Notre Dame de Paris. Victor Hugo

Читать онлайн.
Название Notre Dame de Paris
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

tairas-tu, cigale d’enfer?» cria-t-elle, toujours du même coin obscur de la place.

      La pauvre cigale s’arrêta court. Gringoire se boucha les oreilles.

      «Oh! s’écria-t-il, maudite scie ébréchée, qui vient briser la lyre!»

      Cependant les autres spectateurs murmuraient comme lui: «Au diable la sachette!» disait plus d’un. Et la vieille trouble-fête invisible eût pu avoir à se repentir de ses agressions contre la bohémienne, s’ils n’eussent été distraits en ce moment même par la procession du pape des fous, qui, après avoir parcouru force rues et carrefours, débouchait dans la place de Grève, avec toutes ses torches et toute sa rumeur.

      Cette procession, que nos lecteurs ont vue partir du Palais, s’était organisée chemin faisant, et recrutée de tout ce qu’il y avait à Paris de marauds, de voleurs oisifs, et de vagabonds disponibles; aussi présentait-elle un aspect respectable lorsqu’elle arriva en Grève.

      D’abord marchait l’Égypte. Le duc d’Égypte, en tête, à cheval, avec ses comtes à pied, lui tenant la bride et l’étrier; derrière eux, les égyptiens et les égyptiennes pêle-mêle avec leurs petits enfants criant sur leurs épaules; tous, duc, comtes, menu peuple, en haillons et en oripeaux. Puis c’était le royaume d’argot: c’est-à-dire tous les voleurs de France, échelonnés par ordre de dignité; les moindres passant les premiers. Ainsi défilaient quatre par quatre, avec les divers insignes de leurs grades dans cette étrange faculté, la plupart éclopés, ceux-ci boiteux, ceux-là manchots, les courtauds de boutanche, les coquillarts, les hubins, les sabouleux, les calots, les francs-mitoux, les polissons, les piètres, les capons, les malingreux, les rifodés, les marcandiers, les narquois, les orphelins, les archisuppôts, les cagoux; dénombrement à fatiguer Homère. Au centre du conclave des cagoux et des archisuppôts, on avait peine à distinguer le roi de l’argot, le grand coësre, accroupi dans une petite charrette traînée par deux grands chiens. Après le royaume des argotiers, venait l’empire de Galilée. Guillaume Rousseau, empereur de l’empire de Galilée, marchait majestueusement dans sa robe de pourpre tachée de vin, précédé de baladins s’entre-battant et dansant des pyrrhiques, entouré de ses massiers, de ses suppôts, et des clercs de la chambre des comptes. Enfin venait la basoche, avec ses mais couronnés de fleurs, ses robes noires, sa musique digne du sabbat, et ses grosses chandelles de cire jaune. Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur leurs épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte-Geneviève en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nouveau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu.

      Chacune des sections de cette procession grotesque avait sa musique particulière. Les égyptiens faisaient détonner leurs balafos et leurs tambourins d’Afrique. Les argotiers, race fort peu musicale, en étaient encore à la viole, au cornet à bouquin et à la gothique rubebbe du douzième siècle. L’empire de Galilée n’était guère plus avancé; à peine distinguait-on dans sa musique quelque misérable rebec de l’enfance de l’art, encore emprisonné dans le ré-la-mi. Mais c’est autour du pape des fous que se déployaient, dans une cacophonie magnifique, toutes les richesses musicales de l’époque. Ce n’étaient que dessus de rebec, hautes-contre de rebec, tailles de rebec, sans compter les flûtes et les cuivres. Hélas! nos lecteurs se souviennent que c’était l’orchestre de Gringoire.

      Il est difficile de donner une idée du degré d’épanouissement orgueilleux et béat où le triste et hideux visage de Quasimodo était parvenu dans le trajet du Palais à la Grève. C’était la première jouissance d’amour-propre qu’il eût jamais éprouvée. Il n’avait connu jusque-là que l’humiliation, le dédain pour sa condition, le dégoût pour sa personne. Aussi, tout sourd qu’il était, savourait-il en véritable pape les acclamations de cette foule qu’il haïssait pour s’en sentir haï. Que son peuple fût un ramas de fous, de perclus, de voleurs, de mendiants, qu’importe! c’était toujours un peuple, et lui un souverain. Et il prenait au sérieux tous ces applaudissements ironiques, tous ces respects dérisoires, auxquels nous devons dire qu’il se mêlait pourtant dans la foule un peu de crainte fort réelle. Car le bossu était robuste; car le bancal était agile; car le sourd était méchant: trois qualités qui tempèrent le ridicule.

