Mémoires de Hector Berlioz. Hector Berlioz

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Название Mémoires de Hector Berlioz
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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exclusif pour les grands classiques m'avait d'abord prévenu, me causa des surprises et des ravissements extrêmes, malgré l'exécution incomplète ou grossière qui en altérait les contours. Toute bouleversée qu'elle fût, il s'exhalait de cette partition un arôme sauvage dont la délicieuse fraîcheur m'enivrait. Un peu fatigué, je l'avoue, des allures solennelles de la muse tragique, les mouvements rapides, parfois d'une gracieuse brusquerie, de la nymphe des bois, ses attitudes rêveuses, sa naïve et virginale passion, son chaste sourire, sa mélancolie, m'inondèrent d'un torrent de sensations jusqu'alors inconnues.

      Les représentations de l'Opéra furent un peu négligées, cela se conçoit, et je ne manquai pas une de celles de l'Odéon. Mes entrées m'avaient été accordées à l'orchestre de ce théâtre; bientôt je sus par cœur tout ce qu'on y exécutait de la partition du Freyschütz.

      L'auteur lui-même, alors, vint en France. Vingt et un ans se sont écoulés depuis ce jour où, pour la première et dernière fois, Weber traversa Paris. Il se rendait à Londres, pour y voir à peu près tomber un de ses chefs-d'œuvre (Obéron) et mourir. Combien je désirai le voir! avec quelles palpitations je le suivis, le soir où, souffrant déjà, et peu de temps avant son départ pour l'Angleterre, il voulut assister à la reprise d'Olympie. Ma poursuite fut vaine. Le matin de ce même jour Lesueur m'avait dit: «Je viens de recevoir la visite de Weber! Cinq minutes plus tôt vous l'eussiez entendu me jouer sur le piano des scènes entières de nos partitions françaises; il les connaît toutes.» En entrant quelques heures après dans un magasin de musique: «Si vous saviez qui s'est assis là tout à l'heure! – Qui donc? – Weber!» En arrivant à l'Opéra et en écoutant la foule répéter: «Weber vient de traverser le foyer, – il est entré dans la salle, – il est aux premières loges.» Je me désespérais de ne pouvoir enfin l'atteindre. Mais tout fut inutile; personne ne put me le montrer. À l'inverse des poétiques apparitions de Shakespeare, visible pour tous, il demeura invisible pour un seul. Trop inconnu pour oser lui écrire, et sans amis en position de me présenter à lui, je ne parvins pas à l'apercevoir.

      Oh! si les hommes inspirés pouvaient deviner les grandes passions que leurs œuvres font naître! S'il leur était donné de découvrir ces admirations de cent mille âmes concentrées et enfouies dans une seule, qu'il leur serait doux de s'en entourer, de les accueillir, et de se consoler ainsi de l'envieuse haine des uns, de l'inintelligente frivolité des autres, de la tiédeur de tous!

      Malgré sa popularité, malgré le foudroyant éclat et la vogue du Freyschütz, malgré la conscience qu'il avait sans doute de son génie, Weber, plus qu'un autre peut-être, eût été heureux de ces obscures, mais sincères adorations. Il avait écrit des pages admirables, traitées par les virtuoses et les critiques avec la plus dédaigneuse froideur. Son dernier opéra, Euryanthe, n'avait obtenu qu'un demi-succès; il lui était permis d'avoir des inquiétudes sur le sort d'Obéron, en songeant qu'à une œuvre pareille il faut un public de poëtes, un parterre de rois de la pensée. Enfin, le roi des rois, Beethoven, pendant longtemps l'avait méconnu. On conçoit donc qu'il ait pu quelquefois, comme il l'écrivit lui-même, douter de sa mission musicale, et qu'il soit mort du coup qui frappa Obéron.

      Si la différence fut grande entre la destinée de cette partition merveilleuse et le sort de son aîné, le Freyschütz, ce n'est pas qu'il y ait rien de vulgaire dans la physionomie de l'heureux élu de la popularité, rien de mesquin dans ses formes, rien de faux dans son éclat, rien d'ampoulé ni d'emphatique dans son langage; l'auteur n'a jamais fait, ni dans l'un ni dans l'autre, la moindre concession aux puériles exigences de la mode, à celles plus impérieuses encore des grands orgueils chantants. Il fut aussi simplement vrai, aussi fièrement original, aussi ennemi des formules, aussi digne en face du public, dont il ne voulait acheter les applaudissements par aucune lâche condescendance, aussi grand dans le Freyschütz que dans Obéron. Mais la poésie du premier est pleine de mouvement, de passion et de contrastes. Le surnaturel y amène des effets étranges et violents. La mélodie, l'harmonie et le rhythme combinés tonnent, brûlent et éclairent; tout concourt à éveiller l'attention. Les personnages, en outre, pris dans la vie commune, trouvent de plus nombreuses sympathies; la peinture de leurs sentiments, le tableau de leurs mœurs, motivent aussi l'emploi d'un moins haut style, qui, ravivé par un travail exquis, acquiert un charme irrésistible, même pour les esprits dédaigneux de jouets sonores, et ainsi paré, semble à la foule l'idéal de l'art, le prodige de l'invention.

