Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1. Bastiat Frédéric

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Название Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1
Автор произведения Bastiat Frédéric
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/35390



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écrits de Bastiat, posa l'index sur les mots Harmonies économiques, et dit: «Voilà un bien bel ouvrage.»

      J'informai de cette particularité mon cher malade, en ajoutant que très-certainement en France, au ministère de l'Intérieur, ses œuvres étaient moins connues que dans les bureaux de Monte-Cavallo.

      Par un fort beau temps, nous prenons une voiture… Il veut me servir de cicerone, et m'expliquer les monuments antiques; mais j'obtiens qu'il se taise jusqu'à ce que nous descendions de voiture… Il m'entretient beaucoup de son projet de rentrer en France, d'un domestique, nommé Dargeau, qu'il fait venir de son pays, pour s'assurer ses soins éprouvés, et m'interroge sur la durée probable de mon séjour à Rome. Je me garde bien de lui dire que je m'en irai probablement le lendemain de son départ.

      … Quand nous sommes rentrés chez lui, il me parle de mettre en ordre ses ébauches. Il voudrait bien me dicter quelques indications importantes et notamment sur le sujet de la population… L'article qu'il a publié, il y a quatre ans environ, dans le Journal des Économistes, lui paraît incomplet et à refaire. La principale objection contre la théorie de Malthus n'y est pas exposée.

      Les impatiences ont disparu.

19 DÉCEMBRE

      Je le trouve bien fatigué!.. Nous sortons un peu tard, et rentrons bientôt après…

      Il monte son escalier plus péniblement que de coutume. Quand enfin il est assis sur son canapé, je remarque que sa respiration est plus difficile que la veille. Des bruits sourds et de mauvais augure grondent dans sa poitrine oppressée. Il se remet cependant un peu, et entame le chapitre de l'Économie politique.

      «Un travail bien important à faire pour l'Économie politique, me dit-il, c'est d'écrire l'histoire de la spoliation. C'est une longue histoire, dans laquelle, dès l'origine, apparaissent les conquêtes, les migrations de peuples, les invasions, et tous les funestes excès de la force aux prises avec la justice.»

      «De tout cela il reste aujourd'hui encore des traces vivantes, et c'est une grande difficulté pour la solution des questions posées dans notre siècle. On n'arrivera pas à cette solution tant qu'on n'aura pas bien constaté en quoi et comment l'injustice, faisant sa part au milieu de nous, s'est impatronisée dans nos mœurs et dans nos lois.»

      … Il m'entretient de plusieurs de nos amis de Paris, sujet sur lequel il s'arrête volontiers; puis, se préoccupant de mon dîner, il me renvoie après m'avoir dit: «Puisque vous avez fait ce long voyage, je suis bien aise maintenant que vous soyez ici.»

20 DÉCEMBRE

      En arrivant près de lui à l'heure accoutumée, je lui demande la permission de le quitter pour aller à l'ambassade où je me suis déjà rendu en vain ce matin. J'ai trois lettres pour la France à remettre à une personne que je n'ai pas rencontrée. Cette demande le contrarie, et l'abbé de Monclar, qui était sur le point de sortir, se charge de faire tenir mes lettres à l'ambassade.

      Dès que nous sommes seuls, il me dit: «Vous ne devineriez jamais ce que j'ai fait ce matin.» Inquiet et le soupçonnant d'une imprudence, je conjecturai qu'il avait écrit. «Non, reprit-il, cela m'eût été, cela m'est impossible. Voici ce que j'ai fait, je me suis confessé. Je veux vivre et mourir dans la religion de mes pères. Je l'ai toujours aimée, quoique je n'en suivisse pas les pratiques extérieures.» Ce mot de vivre n'était employé là que par ménagement pour moi. Je lui rappelai qu'en 1848 il m'avait dit, en parlant de Jésus-Christ: «Il est impossible d'admettre qu'un mortel ait pu avoir, de l'humanité et des lois qui la régissent, une connaissance aussi profonde que celle qui est dans l'Évangile.»

      Il me propose de prendre ses ébauches économiques dans sa malle; car le temps menaçait, et il n'eût pas été prudent de sortir. Je savais, d'ailleurs, dès la veille au soir, qu'aux yeux du docteur Lacauchie il déclinait d'une manière rapide.

      Je pris les papiers, et commençai à les compulser, assis près de lui, interrompant ma tâche au moindre signe pour prêter l'oreille à ce qu'il voulait me dire.

