Название | L'homme qui rit |
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Автор произведения | Victor Hugo |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
On avait désormais toutes les chances pour soi. Dans trois ou quatre heures le jour se lèverait, on serait aperçu par quelque navire passant, on serait recueilli. Le plus fort était fait. On rentrait dans la vie. L’important, c’était d’avoir pu se soutenir sur l’eau jusqu’à la cessation de la tempête. Ils se disaient: Cette fois, c’est fini.
Tout à coup ils s’aperçurent que c’était fini en effet.
Un des matelots, le basque du nord, nommé Galdeazun, descendit, pour chercher du câble, dans la cale, puis remonta, et dit:
– La cale est pleine.
– De quoi? demanda le chef.
– D’eau, répondit le matelot.
Le chef cria:
– Qu’est-ce que cela veut dire?
– Cela veut dire, reprit Galdeazun, que dans une demi-heure nous allons sombrer.
XVII. LA RESSOURCE DERNIÈRE
Il y avait une crevasse dans la quille. Une voie d’eau s’était faite. A quel moment? Personne n’eût pu le dire. Était-ce en accostant les Casquets? Était-ce devant Ortach? Était-ce dans le clapotement des bas-fonds de l’ouest d’Aurigny? Le plus probable, c’est qu’ils avaient touché le Singe. Ils avaient reçu un obscur coup de boutoir. Ils ne s’en étaient point aperçus au milieu de la survente convulsive qui les secouait. Dans le tétanos on ne sent pas une piqûre.
L’autre matelot, le basque du sud, qui s’appelait Ave-Maria, fit à son tour la descente de la cale, revint, et dit;
– L’eau dans la quille est haute de deux vares.
Environ six pieds.
Ave-Maria ajouta:
– Avant quarante minutes, nous coulons,
Où était cette voie d’eau? on ne la voyait pas. Elle était noyée. Le volume d’eau qui emplissait la cale cachait cette fissure. Le navire avait un trou au ventre, quelque part, sous la flottaison, fort avant sous la carène. Impossible de l’apercevoir. Impossible de le boucher. On avait une plaie et l’on ne pouvait la panser. L’eau, du reste, n’entrait pas très vite.
Le chef cria:
– Il faut pomper.
Galdeazun répondit:
– Nous n’avons plus de pompe.
– Alors, repartit le chef, gagnons la terre.
– Où, la terre?
– Je ne sais.
– Ni moi.
– Mais elle est quelque part.
– Oui.
– Que quelqu’un nous y mène, reprit le chef.
– Nous n’avons pas de pilote, dit Galdeazun.
– Prends la barre, toi.
– Nous n’avons plus de barre.
– Bâclons-en une avec la première poutre venue. Des clous. Un marteau. Vite des outils!
– La baille de charpenterie est à l’eau. Nous n’avons plus d’outils.
– Gouvernons tout de même, n’importe où!
– Nous n’avons plus de gouvernail.
– Où est le canot? Jetons nous-y. Ramons!
– Nous n’avons plus de canot,
– Ramons sur l’épave.
– Nous n’avons plus d’avirons.
– A la voile alors!
– Nous n’avons plus de voile, et plus de mât.
– Faisons un mât avec une hiloire, faisons une voile avec un prélart. Tirons-nous de là. Confions-nous au vent!
– Il n’y a plus de vent.
Le vent en effet les avait quittés. La tempête s’en était allée, et ce départ, qu’ils avaient pris pour leur salut, était leur perte. Le suroit en persistant les eût frénétiquement poussés quelque rivage, eût gagné de vitesse la voie d’eau, les eût portés peut-être à un bon banc de sable propice, et les eût échoués avant qu’ils eussent sombré. Le rapide emportement de l’orage eût pu leur faire prendre terre. Point de vent, plus d’espoir. Ils mourraient de l’absence d’ouragan.
La situation suprême apparaissait.
Le vent, la grêle, la bourrasque, le tourbillon, sont des combattants désordonnés qu’on peut vaincre. La tempête peut être prise au défaut de l’armure. On a des ressources contre la violence qui se découvre sans cesse, se meut à faux, et frappe souvent à côté. Mais rien à faire contre le calme. Pas un relief qu’on puisse saisir.
Les vents sont une attaque de cosaques; tenez bon, cela se disperse. Le calme, c’est la tenaille du bourreau.
L’eau, sans hâte, mais sans interruption, irrésistible et lourde, montait dans la cale, et, à mesure qu’elle montait, le navire descendait. Cela était très lent.
Les naufragés de la Matutina sentaient peu à peu s’entr’ouvrir sous eux la plus désespérée des catastrophes, la catastrophe inerte. La certitude tranquille et sinistre du fait inconscient les tenait. L’air n’oscillait pas, la mer ne bougeait pas. L’immobile, c’est l’inexorable. L’engloutissemenl les résorbait en silence. A travers l’épaisseur de l’eau muette, sans colère, sans passion, sans le vouloir, sans le savoir, sans y prendre intérêt, le fatal centre du globe les attirait. L’horreur, au repos, se les amalgamait. Ce n’était plus la gueule béante du flot, la double mâchoire du coup de vent et du coup de mer, méchamment menaçante, le rictus de la trombe, l’appétit écumant de la houle; c’était sous ces misérables on ne sait quel bâillement noir de l’infini. Ils se sentaient entrer dans une profondeur paisible qui était la mort. La quantité de bord que le navire avait hors du flot s’amincissait, voilà tout. On pouvait calculer à quelle minute elle s’effacerait. C’était tout le contraire de la submersion par la marée montante. L’eau ne montait pas vers eux, ils descendaient vers elle. Le creusement de leur tombe venait d’eux-mêmes. Leur poids était le fossoyeur.
Ils étaient exécutés, non par la loi des hommes, mais par la loi des choses.
La neige tombait, et, comme l’épave ne remuait plus, cette charpie blanche faisait sur le pont une nappe et couvrait le navire d’un suaire,
La cale allait s’alourdissant. Nul moyen de franchir la voie d’eau. Ils n’avaient pas même une pelle d’épuisement, qui d’ailleurs eût été illusoire et d’un emploi impraticable, l’ourque étant pontée. On s’éclaira; on alluma trois ou quatre torches qu’on planta dans des trous et comme on put. Galdeazun apporta quelques vieux seaux de cuir; ils entreprirent d’étancher la cale et firent la chaîne; mais les seaux étaient hors de service, le cuir des uns était décousu, le fond des autres était crevé, et les seaux se vidaient en chemin. L’inégalité était dérisoire entre ce qu’on recevait et ce qu’on rendait. Une tonne d’eau entrait, un verre d’eau sortait. On n’eut pas d’autre réussite. C’était une dépense d’avare essayant d’épuiser sou sou un million.
Le chef dit:
– Allégeons l’épave!
Pendant la tempête on avait amarré les quelques coffres qui étaient sur le pont. Ils