Notre Dame de Paris. Victor Hugo

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Название Notre Dame de Paris
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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fait un passe-droit. – C’est vrai cela! il a donné ma place dans la nation de Normandie au petit Ascanio Falzaspada, qui est de la province de Bourges, puisqu’il est Italien.

      – C’est une injustice, dirent tous les écoliers. À bas le chancelier de Sainte-Geneviève!

      – Ho hé! maître Joachim de Ladehors! Ho hé! Louis Dahuille! Ho hé! Lambert Hoctement!

      – Que le diable étouffe le procureur de la nation d’Allemagne!

      – Et les chapelains de la Sainte-Chapelle, avec leurs aumusses grises; cum tunicis grisis!

      – Seu de pellibus grisis fourratis[7]!

      – Holàhée! les maîtres ès arts! Toutes les belles chapes noires! toutes les belles chapes rouges!

      – Cela fait une belle queue au recteur.

      – On dirait un duc de Venise qui va aux épousailles de la mer.

      – Dis donc, Jehan! les chanoines de Sainte-Geneviève!

      – Au diable la chanoinerie!

      – Abbé Claude Choart! docteur Claude Choart! Est-ce que vous cherchez Marie la Giffarde?

      – Elle est rue de Glatigny.

      – Elle fait le lit du roi des ribauds.

      – Elle paie ses quatre deniers; quatuor denarios.

      – Aut unum bombum[8].

      – Voulez-vous qu’elle vous paie au nez?

      – Camarades! maître Simon Sanguin, l’électeur de Picardie, qui a sa femme en croupe.

      – Post equitem sedet atra cura[9].

      – Hardi, maître Simon!

      – Bonjour, monsieur l’électeur!

      – Bonne nuit, madame l’électrice!

      – Sont-ils heureux de voir tout cela», disait en soupirant Joannes de Molendino, toujours perché dans les feuillages de son chapiteau.

      Cependant le libraire juré de l’Université, maître Andry Musnier, se penchait à l’oreille du pelletier-fourreur des robes du roi, maître Gilles Lecornu.

      «Je vous le dis, monsieur, c’est la fin du monde. On n’a jamais vu pareils débordements de l’écolerie. Ce sont les maudites inventions du siècle qui perdent tout. Les artilleries, les serpentines, les bombardes, et surtout l’impression, cette autre peste d’Allemagne. Plus de manuscrits, plus de livres! L’impression tue la librairie. C’est la fin du monde qui vient.

      – Je m’en aperçois bien aux progrès des étoles de velours», dit le marchand fourreur.

      En ce moment midi sonna.

      «Ha!…» dit toute la foule d’une seule voix. Les écoliers se turent. Puis il se fit un grand remue-ménage, un grand mouvement de pieds et de têtes, une grande détonation générale de toux et de mouchoirs; chacun s’arrangea, se posta, se haussa, se groupa; puis un grand silence; tous les cous restèrent tendus, toutes les bouches ouvertes, tous les regards tournés vers la table de marbre. Rien n’y parut. Les quatre sergents du bailli étaient toujours là, roides et immobiles comme quatre statues peintes. Tous les yeux se tournèrent vers l’estrade réservée aux envoyés flamands. La porte restait fermée, et l’estrade vide. Cette foule attendait depuis le matin trois choses: midi, l’ambassade de Flandre, le mystère. Midi seul était arrivé à l’heure.

      Pour le coup c’était trop fort.

      On attendit une, deux, trois, cinq minutes, un quart d’heure; rien ne venait. L’estrade demeurait déserte, le théâtre muet. Cependant à l’impatience avait succédé la colère. Les paroles irritées circulaient, à voix basse encore, il est vrai. «Le mystère! le mystère!» murmurait-on sourdement. Les têtes fermentaient. Une tempête, qui ne faisait encore que gronder, flottait à la surface de cette foule. Ce fut Jehan du Moulin qui en tira la première étincelle.

