Les mille et un fantômes. Dumas Alexandre

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Название Les mille et un fantômes
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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même si elle poussa un cri – la tête roula. Dans ce moment-là, je ne voulais pas mourir; – je voulais me sauver. – Je comptais faire un trou dans la cave et l'enterrer. – Je sautai sur la tête, qui roulait pendant que le corps sautait de son côté. – J'avais un sac de plâtre tout prêt pour cacher le sang. – Je pris donc la tête ou plutôt la tête me prit. – Voyez.

      Et il montra sa main droite, dont une large morsure avait mutilé le pouce.

      – Comment! la tête vous prit? dit le docteur. Que diable dites-vous donc là?

      – Je dis qu'elle m'a mordu à belles dents, comme vous voyez. Je dis qu'elle ne voulait pas me lâcher. Je la posai sur le sac de plâtre, je l'appuyai contre le mur avec ma main gauche, et j'essayai de lui arracher la droite; mais, au bout d'un instant, les dents se desserrèrent toutes seules. Je retirai ma main; alors, voyez-vous, c'était peut-être de la folie, mais il me sembla que la tête était vivante; les yeux étaient tout grands ouverts. Je les voyais bien, puisque la chandelle était sur le tonneau, et puis les lèvres, les lèvres remuaient, et, en remuant, les lèvres ont dit: —Misérable, j'étais innocente!

      Je ne sais pas l'effet que cette déposition faisait sur les autres; mais, quant à moi, je sais que l'eau me coulait sur le front.

      – Ah! c'est trop fort! s'écria le docteur, les yeux t'ont regardé, les lèvres ont parlé?

      – Écoutez, monsieur le docteur, comme vous êtes un médecin, vous ne croyez à rien, c'est naturel; mais moi je vous dis que la tête que vous voyez là, là, entendez-vous? je vous dis que la tête qui m'a mordu, je vous dis que cette tête-là m'a dit: Misérable, j'étais innocente! Et la preuve qu'elle me l'a dit, eh, bien! c'est que je voulais me sauver après l'avoir tuée; Jeanne, n'est-ce pas? et qu'au lieu de me sauver, j'ai couru chez M. le maire, pour me dénoncer moi-même. Est-ce vrai, monsieur le maire, est-ce vrai? répondez.

      – Oui, Jacquemin, répondit M. Ledru d'un ton de parfaite bonté; oui, c'est vrai.

      – Examinez la tête, docteur, dit le commissaire de police.

      – Quand je serai parti, monsieur Robert, quand je serai parti! s'écria Jacquemin.

      – N'as-tu pas peur qu'elle te parle encore, imbécile! dit le docteur en prenant la lumière et s'approchant du sac de plâtre.

      – Monsieur Ledru, au nom de Dieu, dit Jacquemin, dites-leur de me laisser en aller, je vous en prie, je vous en supplie!

      – Messieurs, dit le maire en faisant un geste qui arrêta le docteur, – vous n'avez plus rien à tirer de ce malheureux; permettez que je le fasse conduire en prison. – Quand la loi a ordonné la confrontation, elle a supposé que l'accusé aurait la force de la soutenir.

      – Mais le procès-verbal? dit le commissaire.

      – Il est à peu près fini.

      – Il faut que l'accusé le signe

      – Il le signera dans sa prison.

      – Oui! oui! s'écria Jacquemin, dans la prison je signerai tout ce que vous voudrez.

      – C'est bien! fit le commissaire de police.

      – Gendarmes! emmenez cet homme, dit M. Ledru.

      – Ah! merci, monsieur Ledru, merci, dit Jacquemin avec l'expression d'une profonde reconnaissance.

      Et, prenant lui-même les deux gendarmes par le bras, il les entraîna vers le haut de l'escalier avec une force surhumaine.

      Cet homme parti, le drame était parti avec lui. – Il ne restait plus dans la cave que deux choses hideuses à voir un cadavre sans tête et une tête sans corps.

      Je me penchai à mon tour vers M. Ledru.

      – Monsieur, lui dis-je, m'est-il permis de me retirer, tout en demeurant à votre disposition pour la signature du procès-verbal?