      Du reste, que le nouveau pape des fous se rendît compte à lui-même des sentiments qu’il éprouvait et des sentiments qu’il inspirait, c’est ce que nous sommes loin de croire. L’esprit qui était logé dans ce corps manqué avait nécessairement lui-même quelque chose d’incomplet et de sourd. Aussi, ce qu’il ressentait en ce moment était-il pour lui absolument vague, indistinct et confus. Seulement la joie perçait, l’orgueil dominait. Autour de cette sombre et malheureuse figure, il y avait rayonnement.

      Ce ne fut donc pas sans surprise et sans effroi que l’on vit tout à coup, au moment où Quasimodo, dans cette demi-ivresse, passait triomphalement devant la Maison-aux-Piliers, un homme s’élancer de la foule et lui arracher des mains, avec un geste de colère, sa crosse de bois doré, insigne de sa folle papauté.

      Cet homme, ce téméraire, c’était le personnage au front chauve qui, le moment auparavant, mêlé au groupe de la bohémienne, avait glacé la pauvre fille de ses paroles de menace et de haine. Il était revêtu du costume ecclésiastique. Au moment où il sortit de la foule, Gringoire, qui ne l’avait point remarqué jusqu’alors, le reconnut: «Tiens! dit-il, avec un cri d’étonnement, c’est mon maître en Hermès, dom Claude Frollo, l’archidiacre! Que diable veut-il à ce vilain borgne? Il va se faire dévorer.»

      Un cri de terreur s’éleva en effet. Le formidable Quasimodo s’était précipité à bas du brancard, et les femmes détournaient les yeux pour ne pas le voir déchirer l’archidiacre. Il fit un bond jusqu’au prêtre, le regarda, et tomba à genoux.

      Le prêtre lui arracha sa tiare, lui brisa sa crosse, lui lacéra sa chape de clinquant.

      Quasimodo resta à genoux, baissa la tête et joignit les mains.

      Puis il s’établit entre eux un étrange dialogue de signes et de gestes, car ni l’un ni l’autre ne parlait. Le prêtre, debout, irrité, menaçant, impérieux; Quasimodo, prosterné, humble, suppliant. Et cependant il est certain que Quasimodo eût pu écraser le prêtre avec le pouce.

      Enfin l’archidiacre, secouant rudement la puissante épaule de Quasimodo, lui fit signe de se lever et de le suivre.

      Quasimodo se leva.

      Alors la confrérie des fous, la première stupeur passée, voulut défendre son pape si brusquement détrôné. Les égyptiens, les argotiers et toute la basoche vinrent japper autour du prêtre.

      Quasimodo se plaça devant le prêtre, fit jouer les muscles de ses poings athlétiques, et regarda les assaillants avec le grincement de dents d’un tigre fâché.

      Le prêtre reprit sa gravité sombre, fit un signe à Quasimodo, et se retira en silence.

      Quasimodo marchait devant lui, éparpillant la foule à son passage.

      Quand ils eurent traversé la populace et la place, la nuée des curieux et des oisifs voulut les suivre. Quasimodo prit alors l’arrière-garde, et suivit l’archidiacre à reculons, trapu, hargneux, monstrueux, hérissé, ramassant ses membres, léchant ses défenses de sanglier, grondant comme une bête fauve, et imprimant d’immenses oscillations à la foule avec un geste ou un regard.

      On les laissa s’enfoncer tous deux dans une rue étroite et ténébreuse, où nul n’osa se risquer après eux; tant la seule chimère de Quasimodo grinçant des dents en barrait bien l’entrée.

      «Voilà qui est merveilleux, dit Gringoire; mais où diable trouverai-je à souper?»

      IV. LES INCONVÉNIENTS DE SUIVRE UNE JOLIE FEMME LE SOIR DANS LES RUES

      Gringoire, à tout hasard, s’était mis à suivre la bohémienne. Il lui avait vu prendre, avec sa chèvre, la rue de la Coutellerie; il avait pris la rue de la Coutellerie.

      «Pourquoi pas?» s’était-il dit.

      Gringoire,