      Dans Obéron, au contraire, bien que les passions humaines y jouent un grand rôle, le fantastique domine encore; mais le fantastique gracieux, calme, frais. Au lieu de monstres, d'apparitions horribles, ce sont des chœurs d'esprits aériens, des sylphes, des fées, des ondines. Et la langue de ce peuple au doux sourire, langue à part, qui emprunte à l'harmonie son charme principal, dont la mélodie est capricieusement vague, dont le rhythme imprévu, voilé, devient souvent difficile à saisir, est d'autant moins intelligible pour la foule que ses finesses ne peuvent être senties, même des musiciens, sans une attention extrême unie à une grande vivacité d'imagination. La rêverie allemande sympathise plus aisément, sans doute, avec cette divine poésie; pour nous, Français, elle ne serait, je le crains, qu'un sujet d'études curieux un instant, d'où naîtraient bientôt après la fatigue et l'ennui19. On en a pu juger quand la troupe lyrique de Carlsruhe vint, en 1828, donner des représentations au théâtre Favart. Le chœur des ondines, ce chant si mollement cadencé, qui exprime un bonheur si pur, si complet, ne se compose que de deux strophes assez courtes; mais comme sur un mouvement lent se balancent des inflexions continuellement douces, l'attention du public s'éteignit au bout de quelques mesures; à la fin du premier couplet, le malaise de l'auditoire était évident, on murmurait dans la salle, et la seconde strophe fut à peine entendue. On se hâta, en conséquence, de la supprimer pour la seconde représentation.

      Weber, en voyant ce que Castilblaze, ce musicien vétérinaire, avait fait de son Freyschütz, ne put que ressentir profondément un si indigne outrage, et ses justes plaintes s'exhalèrent dans une lettre qu'il publia à ce sujet avant de quitter Paris. Castilblaze eut l'audace de répondre: que les modifications dont l'auteur allemand se plaignait avaient seules pu assurer le succès de Robin des Bois, et que M. Weber était bien ingrat d'adresser des reproches à l'homme qui l'avait popularisé en France.

      Ô misérable!.. Et l'on donne cinquante coups de fouet à un pauvre matelot pour la moindre insubordination!..

      C'était pour assurer aussi le succès de la Flûte enchantée, de Mozart, que le directeur de l'Opéra, plusieurs années auparavant, avait fait faire le beau pasticcio que nous possédons, sous le titre de: les Mystères d'Isis. Le livret est un mystère lui-même que personne n'a pu dévoiler. Mais, quand ce chef-d'œuvre fut bien et dûment charpenté, l'intelligent directeur appela à son aide un musicien allemand pour charpenter aussi la musique de Mozart. Le musicien allemand n'eut garde de refuser cette tâche impie. Il ajouta quelques mesures à la fin de l'ouverture (l'ouverture de la Flûte enchantée!!!) il fit un air de basse avec la partie de soprano d'un chœur20 en y ajoutant encore quelques mesures de sa façon; il ôta les instruments à vent dans une scène, il les introduisit dans une autre; il altéra la mélodie et les desseins d'accompagnement de l'air sublime de Zarastro, fabriqua une chanson avec le chœur des esclaves «O cara armonia,» convertit un duo en trio, et comme si la partition de la Flûte enchantée ne suffisait pas à sa faim de harpie, il l'assouvit aux dépens de celles de Titus et de Don Juan. L'air «Quel charme à mes esprits rappelle» est tiré de Titus, mais pour l'andante seulement; l'allégro qui le complète ne plaisant pas apparemment à notre uomo capace, il l'en arracha pour en cheviller à la place un autre de sa composition, dans lequel il fit entrer seulement des lambeaux de celui de Mozart. Et devinerait-on ce que ce monsieur fit encore du fameux «Fin ch'han dal vino,» de cet éclat de verve libertine où se résume tout le caractère de Don Juan?.. Un trio pour une basse et deux soprani, chantant entre autres gentillesses sentimentales, les vers suivants:

      Heureux délire!

      Mon cœur soupire!

      Que



<p>19</p>

Depuis que ceci a été écrit, la mise en scène d'Obéron au Théâtre-Lyrique, est venue me donner un démenti à cette opinion. Ce chef-d'œuvre a produit une très-grande sensation; le succès en a été immense. – Le public parisien aurait donc fait en musique de notables progrès.

<p>20</p>

Le chœur: Per voi risplende il giorno.