Название | Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs |
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Автор произведения | François Fénelon |
Жанр | Историческая литература |
Серия | |
Издательство | Историческая литература |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Mentor me répondit: Le vrai courage trouve toujours quelque ressource. Ce n'est pas assez d'être prêt à recevoir tranquillement la mort; il faut, sans la craindre, faire tous ses efforts pour la repousser. Prenons, vous et moi, un de ces grands bancs de rameurs. Tandis que cette multitude d'hommes timides et troublés regrette la vie sans chercher les moyens de la conserver, ne perdons pas un moment pour sauver la nôtre. Aussitôt il prend une hache, il achève de couper le mât qui était déjà rompu, et qui, penchant dans la mer, avait mis le vaisseau sur le côté; il jette le mât hors du vaisseau, et s'élance dessus au milieu des ondes furieuses; il m'appelle par mon nom, et m'encourage pour le suivre. Tel qu'un grand arbre que tous les vents conjurés attaquent, et qui demeure immobile sur ses profondes racines, en sorte que la tempête ne fait qu'agiter ses feuilles*; de même Mentor, non-seulement ferme et courageux, mais doux et tranquille, semblait commander aux vents et à la mer. Je le suis: et qui aurait pu ne pas le suivre, étant encouragé par lui?
Nous nous conduisions nous-mêmes sur ce mât flottant. C'était un grand secours pour nous, car nous pouvions nous asseoir dessus; et, s'il eût fallu nager sans relâche, nos forces eussent été bientôt épuisées. Mais souvent la tempête faisait tourner cette grande pièce de bois, et nous nous trouvions enfoncés dans la mer: alors nous buvions l'onde amère, qui coulait de notre bouche, de nos narines, et de nos oreilles: nous étions contraints de disputer contre les flots, pour rattraper le dessus de ce mât. Quelquefois aussi une vague haute comme une montagne venait passer sur nous; et nous nous tenions fermes, de peur que, dans cette violente secousse, le mât, qui était notre unique espérance, ne nous échappât.
Pendant que nous étions dans cet état affreux, Mentor, aussi paisible qu'il l'est maintenant sur ce siège de gazon, me disait: Croyez-vous, Télémaque, que votre vie soit abandonnée aux vents et aux flots? Croyez-vous qu'ils puissent vous faire périr sans l'ordre des dieux? Non, non; les dieux décident de tout. C'est donc les dieux, et non pas la mer, qu'il faut craindre. Fussiez-vous au fond des abîmes, la main de Jupiter pourrait vous en tirer. Fussiez-vous dans l'Olympe, voyant les astres sous vos pieds, Jupiter pourrait vous plonger au fond de l'abîme, ou vous précipiter dans les flammes du noir Tartare. J'écoutais et j'admirais ce discours, qui me consolait un peu; mais je n'avais pas l'esprit assez libre pour lui répondre. Il ne me voyait point: je ne pouvais le voir. Nous passâmes toute la nuit, tremblants de froid et demi-morts, sans savoir où la tempête nous jetait. Enfin les vents commencèrent à s'apaiser; et la mer mugissante ressemblait à une personne qui, ayant été longtemps irritée, n'a plus qu'un reste de trouble et d'émotion, étant lasse de se mettre en fureur; elle grondait sourdement, et ses flots n'étaient presque plus que comme les sillons qu'on trouve dans un champ labouré.
Cependant, l'Aurore vint ouvrir au Soleil les portes du ciel et nous annonça un beau jour. L'orient était tout en feu; et les étoiles, qui avaient été si longtemps cachées, reparurent, et s'enfuirent à l'arrivée de Phébus. Nous aperçûmes de loin la terre, et le vent nous en approchait: alors je sentis l'espérance renaître dans mon cœur. Mais nous n'aperçûmes aucun de nos compagnons: selon les apparences, ils perdirent courage, et la tempête les submergea tous avec le vaisseau. Quand nous fûmes auprès de la terre, la mer nous poussait contre des pointes de rochers qui nous eussent brisés; mais nous tâchions de leur présenter le bout de notre mât: et Mentor faisait de ce mât ce qu'un sage pilote fait du meilleur gouvernail. Ainsi nous évitâmes ces rochers affreux, et nous trouvâmes enfin une côte douce et unie où, nageant sans peine, nous abordâmes sur le sable. C'est là que vous nous vîtes, ô grande déesse qui habitez cette île; c'est là que vous daignâtes nous recevoir.
