Название | Les soirées de l'orchestre |
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Автор произведения | Hector Berlioz |
Жанр | Историческая литература |
Серия | |
Издательство | Историческая литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | http://www.gutenberg.org/ebooks/32056 |
LEVER HÉLIAQUE
Le ténor débute de nouveau, mais à l'Opéra cette fois, et devant un public prévenu en sa faveur par ses triomphes d'Italie.
Des exclamations de surprise et de plaisir accueillent sa première mélodie; dès ce moment son succès est décidé. Ce n'est pourtant que le prélude des émotions qu'il doit exciter avant la fin de la soirée. On a admiré dans ce passage la sensibilité et la méthode unies à un organe d'une douceur enchanteresse; restent à connaître les accents dramatiques, les cris de la passion. Un morceau se présente, où l'audacieux artiste lance à voix de poitrine, en accentuant chaque syllabe, plusieurs notes aiguës, avec une force de vibration, une expression de douleur déchirante et une beauté de sons dont rien jusqu'alors n'avait donné une idée. Un silence de stupeur règne dans la salle, toutes les respirations sont suspendues, l'étonnement et l'admiration se confondent dans un sentiment presque semblable «la crainte;» et dans le fait, on peut en avoir pour la fin de cette période inouïe; mais quand elle s'est terminée triomphante, on juge des transports de l'auditoire…
Nous voici au troisième acte. C'est un orphelin qui vient revoir la chaumière de son père; son cœur, d'ailleurs rempli d'un amour sans espoir, tous ses sens agités par les scènes de sang et de carnage que la guerre vient de mettre sous ses yeux, succombent accablés sous le poids du plus désolant contraste. Son père est mort; la chaumière est déserte; tout est calme et silencieux; c'est la paix, c'est la tombe. Et le sein sur lequel il lui serait si doux, en un pareil moment, de répandre les pleurs de la piété filiale, ce cœur auprès duquel seul le sien pourrait battre avec moins de douleur, l'infini l'en sépare… Elle ne sera jamais à lui… La situation est poignante et dignement rendue par le compositeur. Ici, le chanteur s'élève à une hauteur à laquelle on ne l'eût jamais cru capable d'atteindre; il est sublime. Alors, de deux mille poitrines haletantes s'élance une de ces acclamations que l'artiste entend deux ou trois fois dans sa vie, et qui suffisent à payer de longs et rudes travaux.
Puis les bouquets, les couronnes, les rappels; et le surlendemain, la presse débordant d'enthousiasme et lançant le nom du radieux ténor aux échos de tous les points du globe où la civilisation a pénétré.
C'est alors, si j'étais moraliste, qu'il me prendrait fantaisie d'adresser au triomphateur une homélie, dans le genre du discours que fit don Quichotte à Sancho, au moment où le digne écuyer allait prendre possession de son gouvernement de Barataria:
«Vous voilà parvenu, lui dirais-je. Dans quelques semaines vous serez célèbre; vous aurez de forts applaudissements et d'interminables appointements. Les auteurs vous courtiseront, les directeurs ne vous feront plus attendre dans leur antichambre, et si vous leur écrivez, ils vous répondront. Des femmes, que vous ne connaissez pas, parleront de vous comme d'un protégé ou d'un ami intime. On vous dédiera des livres en prose et en vers. Au lieu de cent sous, vous serez obligé de donner cent francs à votre portier le jour de l'an. On vous dispensera du service de la garde nationale. Vous aurez des congés de temps en temps, pendant lesquels les villes de province s'arracheront vos représentations. On couvrira vos pieds de fleurs et de sonnets. Vous chanterez aux soirées du préfet, et la femme du maire vous enverra des abricots. Vous êtes sur le seuil de l'Olympe, enfin; car si les Italiens appellent les cantatrices dive (déesses), il est bien évident que les grands chanteurs sont des dieux. Eh bien! puisque vous voilà passé dieu, soyez bon diable malgré tout; ne méprisez pas trop les gens qui vous donneront de sages avis.
