Oeuvres illustrées de George Sand. Жорж Санд

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Название Oeuvres illustrées de George Sand
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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vous plaignez si amèrement. Si vous étiez aussi fins et aussi bons politiques que vous en avez la prétention, vous ne laisseriez pas voir que ces gens-là sont dignes de votre colère et de vos regrets. Vous garderiez un silence diplomatique. Mais vous ne le pouvez pas, et votre dépit, même à propos des moindres transfuges ou des plus faibles opposants, s'échappe malgré vous. Comment pourriez-vous vous abstenir de crier au feu et de sonner le tocsin quand des hommes comme ceux que je viens de nommer vous somment de faire votre devoir? Cependant, si vous avez sujet de vous plaindre quant à la qualité, je ne vois pas que vous soyez fondé à verser des larmes hypocrites sur la quantité de ceux qui vous abandonnent. Vos chefs ont assez bien manoeuvré depuis douze ans pour que les désertions n'aient pas été fréquentes dans votre régiment. Nous voyons bien, nous autres, qu'au contraire vous recrutez tous les jours, grâce à des arguments irrésistibles que vous possédez. Vraiment, vous avez tort d'accuser la popularité de vous ravir l'adhésion de tant d'intelligences. La popularité n'est pas riche, Messieurs, et, le fût-elle, elle n'achèterait pas. De sa nature, elle n'aime que ceux qui se donnent; et le métier n'étant pas lucratif, il est rare qu'on vous quitte pour elle. Ainsi, quand je regarde votre demeure (le poëte a dit antre, mais comme vous n'êtes pas des lions je n'appliquerai pas ce mot à votre presse conservatrice):

      Je vois fort bien comme l'on entre,

      Et ne vois pas comme on en sort.

      Allons! vous êtes des ingrats! Si vous avez vu tourner bien des têtes, et changer la couleur de bien des drapeaux fièrement plantés dans un sable mouvant, c'est vers vous que le vent de la politique a poussé tous ces oiseaux de nos rivages, et vous dites cela pour faire une belle phrase. Hélas! non, notre pays n'est pas tout plein d'illustres métamorphoses dans le sens où vous l'entendez. Ce serait à nous de les constater en sens contraire, et, quant à moi, je ne les citerai pas:

      Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui,

      Ce ne sont pas là mes affaires.

      Quant à la popularité (finissez-en avec tous vos détours qui ne servent de rien ici; c'est le peuple que vous voulez dire), le peuple compte les âmes indépendantes, véraces et fortes, que le sentiment de la charité humaine a fait tressaillir, que la révélation de la fraternité a jetées dans ses bras. Il y en a peu, fort peu malheureusement, dans vos classes éclairées; mais on s'en contente. M. La Mennais en vaut bien quelques-uns comme ceux qui vous restent. Le peuple le sait, et ne traduit pas ses déserteurs devant le jury.

      Mais dans quelle contradiction tombez-vous! j'en demande bien pardon à votre logique secrète. Vous nous peignez d'abord M. La Mennais enivré de sa popularité, recevant les acclamations du peuple, harangué par la jeunesse, porté en triomphe par les prolétaires; et puis, un instant après, vous nous le montrez comme un cerveau bizarre, excentrique, désespéré, qui n'éveille apparemment aucune sympathie, puisque, dans son orgueilleuse démence, il se venge de son isolement sur la société tout entière. Il faut pourtant choisir: ou M. La Mennais vit modestement retiré de tout contact extérieur avec cette popularité qui le cherche (et c'est là la vérité), et dans ce cas il n'est ni chagrin ni colère; ou bien il vit dans les triomphes de cette popularité, et il n'a ni envie ni sujet de s'en prendre à vos personnes de son isolement et de son abandon. Encore une fois, vous faites des phrases, vous les faites fort bien; mais c'est de l'éloquence secrète que personne ne comprend.

