Mémoires de Hector Berlioz. Hector Berlioz

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Название Mémoires de Hector Berlioz
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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milieu du troisième air (car il y avait toujours trois airs dans ces cantates de l'Institut; d'abord le lever de l'aurore obligé, puis le premier récitatif suivi d'un premier air, suivi d'un deuxième récitatif suivi d'un deuxième air, suivi d'un troisième récitatif suivi d'un troisième air, le tout pour le même personnage); dans le milieu du troisième air donc, se trouvaient ces quatre vers.

      Dieu des chrétiens, toi que j'ignore,

      Toi que j'outrageais autrefois,

      Aujourd'hui mon respect t'implore;

      Daigne écouter ma faible voix.

      J'eus l'insolence de penser que, malgré le titre d'air agité que portait le dernier morceau, ce quatrain devait être le sujet d'une prière, et il me parut impossible de faire implorer le Dieu des chrétiens par la tremblante reine d'Antioche avec des cris de mélodrame et un orchestre désespéré. J'en fis donc une prière, et à coup sûr s'il y eût quelque chose de passable dans ma partition, ce ne fut que cet andante.

      Comme j'arrivais à l'Institut le soir du jugement dernier pour connaître mon sort, et savoir si les peintres, sculpteurs, graveurs en médailles et graveurs en taille-douce m'avaient déclaré bon ou mauvais musicien, je rencontre Pingard dans l'escalier:

      « – Eh bien! lui dis-je, qu'ont-ils décidé?

      » – Ah!.. c'est vous, Berlioz… pardieu, je suis bien aise! je vous cherchais.

      » – Qu'ai-je obtenu, voyons, dites vite; un premier prix, un second, une mention honorable, ou rien?

      » – Oh! tenez, je suis encore tout remué. Quand je vous dis qu'il ne vous a manqué que deux voix pour le premier.

      » – Parbleu, je n'en savais rien; vous m'en donnez la première nouvelle.

      » – Mais quand je vous le dis!.. Vous avez le second prix, c'est bon; mais il n'a manqué que deux voix pour que vous eussiez le premier. Oh! tenez, ça m'a vexé; parce que, voyez-vous, je ne suis ni peintre, ni architecte, ni graveur en médailles, et par conséquent je ne connais rien du tout en musique: mais ça n'empêche pas que votre Dieu des chrétiens m'a fait un certain gargouillement dans le cœur qui m'a bouleversé. Et, sacredieu, tenez, si je vous avais rencontré sur le moment, je vous aurais… je vous aurais payé une demi-tasse.

      » – Merci, merci, mon cher Pingard, vous êtes bien bon. Vous vous y connaissez; vous avez du goût. D'ailleurs n'avez-vous pas visité la côte de Coromandel?

      » – Pardi, certainement; mais pourquoi?

      » – Les îles de Java.

      » – Oui, mais…

      » – De Sumatra?

      » – Oui.

      » – De Bornéo?

      » – Oui.

      » – Vous avez été lié avec Levaillant?

      » – Pardi, comme deux doigts de la main.

      » – Vous avez parlé souvent à Volney?

      » – À M. le comte de Volney qui avait des bas bleus?

      » – Oui.

      » – Certainement.

      » – Eh bien! vous êtes bon juge en musique.

      » – Comment ça?

      » – Il n'y a pas besoin de savoir comment; seulement si l'on vous dit par hasard: quel titre avez-vous pour juger du mérite des compositeurs? Êtes-vous peintre, graveur en taille-douce, architecte, sculpteur? Vous répondrez: Non, je suis… voyageur, marin, ami de Levaillant et de Volney. C'est plus qu'il n'en faut. Ah çà, voyons, comment s'est passée la séance?

      » – Oh, tenez, ne m'en parlez pas; c'est toujours la même chose. J'aurais trente enfants, que le diable m'emporte si j'en mettais un seul dans les arts. Parce que je vois tout ça, moi. Vous ne savez pas quelle sacrée boutique… Par exemple, ils se donnent, ils se vendent même des voix entre eux. Tenez, une fois au concours de peinture, j'entendis M. Lethière qui demandait sa voix à M. Cherubini pour un de ses élèves. Nous sommes d'anciens amis, qu'il lui dit, tu ne me refuseras pas ça. D'ailleurs, mon élève a du talent, son tableau est très-bien. – Non, non, non, je ne veux pas, je ne veux pas, que l'autre lui répond. Ton élève m'avait promis un album que désirait ma femme, et il n'a pas seulement dessiné un arbre pour elle. Je ne lui donne pas ma voix.

