Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Название Vingt ans après
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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événements que nous avons racontés dans une précédente histoire, il semblait au cardinal qu'il avait entendu prononcer ce nom comme celui d'un homme qui, dans une circonstance qui n'était plus présente à son esprit, s'était fait remarquer comme un modèle de courage, d'adresse et de dévouement.

      Cette idée s'était tellement emparée de son esprit, qu'il résolut de l'éclaircir sans retard; mais ces renseignements qu'il désirait sur d'Artagnan, ce n'était point à d'Artagnan lui-même qu'il fallait les demander. Aux quelques mots qu'avait prononcés le lieutenant des mousquetaires, le cardinal avait reconnu l'origine gasconne; et Italiens et Gascons se connaissent trop bien et se ressemblent trop pour s'en rapporter les uns aux autres de ce qu'ils peuvent dire d'eux-mêmes. Aussi, en arrivant aux murs dont le jardin du Palais-Royal était enclos, le cardinal frappa-t-il à une petite porte située à peu près où s'élève aujourd'hui le café de Foy, et, après avoir remercié d'Artagnan et l'avoir invité à l'attendre dans la cour du Palais-Royal, fit-il signe à Guitaut de le suivre. Tous deux descendirent de cheval, remirent la bride de leur monture au laquais qui avait ouvert la porte et disparurent dans le jardin.

      – Mon cher Guitaut, dit le cardinal en s'appuyant sur le bras du vieux capitaine des gardes, vous me disiez tout à l'heure qu'il y avait tantôt vingt ans que vous étiez au service de la reine?

      – Oui, c'est la vérité, répondit Guitaut.

      – Or, mon cher Guitaut, continua le cardinal, j'ai remarqué qu'outre votre courage, qui est hors de contestation, et votre fidélité, qui est à toute épreuve, vous aviez une admirable mémoire.

      – Vous avez remarqué cela, Monseigneur? dit le capitaine des gardes; diable! tant pis pour moi.

      – Comment cela?

      – Sans doute, une des premières qualités du courtisan est de savoir oublier.

      – Mais vous n'êtes pas un courtisan, vous, Guitaut, vous êtes un brave soldat, un de ces capitaines comme il en reste encore quelques-uns du temps du roi Henri IV, mais comme malheureusement il n'en restera plus bientôt.

      – Peste, Monseigneur! m'avez-vous fait venir avec vous pour me tirer mon horoscope?

      – Non, dit Mazarin en riant; je vous ai fait venir pour vous demander si vous aviez remarqué notre lieutenant de mousquetaires.

      – M. d'Artagnan?

      – Oui.

      – Je n'ai pas eu besoin de le remarquer, Monseigneur, il y a longtemps que je le connais.

      – Quel homme est-ce, alors?

      – Eh mais, dit Guitaut, surpris de la demande, c'est un Gascon!

      – Oui, je sais cela; mais je voulais vous demander si c'était un homme en qui l'on pût avoir confiance.

      – M. de Tréville le tient en grande estime, et M. de Tréville, vous le savez, est des grands amis de la reine.

      – Je désirais savoir si c'était un homme qui eût fait ses preuves.

      – Si c'est comme brave soldat que vous l'entendez, je crois pouvoir vous répondre que oui. Au siège de La Rochelle, au pas de Suze, à Perpignan, j'ai entendu dire qu'il avait fait plus que son devoir.

      – Mais, vous le savez, Guitaut, nous autres pauvres ministres, nous avons souvent besoin encore d'autres hommes que d'hommes braves. Nous avons besoin de gens adroits. M. d'Artagnan ne s'est- il pas trouvé mêlé du temps du cardinal dans quelque intrigue dont le bruit public voudrait qu'il se fût tiré fort habilement?

      – Monseigneur, sous ce rapport, dit Guitaut, qui vit bien que le cardinal voulait le faire parler, je suis forcé de dire à Votre Éminence que je ne sais que ce que le bruit public a pu lui apprendre à elle-même. Je ne me suis jamais mêlé d'intrigues pour mon compte, et si j'ai parfois reçu quelque confidence à propos des intrigues des autres, comme le secret ne m'appartient pas, Monseigneur trouvera bon que je le garde à ceux qui me l'ont confié.

