Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Название Les bijoux indiscrets
Автор произведения Dénis Diderot
Жанр Эротическая литература
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Издательство Эротическая литература
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pâlit, trembla, se remit, et conjura le sultan par Brama et par toutes les Pagodes des Indes et du Congo, de ne point éprouver sur elle un secret qui marquait peu de confiance en sa fidélité.

      «Si j'ai toujours été sage, continua-t-elle, mon bijou ne dira mot, et vous m'aurez fait une injure que je ne vous pardonnerai jamais: s'il vient à parler, je perdrai votre estime et votre cœur, et vous en serez au désespoir. Jusqu'à présent vous vous êtes, ce me semble, assez bien trouvé de notre liaison; pourquoi s'exposer à la rompre? Prince, croyez-moi, profitez des avis du génie; il a de l'expérience, et les avis de génies sont toujours bons à suivre.

      – C'est ce que je me disais à moi-même, lui répondit Mangogul, quand vous vous êtes éveillée: cependant si vous eussiez dormi deux minutes de plus, je ne sais ce qui en serait arrivé.

      – Ce qui en serait arrivé, dit Mirzoza, c'est que mon bijou ne vous aurait rien appris, et que vous m'auriez perdue pour toujours.

      – Cela peut être, reprit Mangogul; mais à présent que je vois tout le danger que j'ai couru, je vous jure par la Pagode éternelle, que vous serez exceptée du nombre de celles sur lesquelles je tournerai ma bague.»

      Mirzoza prit alors un air assuré, et se mit à plaisanter d'avance aux dépens des bijoux que le prince allait mettre à la question.

      «Le bijou de Cydalise, disait-elle, a bien des choses à raconter; et s'il est aussi indiscret que sa maîtresse, il ne s'en fera guère prier. Celui d'Haria n'est plus de ce monde; et Votre Hautesse n'en apprendra que des contes de ma grand'mère. Pour celui de Glaucé, je le crois bon à consulter: elle est coquette et jolie.

      – Et c'est justement par cette raison, répliqua le sultan, que son bijou sera muet.

      – Adressez-vous donc, repartit la sultane, à celui de Phédime; elle est galante et laide.

      – Oui, continua le sultan; et si laide, qu'il faut être aussi méchante que vous pour l'accuser d'être galante. Phédime est sage; c'est moi qui vous le dis, et qui en sais quelque chose.

      – Sage tant qu'il vous plaira, reprit la favorite; mais elle a de certains yeux gris qui disent le contraire.

      – Ses yeux en ont menti, répondit brusquement le sultan; vous m'impatientez avec votre Phédime: ne dirait-on pas qu'il n'y ait que ce bijou à questionner?

      – Mais peut-on, sans offenser Votre Hautesse, ajouta Mirzoza, lui demander quel est celui qu'elle honorera de son choix?

      – Nous verrons tantôt, dit Mangogul, au cercle de la Manimonbanda (c'est ainsi qu'on appelle dans le Congo la grande sultane). Nous n'en manquerons pas si tôt, et lorsque nous serons ennuyés des bijoux de ma cour, nous pourrons faire un tour à Banza: peut-être trouverons-nous ceux des bourgeoises plus raisonnables que ceux des duchesses.

      – Prince, dit Mirzoza, je connais un peu les premières, et je peux vous assurer qu'elles ne sont que plus circonspectes.

      – Bientôt nous en saurons des nouvelles: mais je ne peux m'empêcher de rire, continua Mangogul, quand je me figure l'embarras et la surprise de ces femmes aux premiers mots de leurs bijoux; ah! ah! ah! Songez, délices de mon cœur, que je vous attendrai chez la grande sultane, et que je ne ferai point usage de mon anneau que vous n'y soyez.

      – Prince, au moins, dit Mirzoza, je compte sur la parole que vous m'avez donnée.»

      Mangogul sourit de ses alarmes, lui réitéra ses promesses, y joignit quelques caresses, et se retira.

      CHAPITRE VI.

      PREMIER ESSAI DE L'ANNEAU. ALCINE

      Mangogul se rendit le premier chez la grande sultane; il y trouva toutes les femmes occupées d'un cavagnole17: il parcourut des yeux celles dont la réputation était faite, résolu d'essayer son anneau sur une d'elles, et il ne fut embarrassé que du choix. Il était incertain par qui commencer, lorsqu'il aperçut dans une croisée une jeune dame du palais de la Manimonbanda: elle badinait avec son époux; ce qui parut singulier au sultan, car il y avait plus de huit jours qu'ils étaient mariés: ils s'étaient montrés dans la même loge à l'Opéra, et dans la même calèche au petit cours ou au bois de Boulogne; ils avaient achevé leurs visites, et l'usage les dispensait de s'aimer, et même de se rencontrer. «Si ce bijou, disait Mangogul en lui-même, est aussi fou que sa maîtresse, nous allons avoir un monologue réjouissant.» Il en était là du sien, quand la favorite parut.