      – Oui, monsieur, mais aune condition.

      – Laquelle?

      – C'est que vous viendrez signer le procès-verbal chez moi.

      – Avec le plus grand plaisir, monsieur, mais quand cela?

      – Dans une heure à peu près. Je vous montrerai ma maison; elle a appartenu à Scarron, cela vous intéressera.

      – Dans une heure, monsieur, je serai chez vous.

      Je saluai, et je remontai l'escalier à mon tour; arrivé aux plus hauts degrés, je jetai un dernier coup d'oeil dans la cave.

      Le docteur Robert, sa chandelle à la main, écartait les cheveux de la tête: c'était celle d'une femme encore belle, autant qu'on pouvait en juger, car les yeux étaient fermés, les lèvres contractées et livides.

      – Cet imbécile de Jacquemin! dit-il, – soutenir qu'une tête coupée peut parler; – à moins qu'il n'ait été inventer cela pour faire croire qu'il était fou; – ce ne serait pas si mal joué: il y aurait circonstances atténuantes.

      IV

      LA MAISON DE SCARRON

      Une heure après, j'étais chez M. Ledru. Le hasard fit que je le rencontrai dans la cour.

      – Ah! dit-il en m'apercevant, vous voilà; tant mieux, je ne suis pas fâché de causer un peu avec vous avant de vous présenter à nos convives, car vous dînez avec nous, n'est-ce pas?

      – Mais, monsieur, vous m'excuserez.

      – Je n'admets pas d'excuses, vous tombez sur un jeudi; tant pis pour vous: le jeudi, c'est mon jour: tout ce qui entre chez moi le jeudi m'appartient en pleine propriété. Après le dîner, vous serez libre de rester ou de partir. Sans l'événement de tantôt, vous m'auriez trouvé à table, attendu que je dîne invariablement à deux heures. Aujourd'hui, par extraordinaire, nous dînerons à trois heures et demie ou quatre. Pyrrhus que vous voyez, – et M. Ledru me montrait un magnifique molosse, – Pyrrhus a profité de l'émotion de la mère Antoine pour s'emparer du gigot: c'était son droit, de sorte qu'on a été obligé d'en aller chercher un autre chez le boucher. Je disais que cela me donnerait le temps, non-seulement de vous présenter à mes convives, mais encore celui de vous donner sur eux quelques renseignements.

      – Quelques renseignements?

      – Oui, ce sont des personnages qui, comme ceux du Barbier de Séville et de Figaro, ont besoin d'être précédés d'une certaine explication sur le costume et le caractère; mais commençons d'abord par la maison.

      – Vous m'avez dit, je crois, monsieur, qu'elle avait appartenu à Scarron?

      – Oui, c'est ici que la future épouse du roi Louis XIV, en attendant qu'elle amusât l'homme inamusable, soignait le pauvre cul-de-jatte, son premier mari. Vous verrez sa chambre.

      – A madame de Maintenon?

      – Non, à madame Scarron; – ne confondons point: la chambre de madame de Maintenon est à Versailles ou à Saint-Cyr. – Venez.

      Nous montâmes un grand escalier, et nous nous trouvâmes dans un corridor donnant sur la cour.

      – Tenez, me dit M. Ledru, voilà qui vous touche, monsieur le poète; c'est du plus pur Phébus qui se parlât en 1650.

      – Ah! ah! la carte du Tendre.

      – Aller et retour, tracée par Scarron et annotée de la main de sa femme; rien que cela.

      En effet, deux cartes tenaient les entre-deux des fenêtres.

      Elles étaient tracées à la plume, sur une grande feuille de papier collée sur carton.

      – Vous voyez, continua M. Ledru, ce grand serpent bleu, c'est le fleuve du Tendre; ces petits colombiers, ce sont les hameaux Petits-Soins, Billets-Doux, Mystère. Voilà l'auberge du Désir, la vallée des Douceurs, le pont des Soupirs, la forêt de la Jalousie, toute peuplée de monstres comme celle d'Armide. Enfin, au milieu du lac où le fleuve prend sa source, voici le palais