Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

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Название Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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détails de son entrevue avec le roi. Vous permettez, n'est-ce pas, que M. le comte continue?

      Et les yeux du jeune homme semblaient vouloir lire jusqu'au fond du coeur du mousquetaire.

      – Son entrevue avec le roi? fit d'Artagnan d'un ton si naturel, qu'il n'y avait pas moyen de douter de son étonnement. Vous avez donc vu le roi, Athos?

      Athos sourit.

      – Oui, dit-il, je l'ai vu.

      – Ah! vraiment, vous ignoriez que le comte eût vu Sa Majesté? demanda Raoul à demi rassuré.

      – Ma foi, oui! tout à fait.

      – Alors, me voilà plus tranquille, dit Raoul.

      – Tranquille, et sur quoi? demanda Athos.

      – Monsieur, dit Raoul, pardonnez-moi; mais, connaissant l'amitié que vous me faites l'honneur de me porter, je craignais que vous n'eussiez un peu vivement exprimé à Sa Majesté ma douleur et votre indignation, et qu'alors le roi…

      – Et qu'alors le roi? répéta d'Artagnan. Voyons, achevez, Raoul.

      – Excusez-moi à votre tour, monsieur d'Artagnan, dit Raoul. Un instant j'ai tremblé, je l'avoue, que vous ne vinssiez pas ici comme M. d'Artagnan, mais comme capitaine de mousquetaires.

      – Vous êtes fou, mon pauvre Raoul, s'écria d'Artagnan avec un éclat de rire dans lequel un exact observateur eût peut-être désiré plus de franchise.

      – Tant mieux! dit Raoul.

      – Oui, fou, et savez-vous ce que je vous conseille?

      – Dites, monsieur; venant de vous, l'avis doit être bon.

      – Eh bien! je vous conseille, après votre voyage, après votre visite chez M. de Guiche, après votre visite chez Madame, après votre visite chez Porthos, après votre voyage à Vincennes, je vous conseille de prendre quelque repos; couchez-vous, dormez douze heures, et, à votre réveil, fatiguez-moi un bon cheval.

      Et, l'attirant à lui, il l'embrassa comme il eût fait de son propre enfant. Athos en fit autant; seulement, il était visible que le baiser était plus tendre et la pression plus forte encore chez le père que chez l'ami.

      Le jeune homme regarda de nouveau ces deux hommes, en appliquant à les pénétrer toutes les forces de son intelligence. Mais son regard s'émoussa sur la physionomie riante du mousquetaire et sur la figure calme et douce du comte de La Fère.

      – Et où allez-vous, Raoul? demanda ce dernier, voyant que

      Bragelonne s'apprêtait à sortir.

      – Chez moi, monsieur, répondit celui-ci de sa voix douce et triste.

      – C'est donc là qu'on vous trouvera, vicomte, si l'on a quelque chose à vous dire?

      – Oui, monsieur. Est-ce que vous prévoyez avoir quelque chose à me dire?

      – Que sais-je! dit Athos.

      – Oui, de nouvelles consolations, dit d'Artagnan en poussant tout doucement Raoul vers la porte.

      Raoul, voyant cette sérénité dans chaque geste des deux amis, sortit de chez le comte, n'emportant avec lui que l'unique sentiment de sa douleur particulière.

      – Dieu soit loué, dit-il, je puis donc ne plus penser qu'à moi.

      Et, s'enveloppant de son manteau, de manière à cacher aux passants son visage attristé, il sortit pour se rendre à son propre logement, comme il l'avait promis à Porthos.

      Les deux amis avaient vu le jeune homme s'éloigner avec un sentiment pareil de commisération.

      Seulement, chacun d'eux l'avait exprimé d'une façon différente.

      – Pauvre Raoul! avait dit Athos en laissant échapper un soupir.

      – Pauvre Raoul! avait dit d'Artagnan en haussant les épaules.

      Chapitre CXCIX – Heu! miser!

      «Pauvre Raoul!» avait dit Athos. «Pauvre Raoul!» avait dit d'Artagnan. En effet, plaint par ces deux hommes si forts, Raoul devait être un homme bien malheureux.