      » – Ah! tu as bien tort, que lui dit M. Lethière: je vote pour les tiens, tu le sais, et tu ne veux pas voter pour les miens! – Non, je ne veux pas. – Alors, je ferai moi-même ton album, là, je ne peux pas mieux dire. – Ah! c'est différent. Comment l'appelles-tu ton élève? J'oublie toujours son nom: donne-moi aussi son prénom et le numéro du tableau, pour que je ne confonde pas. Je vais écrire tout cela. – Pingard! – Monsieur! – Un papier et un crayon. – Voilà, monsieur. – Ils vont dans l'embrasure de la fenêtre, ils écrivent trois mots, et puis j'entends le musicien qui dit à l'autre en repassant: C'est bon! il a ma voix.

      »Eh bien! n'est-ce pas abominable? et si j'avais un de mes fils au concours et qu'on lui fit des tours pareils, n'y aurait-il pas de quoi me jeter par la fenêtre?..

      » – Allons, calmez-vous, Pingard, et dites-moi comment tout s'est terminé aujourd'hui.

      » – Je vous l'ai déjà dit, vous avez le second prix, et il ne vous a manqué que deux voix pour le premier. Quand M. Dupont a eu chanté votre cantate, ils ont commencé à écrire leurs bulletins et j'ai apporté la hurne35. Il y avait un musicien de mon côté, qui parlait bas à un architecte et qui lui disait: Voyez-vous, celui-là ne fera jamais rien; ne lui donnez pas votre voix, c'est un jeune homme perdu. Il n'admire que le dévergondage de Beethoven; on ne le fera jamais rentrer dans la bonne route.

      » – Vous croyez, dit l'architecte? cependant…

      » – Oh! c'est très-sur; d'ailleurs demandez à notre illustre Cherubini. Vous ne doutez pas de son expérience, j'espère; il vous dira comme moi, que ce jeune homme est fou, que Beethoven lui a troublé la cervelle.

      » – Pardon, me dit Pingard en s'interrompant, mais qu'est-ce que ce monsieur Beethoven? il n'est pas de l'Institut, et tout le monde en parle.

      » – Non, il n'est pas de l'Institut. C'est un Allemand: continuez.

      » – Ah! mon Dieu, ça n'a pas été long. Quand j'ai présenté la hurne à l'architecte, j'ai vu qu'il donnait sa voix au nº 4 au lieu de vous la donner, et voilà. Tout d'un coup il y a un des musiciens qui se lève et dit: Messieurs, avant d'aller plus loin, je dois vous prévenir que dans le second morceau de la partition que nous venons d'entendre, il y a un travail d'orchestre très-ingénieux, que le piano ne peut pas rendre et qui doit produire un grand effet. Il est bon d'en être instruit.

      » – Que diable viens-tu nous chanter, lui répond un autre musicien, ton élève ne s'est pas conformé au programme; au lieu d'un air agité, il en a écrit deux, et dans le milieu il a ajouté une prière qu'il ne devait pas faire. Le règlement ne peut être ainsi méprisé. Il faut faire un exemple.

      » – Oh! c'est trop fort! Qu'en dit M. le secrétaire perpétuel?

      » – Je crois que c'est un peu sévère, et qu'on peut pardonner la licence que s'est permise votre élève. Mais il est important que le jury soit éclairé sur le genre de mérite que vous avez signalé, et que l'exécution au piano ne nous a pas laissé apercevoir.

      » – Non non, ce n'est pas vrai, dit M. Cherubini, ce prétendu effet d'instrumentation n'existe pas, ce n'est qu'un fouillis auquel on ne comprend rien et qui serait détestable à l'orchestre.

      » – Ma foi, messieurs, entendez-vous, disent de tous côtés les peintres, sculpteurs, architectes et graveurs, nous ne pouvons apprécier que ce que nous entendons, et pour le reste, si vous n'êtes pas d'accord…

      » – Ah! oui!

      »



<p>35</p>

L'urne. Le brave Pingard s'est toujours obstiné à appeler ainsi ce vase d'élections.