Название | L'Écuyère |
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Автор произведения | Paul Bourget |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Hilda Campbell et lui n'étaient pas au bout de l'avenue des Poteaux qu'il l'avait déjà initiée à tout le détail de sa vie, dans la vieille maison de la rue de Monsieur. Avec quel art de comédien ingénu la réalité de cette existence, si simple, si peu excentrique, avait été maquillée! L'étroit et pauvre jardin sur lequel donnaient les fenêtres du salon du rez-de-chaussée était devenu un parc. Ce coin paisible, mais assez vulgaire, et, somme toute, très bourgeois, du faubourg Saint-Germain, s'était transformé en une province pittoresque, peuplée de couvents et d'hôtels jadis princiers, tous historiques! La vieille douairière dont il était le fils avait pris une tournure d'aïeule portraiturée par Van Dick – (sir Anthony, comme l'appellent tranquillement les cartouches de la National Gallery, à Londres. Ces insatiables dévorateurs que sont les Anglais ont happé et digéré le grand peintre Anversois et ils en ont fait un baronnet). Lui-même, Jules, se silhouettait comme le jeune gentilhomme des romans des mauvais élèves de l'exquis Octave Feuillet. Il était l'héritier mélancolique d'un grand nom, pas très fortuné, mais fièrement pauvre, consacrant ses vingt-cinq ans à consoler la solitude et le veuvage d'une mère incomparable. Il y avait, certes, les éléments de tout cela dans sa vie. Il en avait fait un très agréable arrière-fonds à des habitudes d'un ordre beaucoup moins édifiant. Mais constatant au regard de sa compagne, que ce roman tout familial intéressait la jolie Anglaise, il eut le flair de s'y tenir. Par une étrange suggestion de sa propre parole, plus il ajoutait des traits faussés à ce personnage ainsi posé, plus il le devenait sincèrement. Avait-il jamais hanté les cabarets à la mode, les luxueux cabinets de toilette des demoiselles et les tripots?.. Il eût donné sa parole d'honneur que non, – et il n'eût pas trop menti. Il l'avait presque oublié. La passion naissante a de ces trompe-l'œil.
– «Mais vous-même, mademoiselle,» finit-il par dire, avec l'idée d'obtenir confidence pour confidence, «vous n'avez pas quelque part, en Angleterre, une maison de famille à laquelle vous rattachent des souvenirs d'enfance et que vous regrettez dans votre exil parmi nous?»
– «Une vraie maison de famille?» répondit-elle, «non… Il y en avait pourtant une qui aurait pu en tenir lieu. C'était celle où nous sommes allés tous les étés, pendant dix ans, en Shropshire… Nous n'y retournons plus, depuis la mort de ma mère.»
– «Ah!», interrogea Jules avec un intérêt qui n'était pas joué. «Vous avez perdu madame votre mère?.. C'est un deuil récent?» Il attendait une réponse qui lui fournirait une occasion de quelques tirades émues sur les tristesses de l'existence, l'irréparable de certains malheurs, l'irremplaçable douceur de certaines affections, – enfin, toute cette phraséologie sentimentale à laquelle de plus averties qu'une pauvre petite Hilda Campbell se laissent prendre, depuis que le monde est monde et qu'il y a des fourbes à demi sincères pour jouer, à des femmes naïves, la comédie de la pitié attendrie. Aussi demeura-t-il décontenancé devant l'attitude de la jeune fille, dont le visage se serra, pour ainsi dire. Elle ne répondit qu'un mot à sa question:
– «Il y a déjà un peu de temps,» fit-elle évasivement. Puis, détournant aussitôt la conversation: «Tenez bien votre monture, monsieur de Maligny… Je vois un daim dans le fourré. Quelquefois, les chevaux en ont horriblement peur. On ne sait pas trop pourquoi… J'ai failli être tuée, l'été dernier, par la plus sage des juments que nous ayons jamais eues à la maison. Elle a aperçu un de ces petits cerfs qui débouchait à un tournant. Elle s'est emballée, sans que j'aie pu la ramener, jusqu'à la porte de Boulogne… J'ai bien cru que c'était fini, et que j'y restais…»
Elle rappelait cette aventure avec un de ces sourires de côté où il tient de l'énervement et du défi. Et pas un mot de plus sur sa mère morte. Gardait-elle si peu de fidélité à ce souvenir, sur lequel le peu scrupuleux Jules avait médité de spéculer? Il ne se doutait pas que cette image de la plus chère des disparues déchirait, chaque fois, le cœur de la jeune fille. Encore, maintenant, elle venait d'avoir horriblement mal à l'évocation inattendue d'un passé resté si cher. Mais ce n'était pas seulement sa beauté délicate qui la rendait pareille au plus délicat des types féminins créés par Shakespeare. «Que pourra faire Cordelia? Aimer et garder le silence…» Hilda était trop profondément sensible pour que tout son être ne se repliât pas à l'idée de raconter ce qu'elle sentait. Quelle ironie dans certains contrastes d'attitudes et de langages! Cette jeune fille, si passionnément tendre, taisait ses émotions, à cause de leur excès même, tandis que Jules proclamait, communiquait les siennes, précisément parce qu'elles étaient superficielles. Il les fouettait, il les surexcitait en les parlant. Si intelligent qu'il fût, comment aurait-il compris une nature à ce point différente de la sienne?
