Название | Les soirées de l'orchestre |
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Автор произведения | Hector Berlioz |
Жанр | Историческая литература |
Серия | |
Издательство | Историческая литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | http://www.gutenberg.org/ebooks/32056 |
Dans l'impossibilité d'en rien tirer de pareil, un jour où j'improvisais plus mélancoliquement que de coutume, je cessai de chanter, et, découragé, je demeurai en silence, couché sur la bruyère, la tête appuyée sur mon instrument imparfait. Au bout de quelques instants, une harmonie bizarre, mais douce, voilée, mystérieuse comme l'écho des cantiques du paradis, sembla poindre à mon oreille… J'écoutai tout ravi… et je remarquai que cette harmonie, qui s'exhalait de ma harpe, sans que les cordes parussent vibrer, croissait en richesse et en puissance, ou diminuait, selon le degré de force du vent. C'était le vent, en effet, qui produisait ces accords extraordinaires dont je n'avais jamais entendu parler!
– Vous ne connaissiez pas les harpes éoliennes?
– Non, monsieur. Je crus avoir fait une découverte réelle, je me passionnai pour elle, et dès ce moment, au lieu de m'exercer au mécanisme de mon instrument, je ne fis que me livrer à des expériences qui m'absorbèrent tout entier. J'essayai vingt façons différentes de l'accorder pour éviter la confusion produite par la vibration de tant de cordes diverses, et j'en vins enfin, après bien des recherches, à en accorder le plus grand nombre possible à l'unisson et à l'octave, en supprimant toutes les autres. Alors seulement j'obtins des séries d'accords vraiment magiques qui réalisèrent mon idéal; harmonies célestes, sur lesquelles je chantais des hymnes sans fin, qui tantôt me transportaient en des palais de cristal, au milieu de millions d'anges aux ailes blanches, couronnés d'étoiles et chantant avec moi dans une langue inconnue; tantôt, me plongeant dans une tristesse profonde, me faisaient voir au milieu des nuages de pâles jeunes filles aux yeux bleus, vêtues de leur longue chevelure blonde, plus belles que les Séraphins, qui souriaient en versant des larmes et laissaient échapper d'harmonieux gémissements emportés avec elles par l'orage jusqu'aux extrémités de l'horizon; tantôt je m'imaginais voir Napoléon, dont mon père m'avait si souvent raconté l'étonnante histoire; je me croyais dans l'île où il est mort, je voyais sa garde immobile autour de lui; puis c'était la sainte Vierge et sainte Madeleine et notre Seigneur Jésus-Christ dans une église immense, le jour de Pâques: d'autres fois, il me semblait être isolé bien haut dans l'air et que le monde entier avait disparu; ou bien, je sentais des chagrins horribles, comme si j'eusse perdu des êtres infiniment chers, et je m'arrachais les cheveux, je sanglotais en me roulant à terre. Je ne puis exprimer la centième partie de ce que j'éprouvais. Ce fut pendant une de ces scènes de poétique désespoir que je fus rencontré un jour par des chasseurs du pays. En voyant mes larmes, mon air égaré, les cordes de ma harpe en partie détendues, ils me crurent devenu fou et bon gré mal gré me ramenèrent chez mon père. Lui, qui depuis quelque temps s'était imaginé, d'après mes façons d'être et mon inexplicable exaltation, que je buvais de l'eau-de-vie (qu'il m'eût fallu voler alors, car je ne pouvais la payer), n'adopta point leur idée. Persuadé que j'étais allé m'enivrer quelque part, il me roua de coups et me tint enfermé au pain et à l'eau pendant deux jours. Je supportai cette injuste punition sans rien vouloir dire pour me disculper; je sentais qu'on n'eût point cru ni compris la vérité. D'ailleurs, il me répugnait de mettre qui que ce fût dans ma confidence; j'avais découvert un monde idéal et sacré, et je ne voulais en dévoiler le mystère à personne. M. le curé, un brave homme dont je ne vous ai rien dit encore, avait, au sujet de mes extases, une tout autre manière de voir. «Ce sont peut-être, disait-il, des visitations de l'esprit céleste. Cet enfant est sans doute destiné à devenir un grand saint.»
L'époque de ma première communion arriva et mes visions harmoniques devinrent plus fréquentes en augmentant d'intensité. Mon père alors commença à perdre la mauvaise opinion qu'il avait conçue de moi et à penser, lui aussi, que j'étais fou. M. le curé, au contraire, persistant dans la sienne me demanda si je n'avais jamais songé à être prêtre. «Non, monsieur, répondis-je, mais j'y songe maintenant, et il me semble que je serais bien heureux d'embrasser ce saint état.» – «Eh bien! mon enfant, examinez-vous, réfléchissez, nous en reparlerons.» Sur ces entrefaites, mon père mourut après une courte maladie. J'avais quatorze ans; je ressentis un grand chagrin, car il ne m'avait que rarement battu, et je lui devais bien de la reconnaissance pour m'avoir élevé et m'avoir appris trois choses: le français, la harpe et la carabine. J'étais seul au monde, M. le curé me prit chez lui, et bientôt après, sur l'assurance que je lui donnai de ma vocation pour l'état ecclésiastique, il commença à me préparer aux connaissances qu'il exige. Cinq années s'écoulèrent ainsi à étudier le latin, et j'étais sur le point d'entreprendre mes études de théologie, quand un jour je tombai brusquement amoureux, mais amoureux fou de deux filles à la fois! Vous ne croyez peut-être pas cela possible, monsieur?
– Comment donc! mais je le crois parfaitement… Tout est possible en ce genre aux organisations telles que la vôtre.
– Eh bien donc! ce fut comme je vous le dis… J'en aimai deux d'un coup, une gaie et une sentimentale.
– Comme les deux cousines de Freyschutz?
– Précisément. Oh! le Freyschutz! il y a une de mes phrases là-dedans!.. Et dans les bois, aux jours d'orage, bien souvent… (Ici le narrateur s'arrêta, regardant fixement en l'air, immobile, prêtant l'oreille; il semblait entendre ses chères harmonies éoliennes, unies sans doute à la romantique mélodie de Weber, dont il venait de parler. Il pâlit, quelques larmes parurent sur ses paupières… Je n'avais garde de troubler son rêve extatique, je l'admirais, je l'enviais même. Nous gardâmes quelque temps le silence tous les deux. Enfin, essuyant rapidement ses yeux et vidant son verre): Pardon, monsieur, reprit-il, je vous ai malhonnêtement laissé seul pour suivre un instant mes souvenirs. C'est que, voyez-vous, Weber m'aurait compris, lui, comme je le comprends; il ne m'aurait pris ni pour un ivrogne, ni pour un fou, ni pour un saint. Il a réalisé mes rêves, ou du moins il a rendu sensibles au vulgaire quelques-unes de mes impressions.
– Au vulgaire, dites-vous! cherchez un peu, camarade, combien il y a d'individus qui aient remarqué la phrase dont le souvenir seul vient de vous émouvoir, et que je suis sûr d'avoir devinée: le solo de clarinette sur le trémolo, dans l'ouverture, n'est-ce pas?
– Oui, oui, chut!
– Eh bien! citez à qui vous voudrez cette mélodie sublime, et vous verrez que, sur cent mille personnes qui ont entendu le Freyschutz, il n'y en a peut-être pas dix qui l'aient seulement remarquée.
– C'est