Borgia. Michel Zevaco

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Название Borgia
Автор произведения Michel Zevaco
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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! monseigneur, fit Ragastens en bondissant, que dites-vous là ?… Vous voulez vous moquer, sans doute…

      – Après-demain, au château Saint-Ange, venez chercher votre brevet…

      Ivre de joie, tous ses rêves dépassés d’un coup par la plus singulière fortune, le chevalier s’inclina, saisit la main de César et la porta à ses lèvres…

      – Maintenant, vous pouvez vous retirer, monsieur… Un mot encore, cependant. Ce matin, lorsque vous fîtes peur à ce bon Garconio, vous avez rencontré une jeune dame vêtue de blanc et montée sur un cheval blanc ?…

      Il allait parler… Il cherchait les mots qui devaient assurer à Primevère les bonnes grâces de César… Tout à coup, une pâleur livide s’étendit sur son front. Les paroles s’étranglèrent dans sa gorge…

      En s’inclinant, Ragastens avait jeté les yeux, par hasard, sur la mosaïque de marbre qui formait le plancher de la salle. Et il venait d’apercevoir une large tache de sang !…

      Pourquoi cette vue arrêta-t-elle les mots irréparables qu’il allait proférer… Frémissant, il se tut…

      – Eh bien, monsieur, fit César, vous alliez dire…

      – J’allais dire, monseigneur, que j’ai en effet rencontré la dame dont vous me parlez et que j’ai bien regretté d’avoir inter-rompu la conversation de ce digne moine, lorsque j’ai su qu’il était à vous !

      – Ainsi, reprit Borgia devenu sombre, vous ne la connaissez pas ?…

      – Comment la connaîtrais-je monseigneur ?… J’ignore son nom : je ne sais même pas par quel chemin elle a disparu…

      – Bien, monsieur… Vous pouvez vous retirer. Après-demain, au château Saint-Ange… N’oubliez pas !

      – Diable, monseigneur, pour oublier, il faudrait que j’eusse perdu l’esprit.

      Et Ragastens, de l’air le plus naturel du monde, fit une pro-fonde et gracieuse salutation à Lucrèce, qui lui donna sa main à baiser. Puis il sortit, se réservant de réfléchir à la découverte qu’il venait de faire.

      Ses soupçons éveillés, il se demandait maintenant si toute cette aventure, commencée comme un beau rêve, n’allait pas aboutir à quelque traquenard. Avec un frisson, il se rappela les avertissements de Primevère. À ce moment, une petite main douce saisit la sienne et une voix lui glissa à l’oreille :

      – Venez, et ne faites pas de bruit…

      Ragastens était brave. La voix n’avait rien de sinistre au con-traire… Et pourtant, il fut saisi d’un malaise. Mais il se remit promptement et, s’en remettant à sa bonne étoile, il suivit son guide féminin.

      Après des tours et des détours, il se retrouva tout à coup dans la salle des festins. La vaste pièce était maintenant faible-ment éclairée par un seul flambeau. Le cœur de Ragastens bat-tait à rompre.

      – Ne bougez pas… ne remuez pas, murmura son guide, et attendez ici… jusqu’à ce qu’on vienne vous chercher.

      Puis la servante qui avait conduit le chevalier disparut.

      Les yeux de Ragastens furent aussitôt invinciblement attirés vers la tache de sang… Elle était là encore… Il s’approcha sur la pointe du pied… se baissa… toucha le sang… il n’était pas encore complètement coagulé.

      – Il y a une heure à peine que ce sang a été répandu ! mur-mura-t-il… Oh ! Qu’est cela ?…

      Une autre tache apparaissait plus loin… puis d’autres… tout un chemin rouge, une piste sanglante ! Haletant, il suivit cette piste, courbé sur les dalles, pas à pas…

      Il arriva à une porte et mit la main sur le verrou… La porte s’ouvrit… Au delà, la piste continuait…

      Guidé par elle, Ragastens traversa plusieurs salles et parvint enfin à une dernière porte qu’il ouvrit. Il étouffa alors une excla-mation de surprise épouvantée. Il se trouvait au bord du Tibre !…

      Un instant, il eut la pensée de se laisser glisser dans le Tibre, de se sauver… Mais l’idée de fuir – de fuir devant une femme ! – le révolta.

