Les soirées de l'orchestre. Hector Berlioz

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Название Les soirées de l'orchestre
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Историческая литература
Серия
Издательство Историческая литература
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/32056



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plusieurs d'entre elles se sont gravement compromises plus d'une fois. Mais quel tumulte! quel désordre! que de belles fleurs perdues! Cela faisait pitié! Aujourd'hui, le public ne se mêlant plus de rien, grâce au ciel et aux artistes, nous avons réglé les ovations d'après mon système, et c'est tout différent. Sous la dernière direction de l'Opéra, notre art faillit se perdre ou tout au moins rétrograder. On confiait la partie de l'Enthousiasme à quatre jeunes danseuses inexpérimentées, et, de plus, connues personnellement de tous les abonnés; ces enfants, novices comme on l'est à cet âge, se plaçaient constamment dans la salle aux mêmes endroits, et jetaient toujours au même instant les mêmes bouquets à la même cantatrice; si bien qu'on finit par tourner en dérision l'éloquence de leurs fleurs. Mes filles, d'après mes leçons, ont réformé cela, et maintenant l'administration a lieu, je pense, d'être entièrement satisfaite. – Monsieur votre fils est-il aussi dans les fleurs? – Oh! pour mon fils, il excite l'enthousiasme d'une autre façon: il a une voix superbe. – Alors, pourquoi son nom m'est-il encore inconnu? – Il n'est jamais sur l'affiche. – Il chante cependant? – Non, monsieur, il crie. – C'est ce que je voulais dire. – Oui, il crie, et sa voix a bien souvent, dans les circonstances difficiles, suffi pour entraîner les masses les plus récalcitrantes; mon fils, monsieur, est pour le rappel. – Comment! seriez-vous compatriotes d'O'Connell? – Je ne connais pas cet acteur-là. Mon fils est pour le rappel des premiers sujets quand le public reste froid et ne redemande personne. Vous voyez qu'il n'a point une sinécure et qu'il gagne bien son argent. Il a eu le bonheur, lors de ses débuts au Théâtre-Français, d'y trouver une tragédienne dont le nom commence par une syllabe excellente, la syllabe Ra! Dieu sait tout le parti qu'on peut tirer de ce Ra! J'aurais eu de grandes inquiétudes pour son succès à l'Opéra quand vint la retraite de la fameuse cantatrice dont l'O unique retentissait si bien en dépit des cinq consonnes tudesques qui l'entourent, s'il n'était survenu une autre prima donna, dont la syllabe plus avantageuse encore, la syllabe Ma, mit mon fils au pinacle du premier coup. Aussi, l'enfant, qui a de l'esprit, prétend-il, en escamotant le calembour, que c'est une syllabe… de Cocagne. Vous êtes au fait maintenant. – Complètement. Je vous dirai donc que votre talent est la meilleure de toutes les recommandations; que sans doute la direction de l'Opéra saura l'apprécier, mais qu'il faut vous présenter le plus tôt possible, car on cherche des sujets, et, depuis plus de huit jours, on s'occupe de la composition d'un grand enthousiasme pour un troisième acte auquel on s'intéresse vivement. – En vous remerciant, monsieur, je cours à l'Opéra.» Et la jeune artiste disparut. Je n'ai point eu de ses nouvelles depuis lors, mais j'ai acquis la preuve du plein succès de sa démarche et la certitude qu'elle a contracté avec la direction de l'Opéra un excellent engagement. A la première représentation du nouvel ouvrage, commandé par M. Duponchel, une véritable averse de fleurs est tombée après le troisième acte, et l'on pouvait reconnaître qu'elle partait d'une main exercée. Malheureusement, cette gracieuse ovation n'a pas empêché la pièce et la musique d'en faire autant. – «De faire… quoi? dit encore Bacon, le naïf questionneur. – De tomber, idiot, réplique brutalement Corsino. Ah ça! ton esprit est énormément plus obtus que de coutume, ce soir! Va te coucher, Basile.»

      J'ai maintenant, messieurs, à vous donner l'explication des termes le plus fréquemment employés dans la langue romaine, termes que les Parisiens seuls comprennent bien.

      Faire four signifie ne pas produire d'effet, tomber à plat devant l'indifférence du public.

      Chauffer un four, c'est applaudir inutilement un artiste dont le talent est impuissant à émouvoir le public; cette expression est le pendant du proverbe: Donner un coup d'épée dans l'eau.

      Avoir de l'agrément, c'est être applaudi et par la claque et par une partie du public. Duprez, le jour de son début dans Guillaume Tell, eut un agrément extraordinaire.