      Aussi, lorsqu'il se trouva seul en face de lui-même, laissant derrière lui l'ami intrépide et le père indulgent, lorsqu'il se rappela l'aveu fait par le roi de cette tendresse qui lui volait sa bien-aimée Louise de La Vallière, il sentit son coeur se briser, comme chacun de nous l'a senti se briser une fois à la première illusion détruite, au premier amour trahi.

      – Oh! murmura-t-il, c'en est donc fait! Plus rien dans la vie! Rien à attendre, rien à espérer! Guiche me l'a dit, mon père me l'a dit, M. d'Artagnan me l'a dit. Tout est donc un rêve en ce monde! C'était un rêve que cet avenir poursuivi depuis dix ans! Cette union de nos coeurs, c'était un rêve! Cette vie toute d'amour et de bonheur, c'était un rêve!

      Pauvre fou de rêver ainsi tout haut et publiquement, en face de mes amis et de mes ennemis, afin que mes amis s'attristent de mes peines et que mes ennemis rient de mes douleurs!..

      Ainsi, mon malheur va devenir une disgrâce éclatante, un scandale public. Ainsi, demain, je serai montré honteusement au doigt!

      Et, malgré le calme promis à son père et à d'Artagnan, Raoul fit entendre quelques paroles de sourde menace.

      – Et cependant, continua-t-il, si je m'appelais de Wardes, et que j'eusse à la fois la souplesse et la vigueur de M. d'Artagnan, je rirais avec les lèvres, je convaincrais les femmes que cette perfide, honorée de mon amour, ne me laisse qu'un regret, celui d'avoir été abusé par ses semblants d'honnêteté; quelques railleurs flagorneraient le roi à mes dépens; je me mettrais à l'affût sur le chemin des railleurs, j'en châtierais quelques-uns. Les hommes me redouteraient et, au troisième que j'aurais couché à mes pieds, je serais adoré par les femmes.

      Oui, voilà un parti à prendre, et le comte de La Fère lui-même n'y répugnerait pas. N'a-t-il pas été éprouvé, lui aussi, au milieu de sa jeunesse, comme je viens de l'être? N'a-t-il pas remplacé l'amour par l'ivresse? Il me l'a dit souvent. Pourquoi, moi, ne remplacerais-je pas l'amour par le plaisir?

      Il avait souffert autant que je souffre, plus peut-être! L'histoire d'un homme est donc l'histoire de tous les hommes? une épreuve plus ou moins longue plus ou moins douloureuse? La voix de l'humanité tout entière n'est qu'un long cri.

      Mais qu'importe la douleur des autres à celui qui souffre? La plaie ouverte dans une autre poitrine adoucit-elle la plaie béante sur la nôtre? Le sang qui coule à côté de nous tarit-il notre sang? Cette angoisse universelle diminue-t-elle l'angoisse particulière? Non, chacun souffre pour soi, chacun lutte avec sa douleur, chacun pleure ses propres larmes.

      Et, d'ailleurs, qu'a été la vie pour moi jusqu'à présent? Une arène froide et stérile où j'ai combattu pour les autres toujours, pour moi jamais.

      Tantôt pour un roi, tantôt pour une femme.

      Le roi m'a trahi, la femme m'a dédaigné.

      Oh! malheureux!.. Les femmes! Ne pourrais-je donc faire expier à toutes le crime de l'une d'elles?

      Que faut-il pour cela?.. N'avoir plus de coeur, ou oublier qu'on en a un; être fort, même contre la faiblesse; appuyer toujours, même lorsque l'on sent rompre.

      Que faut-il pour en arriver là? Être jeune, beau, fort, vaillant, riche. Je suis ou je serai tout cela.

      Mais l'honneur? Qu'est-ce que l'honneur? Une théorie que chacun comprend à sa façon. Mon père me disait: «L'honneur, c'est le respect de ce que l'on doit aux autres, et surtout de ce qu'on se doit à soi-même.» Mais de Guiche, mais Manicamp, mais de Saint- Aignan surtout me diraient: «L'honneur consiste à servir les passions et les plaisirs de son roi.» Cet honneur-là est facile et productif. Avec cet honneur-là, je puis garder mon poste à la Cour, devenir gentilhomme de la Chambre, avoir un beau et bon régiment à moi. Avec cet honneur-là, je puis être duc et pair.

      La tache que vient de m'imprimer cette femme, cette douleur avec laquelle elle vient