Voyage musical en Allemagne et en Italie, II. Hector Berlioz

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Название Voyage musical en Allemagne et en Italie, II
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/37567



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instrumentaliste, est rabaissé à la taille de l'ignorant qui n'a pas les premières notions de cette branche de l'art. Ce dernier peut avoir écrit des trombones au lieu de clarinettes, des ophicléides au lieu de bassons, avoir commis les plus énormes bévues, pendant que l'autre aura composé un magnifique orchestre, sans qu'il soit possible, avec une pareille exécution, d'apercevoir la différence qu'il y a entre eux. Le piano, pour les instrumentalistes, est donc une vraie guillotine destinée à abattre toutes les nobles têtes, et dont la plèbe seule n'a rien à redouter.

      Quoi qu'il en soit, les scènes ainsi exécutées, on va au scrutin (je parle au présent, puisque rien n'est changé à cet égard). Le prix est donné. Vous croyez que c'est fini? Erreur. Huit jours après, toutes les sections de l'Académie des beaux-arts se réunissent pour le grand jugement définitif. Les peintres, statuaires, architectes, graveurs en médailles et graveurs en taille-douce forment cette fois un imposant jury, dont les musiciens cependant ne sont pas exclus: les hommes de lettres et poètes seuls n'y figurent point. Pourquoi cela?.. je l'ignore. Il me semble, en tout cas, que le chantre d'Atala et des Martyrs, que l'auteur des Voix intérieures et des Chants du Crépuscule, celui des Harmonies religieuses et des Méditations, pourraient apprécier l'expression ou la noblesse d'une mélodie au moins aussi bien que le plus grand sculpteur, fût-il un Phidias, ou le plus habile architecte, fût-il un Michel-Ange.

      Quand les exécuteurs, chanteur et pianiste, ont fait entendre une seconde fois, et de la même manière chaque partition, l'urne fatale circule, on lit les bulletins, et le jugement préliminaire que la section de musique avait porté huit jours auparavant, se trouve, en dernière analyse, confirmé, modifié, ou cassé par la majorité.

      Ainsi, le prix de musique est donné par des gens qui ne sont pas musiciens et qui n'ont pas même été mis dans le cas d'entendre, telles qu'elles ont été conçues, les partitions entre lesquelles un absurde réglement les oblige de faire un choix.

      Au jour solennel de la distribution des prix, la cantate préférée par les peintres, sculpteurs et graveurs, est ensuite exécutée complètement. C'est un peu tard; il aurait mieux valu sans doute convoquer l'orchestre avant de se prononcer; et les dépenses occasionnées par cette exécution tardive sont assez inutiles, puisqu'il n'y a plus à revenir sur la décision prise; mais l'Académie est curieuse, elle veut connaître l'ouvrage qu'elle a couronné… C'est un désir bien naturel!..

      II

      LE CONCIERGE DE L'INSTITUT

      Il y avait dans mon temps, à l'Institut, un vieux concierge nommé Pingard, à qui tout ceci causait une indignation des plus plaisantes. La tâche de ce brave homme, à l'époque des concours, était de nous enfermer dans nos loges, de nous ouvrir soir et matin, et de surveiller nos rapports avec les visiteurs, aux heures de loisir. Il remplissait, en outre, les fonctions d'huissier auprès de Messieurs les académiciens, et assistait, en conséquence, à toutes les séances secrètes et publiques, où il avait fait bon nombre de curieuses observations. Embarqué à seize ans comme mousse à bord d'une frégate de la compagnie des Indes, il avait parcouru presque toutes les îles de la Sonde, et, obligé de séjourner à Java, il échappa, par la force de sa constitution, et lui neuvième, disait-il, aux fièvres pestilentielles qui avaient enlevé tout l'équipage.