LIVRE SIXIÈME
Calypso, ravie d'admiration par le récit de Télémaque, conçoit une violente passion pour lui et met tout en œuvre pour faire naître chez lui le même sentiment. – Vénus, pour la seconder, amène dans l'île son fils Cupidon avec ordre de percer de ses flèches le cœur de Télémaque. – Celui-ci éprouve bientôt pour la nymphe Eucharis une folle passion qui excite la colère et la jalousie de Calypso. – Elle jure par le Styx de faire sortir Télémaque de son île, et elle presse Mentor de construire un vaisseau pour le conduire à Ithaque. – Cupidon persuade aux nymphes de brûler le navire. – A la vue des flammes, Télémaque éprouve une certaine joie; mais le sage Mentor le précipite dans la mer et s'y jette avec lui. – Ils gagnent à la nage un autre navire alors arrêté auprès de l'île de Calypso.
Quand Télémaque eut achevé ce discours, toutes les nymphes, qui avaient été immobiles, les yeux attachés sur lui, se regardèrent les unes les autres. Elles se disaient avec étonnement: Quels sont donc ces deux hommes si chéris des dieux? a-t-on jamais ouï parler d'aventures si merveilleuses? Le fils d'Ulysse le surpasse déjà en éloquence, en sagesse et en valeur. Quelle mine! quelle beauté! quelle douceur! quelle modestie! mais quelle noblesse et quelle grandeur! Si nous ne savions qu'il est fils d'un mortel, on le prendrait aisément pour Bacchus, pour Mercure, ou même pour le grand Apollon. Mais quel est ce Mentor, qui paraît un homme simple, obscur, et d'une médiocre condition? Quand on le regarde de près, on trouve en lui je ne sais quoi au-dessus de l'homme.
Calypso écoutait ces discours avec un trouble qu'elle ne pouvait cacher: ses yeux errants allaient sans cesse de Mentor à Télémaque, et de Télémaque à Mentor. Quelquefois elle voulait que Télémaque recommençât cette longue histoire de ses aventures; puis tout à coup elle s'interrompait elle-même. Enfin, se levant brusquement, elle mena Télémaque seul dans un bois de myrtes, où elle n'oublia rien pour savoir de lui si Mentor n'était point une divinité cachée sous la forme d'un homme. Télémaque ne pouvait le lui dire, car Minerve, en l'accompagnant sous la figure de Mentor, ne s'était point découverte à lui à cause de sa grande jeunesse. Elle ne se fiait pas encore assez à son secret pour lui confier ses desseins. D'ailleurs elle voulait l'éprouver par les plus grands dangers; et, s'il eût su que Minerve était avec lui, un tel secours l'eût trop soutenu; il n'aurait eu aucune peine à mépriser les accidents les plus affreux. Il prenait donc Minerve pour Mentor; et tous les artifices de Calypso furent inutiles pour découvrir ce qu'elle désirait savoir.
Cependant toutes les nymphes, assemblées autour de Mentor, prenaient plaisir à le questionner. L'une lui demandait les circonstances de son voyage d'Éthiopie; l'autre voulait savoir ce qu'il avait vu à Damas; une autre lui demandait s'il avait connu autrefois Ulysse avant le siège de Troie. Il répondait à toutes avec douceur; et ses paroles, quoique simples, étaient pleines de grâces.
Calypso ne les laissa pas longtemps dans cette conversation; elle revint: et, pendant que ses nymphes se mirent à cueillir des fleurs en chantant pour amuser Télémaque, elle prit à l'écart Mentor pour le faire parler. La douce vapeur du sommeil ne coule pas plus doucement dans les yeux appesantis et dans tous les membres fatigués d'un homme abattu, que les paroles flatteuses de la déesse s'insinuaient pour enchanter le cœur de Mentor; mais elle sentait toujours je ne sais quoi qui repoussait tous ses efforts, et qui se jouait de ses charmes. Semblable à un rocher escarpé qui cache son front dans les nues, et qui se joue de la rage des vents*, Mentor, immobile dans ses sages desseins, se laissait presser par Calypso Quelquefois même il lui laissait espérer qu'elle l'embarrasserait par ses questions, et qu'elle tirerait la vérité du fond de son cœur. Mais, au moment où elle croyait satisfaire sa curiosité, ses espérances s'évanouissaient: tout ce qu'elle s'imaginait tenir lui échappait tout à coup; et une réponse courte de Mentor la replongeait dans ses incertitudes. Elle passait ainsi les journées, tantôt flattant Télémaque, tantôt cherchant les moyens de le détacher de Mentor, qu'elle n'espérait plus de faire parler. Elle employait ses plus belles nymphes à faire naître les feux de l'amour dans le cœur du jeune Télémaque; et une divinité plus puissante qu'elle vint à son secours pour y réussir.
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