l'avantage de surpasser tous vos prédécesseurs par le noble héroïsme avec lequel vous avez combattu l'erreur.»

      du même, 9 novembre 1777. – «Vous êtes l'aimant qui attirez à vous les êtres qui pensent; chacun veut voir cet homme unique qui est la gloire de notre siècle.»

      du même, 25 janvier 1778. – «D'impitoyables gazetiers avaient annoncé votre mort, tout ce qui tient à la république des lettres et moi indigne, nous avons été frappés de terreur… Vivez, vivez pour continuer votre brillante carrière, pour ma satisfaction et pour celle de tous les êtres qui pensent.»

      On est heureux de voir se terminer, avec dignité et affection, une amitié, née dans l'enthousiasme et l'estime réciproques, presque rompue par de cruels orages, enfin ravivée par le malheur et consacrée par le temps, car elle ne dura pas moins de quarante-deux ans. Frédéric voulut faire lui-même l'éloge de son ami, de l'homme du siècle, dans le sein de l'Académie de Berlin.

      Et il est juste de constater que dans cet éloge, sous l'influence de l'âge et de ses regrets sincères, l'ambitieux, le despote, le dur et victorieux capitaine a prononcé ces paroles: «Quelque précieux que soient les dons du génie, ces présents que la nature ne prodigue que rarement, ne l'emportent cependant jamais sur les actes d'humanité et de bienfaisance: on admire les premiers et l'on bénit et vénère les seconds.» Il est beau pour la mémoire de Voltaire que sa noble existence ait inspiré de tels sentiments à Frédéric; et il est assez curieux de remarquer à cette occasion que Laharpe, en digne académicien, n'a indiqué comme unique ressort de la prodigieuse activité de Voltaire que l'amour de la gloire. «À mesure, dit-il, qu'il sentait la vie lui échapper, il embrassait plus fortement la gloire… Il ne respirait plus que pour elle et par elle.»

      D'Alembert, Condorcet, Diderot, Frédéric, Catherine, Turgot, Franklin, Gœthe, ont bien vengé Voltaire de la myopie du panégyriste Laharpe, myopie caractéristique et qui donne la juste mesure de la pauvreté de cœur et d'intelligence de ce faiseur de phrases.

      Quoi qu'il ait écrit et quoi qu'il ait fait, on doit dire à l'honneur et à la décharge de Frédéric: Il admira Voltaire et il l'aima autant qu'il pouvait aimer.

      Le roi survécut huit ans à son ami et mourut en 1786, à l'âge de 74 ans.

      La correspondance de Voltaire avec la plupart des membres de la famille royale de Prusse est assez considérable. Assurément, au point de vue du cœur, tous les membres de cette famille valaient beaucoup mieux que leur illustre chef. Ici, plus de traces d'amour-propre d'auteur, plus de paroles sentant le despote ayant mauvaise opinion de l'espèce humaine. On ne voit que des preuves d'une affection sincère, d'une véritable admiration, et souvent d'une reconnaissance très réelle. La margrave de Bareith et le prince royal qui succéda à son oncle le grand Frédéric, méritent d'être particulièrement distingués.

      Par son dévouement à son frère, par la part qu'elle prit à ses malheurs, par ses communications plus fréquentes et plus importantes avec Voltaire, par la manière gracieuse avec laquelle elle s'efforça de réparer l'indigne conduite de Frédéric à Francfort, la margrave de Bareith occupe naturellement la première place dans ce recueil. Cette princesse avait vécu près de Voltaire pendant son séjour en Prusse. Elle avait de l'instruction et un esprit, sans préjugés. On voit de ses lettres qui commencent ainsi: «Sœur Guillemette à frère Voltaire, salut, car je me compte parmi les heureux habitants de votre abbaye» (allusion à la société des soupers intimes de Frédéric).

      Mais c'est pendant la guerre de Sept Ans, lorsque Frédéric, attaque à la fois par l'Autriche, la France et la Russie, faillit succomber sous tant d'ennemis, que les lettres de la margrave empruntent à la gravite des circonstances et à l'état violent de son âme désespérée un intérêt extrême. Voltaire songea à opérer un rapprochement entre la cour de Berlin et celle de Versailles. Il en écrivit à cette princesse et au maréchal de Richelieu qui commandait une de nos armées en Allemagne. C'était quelques mois avant Rosbach. Le roi de Prusse semblait perdu et Voltaire, qui ne désirait point la ruine de son ancien disciple, ne songea qu'à le consoler et à essayer de le tirer de ce mauvais pas. Cette négociation n'aboutit pas, quoiqu'elle fût opportune et dans l'intérêt de la France. Mais Frédéric avait blessé l'amour-propre de Mme de Pompadour et l'abbé de Bernis, sa créature, était ministre des affaires étrangères.

      Le 19 août 1757, la margrave répondait à Voltaire:

      «On ne connaît ses amis que dans le malheur; la lettre que vous m'avez écrite fait bien de l'honneur à votre façon de penser. Je ne saurais vous témoigner combien je suis sensible à votre procédé. Le roi l'est autant que moi… Je suis dans un état affreux et je ne survivrai pas à la destruction de ma maison et de ma famille. C'est l'unique consolation qui me reste. Vous aurez de beaux sujets de tragédies… Je ne puis vous en dire davantage, mon âme est si troublée que je ne sais ce que je fais. Quoi qu'il puisse arriver, soyez persuadé que je suis plus que jamais votre amie, Wilhelmine.»

      Vingt-huit jours après, le 12 septembre, la malheureuse princesse continue ainsi: «Votre lettre m'a sensiblement touchée, celle que vous m'avez adressée pour le roi a fait le même effet sur lui. Je m'étais flattée que vos réflexions feraient quelque impression sur son esprit. Vous verrez le contraire par le billet ci-joint. Il ne me reste qu'à suivre sa destinée, si elle est malheureuse; je ne me suis jamais piquée d'être philosophe, j'ai fait mes efforts pour le devenir. Le peu de progrès que j'ai fait m'a appris à mépriser les grandeurs et les richesses, mais je n'ai rien trouvé dans la philosophie qui puisse guérir les plaies du cœur que le moyen de s'affranchir de ses maux en cessant de vivre. L'état où je suis est pire que la mort… Plût au ciel que je fusse chargée seule de tous les maux que je viens de vous décrire! je les souffrirais avec fermeté! Pardonnez-moi ce détail. Vous m'engagez, par la part que vous prenez à ce qui me regarde, à vous ouvrir mon cœur. Hélas! l'espoir en est presque banni. Que vous êtes heureux dans votre ermitage, je vous, y souhaite tout le bonheur imaginable. Si la fortune