Название | L'homme qui rit |
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Автор произведения | Victor Hugo |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Cela dit, passons.
Un des composés les plus redoutables de la mer, c’est la tourmente de neige. La tourmente de neige est surtout magnétique. Le pôle la produit comme il produit l’aurore boréale; il est dans ce brouillard comme il est dans cette lueur; et, dans le flocon de neige comme dans la strie de flamme, l’effluve est visible.
Les tourmentes sont les crises de nerfs et les accès de délire de la mer. La mer a ses migraines. On peut assimiler les tempêtes aux maladies. Les unes sont mortelles, d’autres ne le sont point; on se tire de celle-ci et non de celle-là. La bourrasque de neige passe pour être habituellement mortelle. Jarabija, un des pilotes de Magellan, la qualifiait «une nuée sortie du mauvais côté du diable[3]».
Surcouf disait: Il y a du trousse-galant dans cette tempête-là .
Les anciens navigateurs espagnols appelaient cette sorte de bourrasque la nevada au moment des flocons, et la helada au moment des grêlons. Selon eux il tombait du ciel des chauves-souris avec la neige.
Les tempêtes de neige sont propres aux latitudes polaires. Pourtant, parfois elles glissent, on pourrait presque dire elles croulent, jusqu’à nos climats, tant la ruine est mêlée aux aventures de l’air.
La Matutina, on l’a vu, s’était, en quittant Portland, résolument engagée dans ce grand hasard nocturne qu’une approche d’orage aggravait. Elle était entrée dans toute cette menace avec une sorte d’audace tragique. Cependant, insistons-y, l’avertissement ne lui avait point manqué.
II. LES SILHOUETTES DU COMMENCEMENT FIXÉES
Tant que l’ourque fut dans le golfe de Portland, il y eut peu de mer; la lame était presque étale. Quel que fût le brun de l’océan, il faisait encore clair dans le ciel. La brise mordait peu sur le bâtiment. L’ourque longeait le plus possible la falaise qui lui était un bon paravent.
On était dix sur la petite felouque biscayenne, trois hommes d’équipage, et sept passagers, dont deux femmes. A la lumière de la pleine mer, car dans le crépuscule le large refait le jour, toutes les figures étaient maintenant visibles et nettes. On ne se cachait plus d’ailleurs, on ne se gênait plus, chacun reprenait sa liberté d’allures, jetait son cri, montrait son visage, le départ étant une délivrance.
La bigarrure du groupe éclatait. Les femmes étaient sans âge; la vie errante fait des vieillesses précoces, et l’indigence est une ride. L’une était une basquaise des ports-secs; l’autre, la femme au gros rosaire, était une irlandaise. Elles avaient l’air indifférent des misérables. Elles s’étaient en entrant accroupies l’une près de l’autre sur des coffres au pied du mât. Elles causaient; l’irlandais et le basque, nous l’avons dit, sont deux langues parentes. La basquaise avait les cheveux parfumés d’oignon et de basilic. Le patron de l’ourque était basque guipuzcoan; un matelot était basque du versant nord des Pyrénées, l’autre était basque du versant sud, c’est-à-dire de la même nation, quoique le premier fût français et le second espagnol. Les basques ne reconnaissent point la patrie officielle. Mi madre se llama montaña, «ma mère s’appelle la montagne», disait l’arriero Zalareus. Des cinq hommes accompagnant les deux femmes, un était français languedocien, un était français provençal, un était génois, un, vieux, celui qui avait le sombrero sans trou à pipe, paraissait allemand, le cinquième, le chef, était un basque landais de Biscarosse. C’était lui qui, au moment où l’enfant allait entrer dans l’ourque, avait d’un coup de talon jeté la passerelle à la mer. Cet homme, robuste, subit, rapide, couvert, on s’en souvient, de passementeries, de pasquilles et de clinquants qui faisaient ses guenilles flamboyantes, ne pouvait tenir en place, se penchait, se dressait, allait et venait sans cesse d’un bout du navire l’autre, comme inquiet entre ce qu’il venait de faire et ce qui allait arriver.
Ce chef de la troupe et le patron de l’ourque, et les deux hommes d’équipage, basques tous quatre, parlaient tantôt basque, tantôt espagnol, tantôt français, ces trois langues étant répandues sur les deux revers des Pyrénées. Du reste, hormis les femmes, tous parlaient à peu près le français, qui était le fond de l’argot de la bande. La langue française, dès cette époque, commençait être choisie par les peuples comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi. En Europe le commerce parlait français; le vol, aussi. On se souvient que Gibby, voleur de Londres, comprenait Cartouche.
L’ourque, fine voilière, marchait bon train; pourtant dix personnes, plus les bagages, c’était beaucoup de charge pour un si faible gabarit.
Ce sauvetage d’une bande par ce navire n’impliquait pas nécessairement l’affiliation de l’équipage du navire à la bande. Il suffisait que le patron du navire fût un vascongado, et que le chef de la bande en fût un autre. S’entr’aider est, dans cette race, un devoir, qui n’admet pas d’exception. Un basque, nous venons de le dire, n’est ni espagnol, ni français, il est basque; et, toujours et partout, il doit sauver un basque. Telle est la fraternité pyrénéenne.
Tout le temps que l’ourque fut dans le golfe, le ciel, bien que de mauvaise mine, ne parut point assez gâté pour préoccuper les fugitifs. On se sauvait, on s’échappait, on était brutalement gai. L’un riait, l’autre chantait. Ce rire était sec, mais libre; ce chant était bas, mais insouciant.
Le languedocien criait: caougagno! «Cocagne!» est le comble de la satisfaction narbonnaise. C’était un demi-matelot, un naturel du village aquatique de Gruissan sur le versant sud de la Clappe, marinier plutôt que marin, mais habitué à manoeuvrer les périssoires de l’étang de Bages et à tirer sur les sables salés de Sainte-Lucie la traîne pleine de poisson. Il était de cette race qui se coiffe du bonnet rouge, fait des signes de croix compliqués à l’espagnole, boit du vin de peau de bouc, tette l’outre, racle le jambon, s’agenouille pour blasphémer, et implore son saint patron avec menaces: Grand saint, accorde-moi ce que je te demande, ou je te jette une pierre à la tête, «ou t feg’ un pic».
Il pouvait, au besoin, s’ajouter utilement à l’équipage. Le provençal, dans la cambuse, attisait sous une marmite de fer un feu de tourbe, et faisait la soupe.
Cette soupe était une espèce de puchero où le poisson remplaçait la viande et où le provençal jetait des pois chiches, de petits morceaux de lard coupés carrément, et des gousses de piment rouge, concessions du mangeur de bouillabaisse aux mangeurs d’olla podrida. Un des sacs de provisions, déballé, était à côt de lui. Il avait allumé, au-dessus de sa tête, une lanterne de fer à vitres de talc, oscillant à un crochet du plafond de la cambuse. A côté, à un autre crochet, se balançait l’alcyon girouette. C’était alors une croyance populaire qu’un alcyon mort, suspendu par le bec, présente toujours la poitrine au côt d’où vient le vent.
Tout en faisant la soupe, le provençal se mettait par instants dans la bouche le goulot d’une gourde et avalait un coup d’aguardiente. C’était une de ces gourdes revêtues d’osier, larges et plates, à oreillons, qu’on se pendait au côté par une courroie, et qu’on appelait alors «gourdes de hanche». Entre chaque gorgée,