      … Voici une recommandation… sur laquelle il a beaucoup insisté. «Il faut traiter l'économie politique au point de vue du consommateur. Tous les phénomènes économiques, que leurs effets soient bons ou qu'ils soient mauvais, se résolvent, à la fin de leur évolution, par des avantages ou des préjudices pour les consommateurs. Ces mêmes effets ne font que glisser sur les producteurs, dont ils ne peuvent affecter les intérêts d'une manière durable.»

      «Le progrès de la civilisation doit amener les hommes à se placer à ce point de vue et à calculer leur intérêt de consommateurs plutôt que leur intérêt de producteurs. On voit déjà ce progrès s'opérer en Angleterre, et des ouvriers s'y occuper moins de l'élévation de leur salaire que de l'avantage d'obtenir à bas prix tous les objets qu'ils consomment.»

      Il m'a répété que c'était là un point capital, et j'étais étonné de la profondeur comme de la lucidité de ses explications.

      Vers la nuit, il m'a parlé de Rome considérée au point de vue religieux. «Ce qui m'a le plus frappé, dit-il, c'est la solidité de la tradition des martyrs. Ils sont là, on les voit, on les touche dans les catacombes; il est impossible de les nier.» Son langage était plein d'onction.

      Demain je continuerai le dépouillement de ses papiers scientifiques. Cette journée a été bien triste. La mort se montre à nous dans tous nos entretiens. Nous ne prononçons pas son nom, lui par un sentiment délicat, afin de m'éviter une affliction, et moi pour ne pas me laisser aller à un attendrissement qui le gagnerait peut-être et lui serait douloureux. C'est lui qui me donne l'exemple du courage…

21 DÉCEMBRE (SAMEDI)

      L'affaiblissement continue. À 11 h. ½, par un temps superbe, il sent le besoin de se coucher quelques instants avant d'essayer une promenade. Nous sortons à 1 h. 1/4, mais quelques nuages menacent d'intercepter les rayons du soleil… Les nuages se dispersent, et nous jouissons d'un soleil magnifique, qui fait mieux ressortir la beauté des sites dont nous sommes entourés. La sérénité du ciel semble se communiquer à son âme, et il répète fréquemment: «Quelle délicieuse promenade! Comme nous avons bien réussi!» Il m'indique une haute colline couronnée d'ifs, au sommet de laquelle il s'est fait conduire quelques jours avant mon arrivée. Quand je cherche à me rendre compte de ses impressions, il me paraît heureux de voir une dernière fois les splendeurs de la nature et s'applaudir de les rencontrer pour leur faire ses adieux. Car il ne se fait pas d'illusion sur son état. Plus explicite avec l'abbé de Monclar qu'avec moi sur ce triste sujet, il lui disait hier: «Je trouve depuis trois jours que le déclin de mes forces est bien rapide. Si cela continuait ainsi, Dieu me ferait une grande grâce et m'épargnerait bien des souffrances.»

      … Il prend un livre de prières, et moi je continue le classement de ses papiers…

      Il me fait quitter mon classement pour m'asseoir tout près de lui. Après un instant d'assoupissement, comme s'il venait d'y puiser une force nouvelle, il me donne une explication pour corroborer sa théorie de la valeur.

      «Avez-vous trouvé dans mes notes, me demanda-t-il, un passage sur ce sujet? C'est un fragment auquel j'attache quelque importance. Vous le reconnaîtrez à cette formule que j'y ai employée: Do ut des, facio ut facias, etc.»

      Je n'ai pas encore découvert ce fragment…

      Avant de nous quitter, qui s'y serait attendu? nous nous sommes livrés à un mouvement d'hilarité. Il m'a raconté qu'ayant vu dans un magasin de librairie son Cobden et la Ligue, il avait marchandé cet ouvrage. Comme on lui en demandait le prix de 7 fr. 50, il s'était récrié, avait qualifié ce livre de vieux bouquin, et en avait offert seulement 4 fr. C'est, je crois, la seule fois de sa vie qu'il ait réclamé un rabais, et le moyen qu'il employait pour l'obtenir est fort plaisant. Décrier un de ses écrits pour l'obtenir à meilleur marché, c'est ce que peu d'auteurs se seraient avisés de faire.

22 DÉCEMBRE 1850 (DIMANCHE)

      Ce matin il a communié. La cérémonie a eu lieu de bonne heure, et cependant, en entrant chez lui, je vois qu'il n'a pas encore déjeuné. Pour qu'il s'acquittât de cette pénible tâche sans être gêné