      J'ai toujours beaucoup aimé les vieux voyageurs, pourvu qu'ils eussent quelque histoire lointaine à me raconter. En pareil cas, je les écoute avec une attention calme et une inexplicable patience. Je les suis dans toutes leurs digressions, dans les dernières ramifications des épisodes de leurs épisodes; et, quand le narrateur, voulant trop tard revenir au sujet principal et ne sachant quel chemin prendre, se frappe le front pour ressaisir le fil rompu de son histoire en disant: «Mon Dieu, où en étais-je donc?..» je suis heureux de le remettre sur la piste de son idée, de lui jeter le nom qu'il cherchait, la date qu'il avait oubliée, et c'est avec une véritable satisfaction que je l'entends s'écrier, tout joyeux: «Ah! oui, oui, j'y suis, m'y voilà.» Aussi étions-nous fort bons amis, le père Pingard et moi; il m'avait estimé tout d'abord, à cause du plaisir que je trouvais à lui parler de Batavia, de Célèbes, d'Amboyne, de la côte de Coromandel, de Bornéo, de Sumatra; parce que je l'avais questionné plusieurs fois avec curiosité sur les femmes Javanaises, dont l'amour est fatal aux Européens, et avec lesquelles le gaillard avait fait de si terribles fredaines, que la consomption avait un instant paru vouloir réparer à son égard la négligence du choléra-morbus. Lui ayant un jour, à propos de la Syrie, parlé de Volney, de ce bon monsieur le comte de Volney, si simple, qui avait toujours des bas de laine bleue, son estime pour moi s'accrut d'une manière remarquable; mais son enthousiasme n'eut plus de bornes, quand j'en vins à lui demander s'il avait connu le célèbre voyageur Levaillant.

      « – M. Levaillant!.. M. Levaillant, s'écria-t-il vivement, pardieu si je le connais. Tenez! Un jour que je me promenais au cap de Bonne-Espérance, en sifflant, j'attendais une petite négresse qui m'avait donné rendez-vous sur la Grève, parce que, entre nous, il y avait des raisons pour qu'elle ne vînt pas chez moi. Je vais vous dire.

      – Bon, bon, nous parlions de Levaillant.

      – Ah! oui. Eh bien! un jour que je sifflais en me promenant au cap de Bonne-Espérance, un grand homme basané, qui avait une barbe de sapeur, se retourne vers moi; il m'avait entendu siffler en français, c'est apparemment à ça qu'il me reconnut:

      – Dis donc, gamin, qu'il me dit, tu es Français?

      – Pardi, si je suis Français, que je lui dis, je suis de Givet, département des Ardennes, pays de M. Méhul1.

      – Ah! tu es Français?

      – Oui.

      – Ah! – Et il me tourna le dos.

      C'était M. Levaillant; vous voyez si je l'ai connu.»

      Le père Pingard était donc véritablement mon ami; aussi me traitait-il comme tel, et me confiait-il des choses qu'il eût tremblé de dévoiler à tout autre. Je me rappelle une conversation très-animée que nous eûmes ensemble en 1828, époque de mon second prix. On nous avait donné pour sujet de concours un épisode du Tasse: Herminie se couvrant des armes de Clorinde, et à la faveur de ce déguisement, sortant des murs de Jérusalem pour aller porter à Tancrède blessé les soins de son fidèle et malheureux amour. Au milieu du troisième air (car il y avait toujours trois airs dans les scènes de l'Institut; d'abord le lever de l'aurore obligé, puis le premier récitatif suivi d'un premier air suivi d'un deuxième récitatif suivi d'un deuxième air suivi d'un troisième récitatif suivi d'un troisième air, le tout pour le même personnage), dans le milieu du troisième air donc, se trouvaient ces quatre vers:

      Dieu des chrétiens, toi que j'ignore,

      Toi que j'outrageais autrefois,

      Aujourd'hui, mon respect t'implore,

      Daigne écouter ma faible voix.

      J'eus l'insolence de penser que, malgré le titre d'air agité que portait le dernier morceau, ce quatrain devait être le sujet d'une prière, et il me parut impossible de faire implorer le Dieu des chrétiens par la tremblante reine d'Antioche avec des cris de mélodrame et un orchestre désespéré. J'en fis donc une prière; et, à coup sûr, s'il y eût quelque chose de passable dans ma partition, ce ne fut que cette andante. Comme j'arrivais à l'Institut le soir du jugement dernier pour connaître mon sort, et savoir si les peintres, sculpteurs, graveurs en médaille et graveurs en taille-douce m'avaient déclaré bon ou mauvais musicien, je rencontre Pingard dans l'escalier:

      « – Eh bien! lui dis-je, qu'ont-ils décidé?

      » – Ah!.. c'est vous, Berlioz… pardieu, je suis bien aise!.. je vous cherchais.

      » – Qu'ai-je obtenu, voyons, dites vite; une mention, un premier, un second prix, ou rien?

      » – Oh! tenez, je suis encore tout remué. Quand je vous dis qu'il ne vous a manqué que deux voix pour le premier.

      » – Parbleu, je n'en savais rien; vous m'en donnez la première nouvelle.

      »



<p>1</p>

Méhul est en effet de Givet, mais il n'était pas né à l'époque où Pingard prétend avoir parlé de lui à Levaillant.