      Mazarin secoua la tête.

      – Ah! dit-il, il y a, sur ma parole, des ministres bien heureux, et qui savent tout ce qu'ils veulent savoir.

      – Monseigneur, reprit Guitaut, c'est que ceux-là ne pèsent pas tous les hommes dans la même balance, et qu'ils savent s'adresser aux gens de guerre pour la guerre et aux intrigants pour l'intrigue. Adressez-vous à quelque intrigant de l'époque dont vous parlez, et vous en tirerez ce que vous voudrez, en payant, bien entendu.

      – Eh, pardieu! reprit Mazarin en faisant une certaine grimace qui lui échappait toujours lorsqu'on touchait avec lui la question d'argent dans le sens que venait de le faire Guitaut… on paiera… s'il n'y a pas moyen de faire autrement.

      – Est-ce sérieusement que Monseigneur me demande de lui indiquer un homme qui ait été mêlé dans toutes les cabales de cette époque?

      – Per Bacco! reprit Mazarin, qui commençait à s'impatienter, il y a une heure que je ne vous demande pas autre chose, tête de fer que vous êtes.

      – Il y en a un dont je vous réponds sous ce rapport, s'il veut parler toutefois.

      – Cela me regarde.

      – Ah, Monseigneur! ce n'est pas toujours chose facile, que de faire dire aux gens ce qu'ils ne veulent pas dire.

      – Bah! avec de la patience on y arrive. Eh bien! cet homme c'est…

      – C'est le comte de Rochefort.

      – Le comte de Rochefort!

      – Malheureusement il a disparu depuis tantôt quatre ou cinq ans et je ne sais ce qu'il est devenu.

      – Je le sais, moi, Guitaut, dit Mazarin.

      – Alors, de quoi se plaignait donc tout à l'heure Votre Éminence, de ne rien savoir?

      – Et, dit Mazarin, vous croyez que Rochefort…

      – C'était l'âme damnée du cardinal, Monseigneur; mais, je vous en préviens, cela vous coûtera cher; le cardinal était prodigue avec ses créatures.

      – Oui, oui, Guitaut, dit Mazarin, c'était un grand homme, mais il avait ce défaut-là. Merci, Guitaut, je ferai mon profit de votre conseil, et cela ce soir même.

      Et comme en ce moment les deux interlocuteurs étaient arrivés à la cour du Palais-Royal, le cardinal salua Guitaut d'un signe de la main; et apercevant un officier qui se promenait de long en large, il s'approcha de lui.

      C'était d'Artagnan qui attendait le retour du cardinal, comme celui-ci en avait donné l'ordre.

      – Venez, monsieur d'Artagnan, dit Mazarin de sa voix la plus flûtée, j'ai un ordre à vous donner.

      D'Artagnan s'inclina, suivit le cardinal par l'escalier secret, et, un instant après, se retrouva dans le cabinet d'où il était parti. Le cardinal s'assit devant son bureau et prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit quelques lignes.

      D'Artagnan, debout, impassible, attendit sans impatience comme sans curiosité: il était devenu un automate militaire, agissant, ou plutôt obéissant par ressort.

      Le cardinal plia la lettre et y mit son cachet.

      – Monsieur d'Artagnan, dit-il, vous allez porter cette dépêche à la Bastille, et ramener la personne qui en est l'objet; vous prendrez un carrosse, une escorte et vous garderez soigneusement le prisonnier.

      D'Artagnan prit la lettre, porta la main à son feutre, pivota sur ses talons, comme eût pu le faire le plus habile sergent instructeur, sortit, et, un instant après, on l'entendit commander de sa voix brève et monotone:

      – Quatre hommes d'escorte, un carrosse, mon cheval.

      Cinq minutes après, on entendait les roues de la voiture et les fers des chevaux retentir sur le pavé de la cour.

      III. Deux anciens ennemis

      D'Artagnan arrivait à la Bastille comme huit heures et demie sonnaient.

      Il se fit annoncer