      Puis, vous vous attaquez à son style, à son énergie, à la grandeur de sa forme, à la brûlante indignation de sa parole. Vous les qualifiez de rage concentrée, de sombre vengeance, de haine démagogique. Vraiment, vous avez trop de douceur et de charité pour souffrir cela, et vous dites dans votre style, à vous, qui est bénin et apostolique au dernier point: «Aussi rusé que violent, il attire sa victime dans un cercle de métaphores, l'enlace dans un réseau de poésie, la saisit doucement et l'égorge avec fureur.» Tout doux! vous vous échauffez trop, ami de la paix! Mais il ne suffit pas d'être beau diseur, il faut encore savoir ce qu'on dit. Quelle victime M. La Mennais a-t-il donc égorgée ainsi? Je n'en avais ouï parler de ma vie. Mangerait-il des enfants à son déjeuner, comme feu Byron et feu Napoléon? Allons, vous vous trompez. Il n'a jamais coupé la langue ni les oreilles à personne; et si vous lui demandiez de tailler votre plume, elle serait mieux taillée qu'elle ne l'a jamais été. Vous en seriez satisfait, et il vous donnerait encore l'encre et le papier pour écrire contre lui aussi secrètement que vous voudriez. C'est donc le lecteur, un lecteur quelconque, que vous voulez désigner par cette victime prise en sa phrase comme en une toile d'araignée, et puis égorgée si doucettement? Vraiment, si quelque lecteur se plaint d'avoir été traité ainsi, il faut que en soit un lecteur visionnaire, tourmenté de quelque affreux remords et assailli d'un bien sombre cauchemar. La beauté du style lui aura semblé un noeud coulant, l'indignation de l'écrivain un gril de fer rouge, et la vérité une strangulation finale. Je ne pensais pas qu'on gagnât de telles angines à lire une belle prédication, et je n'aurais pas conseillé à des gens si délicats d'aller entendre Massillon, Bourdaloue, et encore moins saint Matthieu nous racontant la sainte colère du Christ. Mon avis est, puisque ces gens sont si pernicieux que de tuer, par la parole, les personnes mal contentes d'elles-mêmes (vu qu'il y a beaucoup de ces personnes-là), d'envoyer M. La Mennais en prison, les prédicateurs et les prophètes, les poëtes et les saints, depuis le divin maître, qui se permettait de chasser du temple, sans aucun procédé, d'honnêtes spéculateurs et d'honorables industriels, jusqu'au Dante, qui a fait parler le diable trop crûment, enfin toute cette séquelle de diseurs de vérités dures, au feu, pêle-mêle et sans retard. Le ministère ne peut pas triompher sans cela dans les chambres. Vous l'avez dit et prouvé, je me rends.

      Il y a cependant une exception que vous daignerez faire. Vous aimez Montesquieu, à ce qu'il paraît, et vous goûtez assez les Lettres persanes. On leur fera grâce, puisqu'elles vous amusent. Elles ont paru dans leur temps, d'ailleurs, et nous n'étions pas là. Il est assez probable qu'il n'a pas eu l'intention de nous désobliger. Les moeurs étaient si corrompues dans son temps! et aujourd'hui elles sont si pures! il faut bien pardonner quelque chose aux réformateurs qui sont morts, surtout quand ils ont eu la précaution d'envelopper leurs allusions sous un voile épais, et de ne pas appeler un chat un chat.

      Il reste un compliment à vous faire sur l'admirable bonne foi avec laquelle vous avez fait parler des démons dans vos citations, sans jamais laisser intervenir les anges, sans daigner faire mention de leur rôle et de leurs conclusions dans le poëme de M. La Mennais. Si vous eussiez vécu au temps de Michel-Ange, et que, parmi les affreuses figures qui occupent le bas de son tableau du Jugement dernier, vous eussiez cru saisir quelque allusion à des gens de votre connaissance, vous auriez fait mutiler la partie du chef-d'oeuvre où les saints et les anges apparaissent dans leur splendeur; et, appelant l'attention du public sur cette oeuvre infernale, vous eussiez conclu, de cette représentation allégorique du crime et du vice, à l'immoralité et à la férocité du peintre. C'est une nouvelle manière de juger et de critiquer, qui est tout à fait de mode en ce temps-ci. Dans un roman de Walter Scott, un vieux seigneur, contemporain de Shakspeare, mais amateur encroûté des classiques de sa jeunesse, s'élève avec indignation contre l'auteur d'Hamlet et d'Othello. «Vous voyez bien, dit-il aux jeunes gens, pour les dégoûter de cette pernicieuse lecture, que votre Shakspeare est un scélérat, un homme capable de toutes les trahisons et imbu des plus abominables principes. Voyez seulement comment il fait parler Yago! Il n'est qu'un fourbe et un menteur qui puisse créer de pareils types, et leur mettre dans la bouche des discours d'une telle force et d'une telle vraisemblance.» Ce bon seigneur aurait voulu que l'honest Yago parlât comme un saint en agissant comme un diable; et il faut convenir que Racine, peignant les coupables ardeurs de Phèdre, osant nommer l'infâme Pasiphaé et tracer ce vers immoral:

      C'est Vénus tout entière à sa proie attachée,

      se montrait bien ennemi des convenances et bien entaché d'inceste et d'adultère dans ses secrets instincts. On n'y prit pas garde d'abord. Le siècle était si corrompu! Mais on doit s'en offenser et condamner Racine, aujourd'hui qu'on est pieux et austère jusqu'à ne pas permettre à l'art et à la poésie de peindre le vice et le crime sous des couleurs sombres et avec l'énergie