– «Ce n'est pas le regret de sa pauvre maman qui l'étouffera jamais,» songeait-il. «Tant mieux!.. C'est bien naturel, d'ailleurs, si cette maman ressemblait au papa et au cousin… Délicieuse petite! C'est une orchidée poussée dans une écurie…» Et, ravi à part lui de la comparaison, il se prit à changer de sujet, lui aussi, et à causer chevaux, – puisque miss Campbell semblait s'intéresser si passionnément à son métier. Les chevaux les amenèrent bien vite à parler courses, puis, chasse à courre. Jules se rendit compte, aussitôt, que l'habitante d'Epsom lodge connaissait fort bien les divers endroits où fonctionnent les grands équipages des environs de Paris et leur personnel. Il demeura étonné lui-même qu'ayant, à plusieurs reprises, pratiqué volontiers ce sport à Chantilly, à Rambouillet, à Fontainebleau, dans la forêt de Compiègne, partout enfin, il n'eût jamais rencontré la jeune fille. Comme il arrive sans cesse, dans ce Paris qui est, au fond, un conglomérat énorme de toutes petites villes, leurs destinées s'étaient côtoyées en s'ignorant. Mais, ce que Maligny n'ignorait pas, c'était la moralité de la plupart des jeunes gens qui ont le «bouton» dans ces différentes chasses. Avec ce visage d'une joliesse idéale et cette tournure, impossible que Hilda Campbell n'eût pas été remarquée, par suite courtisée. Courtisée, jusqu'où? Il se posait la question, tout en continuant de galoper avec elle, et, à chaque seconde, il s'éprenait de plus en plus de cette adorable enfant qui ne soupçonnait guère les vraies pensées cachées derrière les yeux de ce décevant garçon, ces beaux yeux slaves qu'elle continuait de trouver si fins, si caressants, si pareils à ceux des viveurs qui l'avaient, en effet, remarquée et qui avaient essayé de la séduire. A tous, elle avait opposé ce flegme qui déconcerte les entreprises des plus audacieux. A aucun elle n'avait souri comme à Maligny, avec cette grâce de la tendresse qui s'ignore, parce qu'elle se croit seulement de la reconnaissance. Il venait de tant lui plaire, depuis cette dernière heure, de nouveau et de toutes les façons! Elle avait aimé de lui, d'abord, sa hardiesse à cheval au départ, et sa souple adresse. Si elle était une Cordelia par la physionomie et par le cœur, elle était aussi une écuyère professionnelle, et l'influence de son métier devait se mêler même à son rêve sentimental… Et puis, le philtre périlleux de ce rêve commençait de l'envahir. Elle venait d'écouter, avec tant d'avidité émue, ce que Jules lui avait raconté de son intérieur, de son vieil hôtel, de ses vieux domestiques, de sa vieille mère. Comment eût-elle douté de ces confidences? Elles s'accordaient aux impressions que son cousin Corbin lui avait