Salammbô. Gustave Flaubert

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Название Salammbô
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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militaire, dont les lames d’airain déchiraient la pourpre du lit. Un collier à lune d’argent s’embarrassait dans les poils de sa poitrine. Des éclaboussures de sang lui tachetaient la face, il s’appuyait sur le coude gauche ; et la bouche grande ouverte il souriait.

      Salammbô n’en était plus au rythme sacré. Elle employait simultanément tous les idiomes des Barbares, délicatesse de femme pour attendrir leur colère. Aux Grecs elle parlait grec, puis elle se tournait vers les Ligures, vers les Campaniens, vers les Nègres ; et chacun en l’écoutant retrouvait dans cette voix la douceur de sa patrie. Emportée par les souvenirs de Carthage, elle chantait maintenant les anciennes batailles contre Rome ; ils applaudissaient. Elle s’enflammait à la lueur des épées nues ; elle criait, les bras ouverts. Sa lyre tomba, elle se tut ; – et pressant son coeur à deux mains, elle resta quelques minutes les paupières closes à savourer l’agitation de tous ces hommes.

      Mâtho le Libyen se penchait vers elle. Involontairement elle s’en approcha, et, poussée par la reconnaissance de son orgueil, elle lui versa dans une coupe d’or un long jet de vin pour se réconcilier avec l’armée.

      – «Bois !» dit-elle.

      Il prit la coupe et il la portait à ses lèvres quand un Gaulois, le même que Giscon avait blessé, le frappa sur l’épaule, tout en débitant d’un air jovial des plaisanteries dans la langue de son pays. Spendius n’était pas loin ; il s’offrit à les expliquer.

      – «Parle !» dit Mâtho.

      – «Les Dieux te protègent, tu vas devenir riche. A quand les noces ?»

      – «Quelles noces ?»

      – «Les tiennes ! car chez nous» , dit le Gaulois, «lorsqu’une femme fait boire un soldat, c’est qu’elle lui offre sa couche.»

      Il n’avait pas fini que Narr’Havas, en bondissant, tira un javelot de sa ceinture, et appuyé du pied droit sur le bord de la table, il le lança contre Mâtho.

      Le javelot siffla entre les coupes, et, traversant le bras du Libyen, le cloua sur la nappe si fortement, que la poignée en tremblait dans l’air.

      Mâtho l’arracha vite ; mais il n’avait pas d’armes, il était nu ; enfin, levant à deux bras la table surchargée, il la jeta contre Narr’Havas tout au milieu de la foule qui se précipitait entre eux. Les soldats et les Numides se serraient à ne pouvoir tirer leurs glaives. Mâtho avançait en donnant de grands coups avec sa tête. Quand il la releva, Narr’Havas avait disparu. Il le chercha des yeux. Salammbô aussi était partie.

      Alors sa vue se tournant sur le palais, il aperçut tout en haut la porte rouge à croix noire qui se refermait. Il s’élança.

      On le vit courir entre les proues des galères, puis réapparaître le long des trois escaliers jusqu’à la porte rouge qu’il heurta de tout son corps. En haletant, il s’appuya contre le mur pour ne pas tomber.

      Un homme l’avait suivi, et, à travers les ténèbres, car les lueurs du festin étaient cachées par l’angle du palais, il reconnut Spendius.

      – «Va-t’en !» dit-il.

      L’esclave, sans répondre, se mit avec ses dents à déchirer sa tunique ; puis s’agenouillant auprès de Mâtho il lui prit le bras délicatement, et il le palpait dans l’ombre pour découvrir la blessure.

      Sous un rayon de la lune qui glissait entre les nuages, Spendius aperçut au milieu du bras une plaie béante. Il roula tout autour le morceau d’étoffe ; mais l’autre, s’irritant, disait : «Laisse-moi ! Laisse-moi !»

      – «Oh ! non !» reprit l’esclave. «Tu m’as délivré de l’ergastule. Je suis à toi ! tu es mon maître ! ordonne !»

      Mâtho, en frôlant les murs, fit le tour de la terrasse. Il tendait l’oreille à chaque pas, et, par l’intervalle des roseaux dorés, plongeait ses regards dans les appartements silencieux. Enfin il s’arrêta d’un air désespéré.