      Il raffermit son épée, ferma la porte et rapidement, d’un pas léger, regagna la salle des festins, toujours obscure et silencieuse. Quelques minutes pleines d’angoisse s’écoulèrent.

      Enfin la même servante reparut. Comme tout à l’heure, elle le prit par la main et lui fit traverser trois ou quatre pièces obs-cures. Elle s’arrêta alors devant une porte et lui dit simplement :

      – Vous pouvez entrer.

      Ragastens hésita une seconde ; puis, haussant les épaules, poussa la porte…

      Il se trouva au seuil d’une sorte de réduit mystérieusement éclairé, comme le sont les chapelles, pendant les nuits de prières.

      Au fond de ce réduit, sur un amas de peaux de panthères, une femme !… Une femme nue qui souriait, les bras tendus… C’était Lucrèce !…

      VI. L’IDYLLE APRÈS L’ORGIE

      Il était environ trois heures du matin, lorsque Ragastens, rentré à l’hôtellerie du Beau-Janus, tomba sur son lit, épuisé de fatigue, et s’endormit d’un sommeil de plomb. Il dormit d’une traite jusqu’à huit heures et fut réveillé par son hôte.

      Le digne Romain venait lui demander le prix de la journée qui commençait. C’était, dans son honorable maison, une règle invariable : on payait d’avance.

      Le chevalier tâta ses poches et constata qu’il était pauvre comme Job. Il soupira, jeta un coup d’œil sur son diamant et pria l’hôte d’aller lui chercher un joaillier. L’hôte avait surpris le coup d’œil et comprit.

      – Le Ghetto est à deux pas, seigneur ; dans cinq minutes, je vous amène un Juif de mes amis qui achète les pierres pré-cieuses.

      – Amenez-en aussi un autre qui vende des hardes.

      – Ce sera le même ! répondit l’aubergiste, qui partit en cou-rant. Quelques minutes plus tard il revenait, en effet, suivi d’un vieillard à barbe majestueuse, mais sale et crasseuse, lequel se confondit en salutations et déposa sur le lit un assortiment com-plet de costumes. Ragastens lui tendit son diamant.

      Le Juif tira une petite balance de sa poche, pesa la superbe pierre et l’examina à la loupe.

      Il y eut un débat. Le Juif commença par offrir le quart de la valeur du diamant. Mais, il s’aperçut bientôt qu’il avait affaire à forte partie et, avec force gémissements, il dut se résigner à ne gagner que le tiers du prix réel.

      Ragastens, alors, fit choix d’un équipement tout neuf et s’habilla au fur et à mesure qu’il choisissait les diverses pièces de son costume, dont chacune donna lieu à un marchandage effré-né.

      Finalement, le chevalier se trouva équipé de pied en cap, lui-sant, rayonnant, flamboyant. Mais, tout payé, et l’hôte prudem-ment soldé pour trois jours d’avance, il ne lui restait plus que quelques écus.

      Il allait sortir, lorsque l’hôtelier introduisit dans sa chambre un personnage bizarre qui demandait à le voir.

      Ce vieillard entra en exécutant une série de courbettes. L’hôtelier l’avait introduit en lui témoignant un respect étrange, où il y avait de la terreur. Et, comme il demeurait là pour satis-faire une intense curiosité, Ragastens, d’un signe impérieux, lui ordonna de sortir.

      L’hôte s’éclipsa. Mais il n’en perdit pas un coup d’œil car, penché à la serrure de la porte, il assista à l’entrevue. Dès qu’ils furent seuls, Ragastens interrogea son visiteur d’un regard.

      – Il signor Giacomo, pour vous servir.

      – Monsieur Giacomo, que me vaut le plaisir ?…

      – Je suis chargé de