»Rappelez-vous que la voix est un instrument fragile, qui s'altère ou se brise en un instant, souvent sans cause connue; qu'un accident pareil suffit pour précipiter de son trône élevé le plus grand des dieux, et le réduire à l'état d'homme, et à moins encore quelquefois.
»Ne soyez pas trop dur pour les pauvres compositeurs.
»Quand, du haut de votre élégant cabriolet, vous apercevrez dans la rue, à pied, Meyerbeer, Spontini, Halévy ou Auber, ne les saluez pas d'un petit signe d'amitié protectrice, dont ils riraient de pitié et dont les passants s'indigneraient comme d'une suprême impertinence. N'oubliez pas que plusieurs de leurs ouvrages seront admirés et pleins de vie, quand le souvenir de votre ut de poitrine aura disparu à tout jamais.
»Si vous faites de nouveau le voyage d'Italie, n'allez pas vous y engouer de quelque médiocre tisseur de cavatines, le donner, à votre retour, pour un auteur classique, et nous dire d'un air impartial que Beethoven avait aussi du talent; car il n'y a pas de dieu qui échappe au ridicule.
»Quand vous accepterez de nouveaux rôles, ne vous permettez pas d'y rien changer à la représentation, sans l'assentiment de l'auteur. Car sachez qu'une seule note ajoutée, retranchée ou transposée, peut aplatir une mélodie et en dénaturer l'expression. D'ailleurs, c'est un droit qui ne saurait en aucun cas être le vôtre. Modifier la musique qu'on chante ou le livre qu'on traduit, sans en rien dire à celui qui ne l'écrivit qu'avec beaucoup de réflexion, c'est commettre un indigne abus de confiance. Les gens qui empruntent sans prévenir sont appelés voleurs, les interprètes infidèles sont des calomniateurs et des assassins.
»Si d'aventure, il arrive un émule dont la voix ait plus de mordant et de force que la vôtre, n'allez pas, dans un duo, jouer aux poumons avec lui, et soyez sûr qu'il ne faut pas lutter contre le pot de fer, même quand on est un vase de porcelaine de la Chine. Dans vos tournées départementales, gardez-vous aussi de dire aux provinciaux, en parlant de l'Opéra et de sa troupe chorale et instrumentale: Mon théâtre, mes chœurs, mon orchestre. Les provinciaux n'aiment pas plus que les Parisiens qu'on les prenne pour des niais; ils savent fort bien que vous appartenez au théâtre, mais que le théâtre n'est pas à vous, et ils trouveraient la fatuité de votre langage d'un grotesque parfait.
»Maintenant, ami Sancho, reçois ma bénédiction; va gouverner Barataria; c'est une île assez basse, mais la plus fertile peut-être qu'il y ait en terre ferme. Ton peuple est fort médiocrement civilisé; encourage l'instruction publique; que dans deux ans on ne se méfie plus, comme de sorciers maudits, des gens qui savent lire: ne t'abuse pas sur les louanges de ceux à qui tu permettras de s'asseoir à ta table; oublie tes damnés proverbes; ne te trouble point quand tu auras un discours important à prononcer; ne manque jamais à ta parole; que ceux qui te confieront leurs intérêts puissent être assurés que tu ne les trahiras pas; et que ta voix soit juste pour tout le monde!»
LE TÉNOR AU ZÉNITH
Il a cent mille francs d'appointements et un mois de congé. Après son premier rôle, qui lui valut un éclatant succès, le ténor en essaye quelques autres avec des fortunes diverses. Il en accepte même de nouveaux qu'il abandonne après trois ou quatre représentations s'il n'y excelle pas autant que dans les rôles anciens. Il peut briser ainsi la carrière d'un compositeur, anéantir un chef-d'œuvre, ruiner un éditeur et faire un tort énorme au théâtre. Ces considérations n'existent pas pour lui. Il ne voit dans l'art que de l'or et des couronnes; et le moyen le plus propre à les obtenir promptement est pour lui le seul qu'il faille employer.
Il a remarqué que certaines formules mélodiques, certaines vocalisations, certains ornements, certains éclats de voix, certaines terminaisons banales, certains rhythmes ignobles, avaient la propriété d'exciter instantanément des applaudissements tels quels, cette raison lui semble