      – «Ecoute !» lui dit l’esclave. «Oh ! ne me méprise pas pour ma faiblesse ! J’ai vécu dans le palais. Je peux, comme une vipère, me couler entre les murs. Viens ! Il y a dans la Chambre des Ancêtres un lingot d’or sous chaque dalle ; une voie souterraine conduit à leurs tombeaux.»

      – «Eh ! qu’importe !» dit Mâtho.

      Spendius se tut.

      Ils étaient sur la terrasse. Une masse d’ombre énorme s’étalait devant eux, et qui semblait contenir de vagues amoncellements, pareils aux flots gigantesques d’un océan noir pétrifié.

      Mais une barre lumineuse s’éleva du côté de l’Orient. A gauche, tout en bas, les canaux de Mégara commençaient à rayer de leurs sinuosités blanches les verdures des jardins. Les toits coniques des temples heptagones, les escaliers, les terrasses, les remparts, peu à peu, se découpaient sur la pâleur de l’aube ; et tout autour de la péninsule carthaginoise une ceinture d’écume blanche oscillait tandis que la mer couleur d’émeraude semblait comme figée dans la fraîcheur du matin. Puis à mesure que le ciel rose allait s’élargissant, les hautes maisons inclinées sur les pentes du terrain se haussaient, se tassaient telles qu’un troupeau de chèvres noires qui descend des montagnes. Les rues désertes s’allongeaient ; les palmiers, çà et là sortant des murs, ne bougeaient pas ; les citernes remplies avaient l’air de boucliers d’argent perdus dans les cours, le phare du promontoire Hennormaeum commençait à pâlir. Tout en haut de l’Acropole, dans le bois de cyprès, les chevaux d’Eschmoûn, sentant venir la lumière, posaient leurs sabots sur le parapet de marbre et hennissaient du côté du soleil.

      Il parut ; Spendius, levant les bras, poussa un cri.

      Tout s’agitait dans une rougeur épandue, car le Dieu, comme se déchirant, versait à pleins rayons sur Carthage la pluie d’or de ses veines. Les éperons des galères étincelaient, le toit de Khamon paraissait tout en flammes, et l’on apercevait des lueurs au fond des temples dont les portes s’ouvraient. Les grands chariots arrivant de la campagne faisaient tourner leurs roues sur les dalles des rues. Des dromadaires chargés de bagages descendaient les rampes. Les changeurs dans les carrefours relevaient les auvents de leurs boutiques. Des cigognes s’envolèrent, des voiles blanches palpitaient. On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des courtisanes sacrées, et à la pointe des Mappales, les fourneaux pour cuire les cercueils d’argile commençaient à fumer.

      Spendius se penchait en dehors de la terrasse ; ses dents claquaient, il répétait :

      – «Ah ! oui… oui … maître ! je comprends pourquoi tu dédaignais tout à l’heure le pillage de la maison.»

      Mâtho fut comme réveillé par le sifflement de sa voix, il semblait ne pas comprendre ; Spendius reprit :

      – «Ah ! quelles richesses ! et les hommes qui les possèdent n’ont même pas de fer pour les défendre !»

      Alors, lui faisant voir de sa main droite étendue quelques-uns de la populace qui rampaient en dehors du môle, sur le sable, pour chercher des paillettes d’or :

      – «Tiens !» lui dit-il, «la République est comme ces misérables : courbée au bord des océans, elle enfonce dans tous les rivages ses bras avides, et le bruit des flots emplit tellement son oreille qu’elle n’entendrait pas venir par-derrière le talon d’un maître !»

      Il entraîna Mâtho tout à l’autre bout de la terrasse, et lui montrant le jardin où miroitaient au soleil les épées des soldats suspendues dans les arbres.

      – «Mais ici il y a des hommes forts dont la haine est exaspérée ! et rien ne les attache à Carthage, ni leurs familles, ni leurs serments, ni leurs dieux !»

      Mâtho restait appuyé contre le mur ; Spendius, se rapprochant, poursuivit à voix basse :

      – «Me comprends-tu, soldat ? Nous nous promènerions couverts de pourpre comme des satrapes. On nous laverait dans les parfums ; j’aurais des esclaves à mon tour ! N’es-tu pas las de dormir sur la terre dure, de boire le vinaigre des camps, et toujours d’entendre