      «Soyez la bienvenue, lui dit le sultan à l'oreille. J'ai jeté mon plomb en vous attendant.

      – Et sur qui? lui demanda Mirzoza.

      – Sur ces gens que vous voyez folâtrer dans cette croisée, lui répondit Mangogul du coin de l'œil.

      – Bien débuté,» reprit la favorite.

      Alcine (c'est le nom de la jeune dame) était vive et jolie. La cour du sultan n'avait guère de femmes plus aimables, et n'en avait aucune de plus galante. Un émir du sultan s'en était entêté. On ne lui laissa point ignorer ce que la chronique avait publié d'Alcine; il en fut alarmé, mais il suivit l'usage: il consulta sa maîtresse sur ce qu'il en devait penser. Alcine lui jura que ces calomnies étaient les discours de quelques fats qui se seraient tus, s'ils avaient eu des raisons de parler: qu'au reste il n'y avait rien de fait, et qu'il était le maître d'en croire tout ce qu'il jugerait à propos. Cette réponse assurée convainquit l'émir amoureux de l'innocence de sa maîtresse. Il conclut, et prit le titre d'époux d'Alcine avec toutes ses prérogatives.

      Le sultan tourna sa bague sur elle. Un grand éclat de rire, qui était échappé à Alcine à propos de quelques discours saugrenus que lui tenait son époux, fut brusquement syncopé par l'opération de l'anneau; et l'on entendit aussitôt murmurer sous ses jupes: «Me voilà donc titré; vraiment j'en suis fort aise; il n'est rien tel que d'avoir un rang. Si l'on eût écouté mes premiers avis, on m'eût trouvé mieux qu'un émir; mais un émir vaut encore mieux que rien.»

      A ces mots, toutes les femmes quittèrent le jeu, pour chercher d'où partait la voix. Ce mouvement fit un grand bruit.

      «Silence, dit Mangogul; ceci mérite attention.»

      On se tut, et le bijou continua: «Il faut qu'un époux soit un hôte bien important, à en juger par les précautions que l'on prend pour le recevoir. Que de préparatifs! quelle profusion d'eau de myrte18! Encore une quinzaine de ce régime, et c'était fait de moi; je disparaissais, et monsieur l'émir n'avait qu'à chercher gîte ailleurs, ou qu'à m'embarquer pour l'île Jonquille19.» Ici mon auteur dit que toutes les femmes pâlirent, se regardèrent sans mot dire, et tinrent un sérieux qu'il attribue à la crainte que la conversation ne s'engageât et ne devînt générale. «Cependant, continua le bijou d'Alcine, il m'a semblé que l'émir n'avait pas besoin qu'on y fît tant de façons; mais je reconnais ici la prudence de ma maîtresse; elle mit les choses au pis-aller; et je fus traité pour monsieur comme pour son petit écuyer.»

      Le bijou allait continuer ses extravagances, lorsque le sultan, s'apercevant que cette scène étrange scandalisait la pudique Manimonbanda, interrompit l'orateur en retournant sa bague. L'émir avait disparu aux premiers mots du bijou de sa femme. Alcine, sans se déconcerter, simula quelque temps un assoupissement; cependant les femmes chuchetaient20 qu'elle avait des vapeurs. «Eh oui, dit un petit-maître, des vapeurs! Cicogne21 les nomme hystériques; c'est comme qui dirait des choses qui viennent de la région inférieure. Il a pour cela un élixir divin; c'est un principe, principiant, principié, qui ravive… qui… je le proposerai à madame.» On sourit de ce persiflage, et notre cynique reprit:

      «Rien n'est plus vrai, mesdames; j'en ai usé, moi qui vous parle, pour une déperdition de substance.

      – Une déperdition de substance! Monsieur le marquis, reprit une jeune personne, qu'est-ce que cela?

      – Madame, répondit le marquis, c'est un de ces petits



<p>17</p>

Jeu de hasard fort à la mode, un peu dans le genre du biribi et de notre loto. Voyez Promenade du Sceptique, t. I.

<p>18</p>

Astringent.

<p>19</p>

Dans Tanzaï, l'île Jonquille est la résidence du génie Mange-Taupes. C'est là que Néadarné est envoyée par l'oracle pour vaincre l'obstacle, d'un genre analogue à celui dont parle Alcine, qui s'opposait à son mariage effectif.

<p>20</p>

Chuchetaient et non chuchotaient. (Br.) – Cette forme est en effet dans les auteurs du XVIe siècle et dans Furetière et Richelet; mais «chuchoter» a prévalu.

<p>21</p>

Ou Sigogne, garçon tanneur, soldat aux gardes, aide-apothicaire, enfin médecin et un peu charlatan, grâce à la protection de Chirac.