      «Le mystère, et au diable les Flamands!» s’écria-t-il de toute la force de ses poumons, en se tordant comme un serpent autour de son chapiteau.

      La foule battit des mains.

      «Le mystère, répéta-t-elle, et la Flandre à tous les diables!

      – Il nous faut le mystère, sur-le-champ, reprit l’écolier; ou m’est avis que nous pendions le bailli du Palais, en guise de comédie et de moralité.

      – Bien dit, cria le peuple, et entamons la pendaison par ses sergents.»

      Une grande acclamation suivit. Les quatre pauvres diables commençaient à pâlir et à s’entre-regarder. La multitude s’ébranlait vers eux, et ils voyaient déjà la frêle balustrade de bois qui les en séparait ployer et faire ventre sous la pression de la foule.

      Le moment était critique.

      «À sac! à sac!» criait-on de toutes parts.

      En cet instant, la tapisserie du vestiaire que nous avons décrit plus haut se souleva, et donna passage à un personnage dont la seule vue arrêta subitement la foule, et changea comme par enchantement sa colère en curiosité.

      «Silence! silence!»

      Le personnage, fort peu rassuré et tremblant de tous ses membres, s’avança jusqu’au bord de la table de marbre, avec force révérences qui, à mesure qu’il approchait, ressemblaient de plus en plus à des génuflexions.

      Cependant le calme s’était peu à peu rétabli. Il ne restait plus que cette légère rumeur qui se dégage toujours du silence de la foule.

      «Messieurs les bourgeois, dit-il, et mesdemoiselles les bourgeoises, nous devons avoir l’honneur de déclamer et représenter devant son éminence Monsieur le cardinal une très belle moralité, qui a nom: Le bon jugement de madame la vierge Marie. C’est moi qui fais Jupiter. Son Éminence accompagne en ce moment l’ambassade très honorable de monsieur le duc d’Autriche; laquelle est retenue, à l’heure qu’il est, à écouter la harangue de monsieur le recteur de l’Université, à la porte Baudets. Dès que l’éminentissime cardinal sera arrivé, nous commencerons.»

      Il est certain qu’il ne fallait rien moins que l’intervention de Jupiter pour sauver les quatre malheureux sergents du bailli du Palais. Si nous avions le bonheur d’avoir inventé cette très véridique histoire, et par conséquent d’en être responsable par-devant Notre-Dame la Critique, ce n’est pas contre nous qu’on pourrait invoquer en ce moment le précepte classique: Nec deus intersit[10]. Du reste, le costume du seigneur Jupiter était fort beau, et n’avait pas peu contribué à calmer la foule en attirant toute son attention. Jupiter était vêtu d’une brigandine couverte de velours noir, à clous dorés; il était coiffé d’un bicoquet garni de boutons d’argent dorés; et, n’était le rouge et la grosse barbe qui couvraient chacun une moitié de son visage, n’était le rouleau de carton doré, semé de passequilles et tout hérissé de lanières de clinquant qu’il portait à la main et dans lequel des yeux exercés reconnaissaient aisément la foudre, n’était ses pieds couleur de chair et enrubannés à la grecque, il eût pu supporter la comparaison, pour la sévérité de sa tenue, avec un archer breton du corps de monsieur de Berry.

      II. PIERRE GRINGOIRE

      Cependant, tandis qu’il haranguait, la satisfaction, l’admiration unanimement excitées par son costume se dissipaient à ses paroles; et quand il arriva à cette conclusion malencontreuse: «Dès que l’éminentissime cardinal sera arrivé, nous commencerons», sa voix se perdit dans un tonnerre de huées.

      «Commencez tout de suite! Le mystère! le mystère tout de suite! criait le peuple. Et l’on entendait par-dessus toutes les voix celle de Johannes de Molendino, qui perçait la rumeur comme le fifre dans un charivari de Nîmes: – Commencez tout de suite! glapissait l’écolier.

      – À bas Jupiter et le cardinal de Bourbon! vociféraient Robin Poussepain et les autres clercs juchés dans la croisée.

      – Tout