      Égayer quelqu'un, c'est le siffler. Cette ironie est cruelle, mais elle présente un sens caché qui lui donne plus de mordant encore. Sans doute, le malheureux artiste qu'on siffle n'éprouve par le fait qu'une gaieté fort contestable, mais son rival dans l'emploi qu'il occupe s'égaye de l'entendre siffler, mais bien d'autres encore rient in petto de l'accident. De sorte qu'à tout prendre, quand il y a quelqu'un de sifflé, il y a toujours aussi quelqu'un d'égayé.

      Tirage est pris, en langue romaine, pour difficulté, labeur, peine. Ainsi le Romain dit: «C'est un bel ouvrage, mais il y aura du tirage pour le faire marcher.» Ce qui signifie que, malgré tout son mérite, l'ouvrage est ennuyeux, et que ce ne sera pas sans de grands efforts que la claque parviendra à lui faire un simulacre de succès.

      Faire une entrée, c'est applaudir un acteur au moment où il entre en scène avant qu'il ait ouvert la bouche.

      Faire une sortie, c'est le poursuivre d'applaudissements et de bravos quand il rentre dans la coulisse, quels qu'aient pu être son dernier geste, son dernier mot, son dernier cri.

      Mettre à couvert un chanteur, c'est l'applaudir et l'acclamer violemment à l'instant précis où il va donner un son faux ou éraillé, afin que sa mauvaise note soit ainsi couverte par le bruit de la claque et que le public ne puisse l'entendre.

      Avoir des égards pour un artiste, c'est l'applaudir modérément, lors même qu'il n'a pu donner de billets à la claque. C'est l'encourager d'AMITIÉ OU A L'ŒIL. Ces deux derniers mots signifient gratuitement.

      Faire mousser solidement ou à fond, c'est applaudir avec frénésie, des mains, des pieds, de la voix et de la parole. Pendant les entr'actes, on doit alors prôner l'œuvre ou l'artiste dans les corridors, au foyer, au café voisin, chez le marchand de cigares, partout. On doit dire: «C'est un chef-d'œuvre, un talent unique, ébouriffant! une voix inouïe! on n'a jamais rien entendu de pareil!» Il y a un professeur très-connu que les directeurs de l'Opéra de Paris font toujours venir de l'étranger, aux occasions solennelles, pour faire ainsi mousser à fond les grands ouvrages, en allumant magistralement le foyer et les corridors. Le talent de ce maître romain est sérieux; son sérieux est admirable.

      L'ensemble de ces dernières opérations s'exprime par les mots soins, soigner.

      Faire empoigner, c'est applaudir hors de propos une chose ou un artiste faible, ce qui provoque alors la colère du public. Il arrive quelquefois qu'une cantatrice médiocre, mais puissante sur le cœur du directeur, chante d'une façon déplorable. Assis au centre du parterre, l'air morne, accablé, l'empereur baisse la tête, indiquant ainsi à ses prétoriens qu'ils doivent garder le silence, ne donner aucune marque de satisfaction, se conformer enfin à ses tristes pensées! Mais la diva goûte peu cette réserve prudente, elle rentre indignée dans la coulisse et court se plaindre au directeur de l'ineptie ou de la trahison du chef de la claque. Le directeur ordonne alors que l'armée romaine donne vigoureusement à l'acte suivant. A son grand regret, le César se voit contraint d'obéir. Le second acte commence, la déesse courroucée chante plus faux qu'auparavant; trois cents paires de mains dévouées l'applaudissent quand même, et le public furieux répond à ces manifestations par une symphonie de sifflets instrumentée à la façon moderne, et de la plus déchirante sonorité. La diva l'a voulu, elle est empoignée.

      Je crois que l'usage de cette expression remonte seulement au règne de Charles X, et à la mémorable séance de la chambre des députés dans laquelle, Manuel s'étant permis de dire que la France avait vu revenir les Bourbons avec répugnance, un orage parlementaire éclata, et M. de Foucault, appelant ses gendarmes, leur dit, en montrant Manuel:

      – Empoignez-moi cet homme-là!

      On dit aussi, pour désigner cette désastreuse évocation des sifflets, faire appeler Azor; de l'habitude où sont les vieilles femmes de siffloter en appelant leur chien, qui porte, toujours le nom d'Azor.

      J'ai vu, après une de ces catastrophes, Auguste, désespéré, prêt à se donner la mort, comme Brutus à Philippes… Une seule considération le retint: il était nécessaire à l'art et à son pays; il sut vivre pour eux.

      Conduire un ouvrage, c'est, pendant les représentations de cet ouvrage, diriger les opérations de l'armée romaine.

      Brrrrrr!!