Название | Au Bonheur des Dames |
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Автор произведения | Emile Zola |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Oh! à la perfection, madame! répétait Mignot. Le six trois quarts serait trop grand pour une main comme la vôtre.
À demi couché sur le comptoir, il lui tenait la main, prenait les doigts un à un, faisant glisser le gant d’une caresse longue, reprise et appuyée; et il la regardait, comme s’il eût attendu, sur son visage, la défaillance d’une joie voluptueuse. Mais elle, le coude au bord du velours, le poignet levé, lui livrait ses doigts de l’air tranquille dont elle donnait son pied à sa femme de chambre, pour que celle-ci boutonnât ses bottines. Il n’était pas un homme, elle l’employait aux usages intimes avec son dédain familier des gens à son service, sans le regarder même.
– Je ne vous fais pas de mal, madame?
Elle répondit non, d’un signe de tête. L’odeur des gants de Saxe, cette odeur de fauve comme sucrée du musc, la troublait d’habitude; et elle en riait parfois, elle confessait son goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille. Mais, devant ce comptoir banal, elle ne sentait pas les gants, ils ne mettaient aucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconque faisant son métier.
– Et avec ça, madame?
– Rien, merci… Veuillez porter ça à la caisse 10, pour Mme Desforges, n’est-ce pas?
En habituée de la maison, elle donnait son nom à une caisse et y envoyait chacune de ses emplettes, sans se faire suivre par un commis. Quand elle se fut éloignée, Mignot cligna les yeux, en se tournant vers son voisin, auquel il aurait bien voulu laisser croire que des choses extraordinaires venaient de se passer.
– Hein? murmura-t-il crûment, on la ganterait jusqu’au bout!
Cependant, Mme Desforges continuait ses achats. Elle revint à gauche, s’arrêta au blanc, pour prendre des torchons; puis, elle fit le tour, poussa jusqu’aux lainages, au fond de la galerie. Comme elle était contente de sa cuisinière, elle désirait lui donner une robe. Le rayon des lainages débordait d’une foule compacte, toutes les petites-bourgeoises s’y portaient, tâtaient les étoffes, s’absorbaient en muets calculs; et elle dut s’asseoir un instant. Dans les cases s’étageaient de grosses pièces, que les vendeurs descendaient, une à une, d’un brusque effort des bras. Aussi, commençaient-ils à ne plus se reconnaître sur les comptoirs envahis, où les tissus se mêlaient et s’écroulaient. C’était une mer montante de teintes neutres, de tons sourds de laine, les gris fer, les gris jaunes, les gris bleus, où éclataient çà et là des bariolures écossaises, un fond rouge sang de flanelle. Et les étiquettes blanches des pièces étaient comme une volée de rares flocons blancs, mouchetant un sol noir de décembre.
Derrière une pile de popeline, Liénard plaisantait avec une grande fille en cheveux, une ouvrière du quartier, envoyée par sa patronne pour rassortir du mérinos. Il abominait ces jours de grosse vente, qui lui cassaient les bras, et il tâchait d’esquiver la besogne, largement entretenu par son père, se moquant de vendre, en faisant tout juste assez pour ne pas être mis à la porte.
– Écoutez donc, mademoiselle Fanny, disait-il. Vous êtes toujours pressée… Est-ce que la vigogne croisée allait bien, l’autre jour? Vous savez que j’irai toucher ma guelte chez vous.
Mais l’ouvrière s’échappait en riant, et Liénard se trouva devant Mme Desforges, à laquelle il ne put s’empêcher de demander:
– Que désire madame?
Elle voulait une robe pas chère, solide pourtant. Liénard, dans le but d’épargner ses bras, ce qui était son unique souci, manœuvra pour lui faire prendre une des étoffes déjà dépliées sur le comptoir. Il y avait là des cachemires, des serges, des vigognes, et il lui jurait qu’il n’existait rien de meilleur, on n’en voyait pas la fin. Mais aucun ne semblait la satisfaire. Elle avait avisé, dans une case, un escot bleuâtre. Alors, il finit par se décider, il descendit l’escot, qu’elle jugea trop rude. Ensuite, ce furent une cheviotte, des diagonales, des grisailles, toutes les variétés de la laine, qu’elle eut la curiosité de toucher, pour le plaisir, décidée au fond à prendre n’importe quoi. Le jeune homme dut ainsi déménager les cases les plus hautes; ses épaules craquaient, le comptoir avait disparu sous le grain soyeux des cachemires et des popelines, sous le poil rêche des cheviottes, sous le duvet pelucheux des vigognes. Tous les tissus et toutes les teintes y passaient. Même, sans avoir la moindre envie d’en acheter, elle se fit montrer de la grenadine et de la gaze de Chambéry. Puis, quand elle en eut assez:
– Oh! mon Dieu! la première est encore la meilleure. C’est pour ma cuisinière… Oui, la serge à petit pointillé, celle à deux francs.
Et lorsque Liénard eut métré, pâle d’une colère contenue:
– Veuillez porter ça à la caisse 10… Pour Mme Desforges.
Comme elle s’éloignait, elle reconnut près d’elle Mme Marty, accompagnée de sa fille Valentine, une grande demoiselle de quatorze ans, maigre et hardie, qui jetait déjà sur les marchandises des regards coupables de femme.
– Tiens! c’est vous, chère madame?
– Mais oui, chère madame… Hein? quelle foule!
– Oh! ne m’en parlez pas, on étouffe. Un succès!… Avez-vous vu le salon oriental?
– Superbe! inouï!
Et, au milieu des coups de coude, bousculées par le flot croissant des petites bourses qui se jetaient sur les lainages à bon marché, elles se pâmèrent au sujet de l’exposition des tapis. Puis, Mme Marty expliqua qu’elle cherchait une étoffe pour un manteau; mais elle n’était pas fixée, elle avait voulu se faire montrer du matelassé de laine.
– Regarde donc, maman, murmura Valentine, c’est trop commun.
– Venez à la soie, dit Mme Desforges. Il faut voir leur fameux Paris-Bonheur.
Un instant, Mme Marty hésita. Ce serait bien cher, elle avait si formellement juré à son mari d’être raisonnable! Depuis une heure, elle achetait, tout un lot d’articles la suivait déjà, un manchon et des ruches pour elle, des bas pour sa fille. Elle finit par dire au commis qui lui montrait le matelassé:
– Eh bien! non, je vais à la soie… Tout cela ne fait pas mon affaire.
Le commis prit les articles et marcha devant ces dames.
À la soie, la foule était aussi venue. On s’écrasait surtout devant l’étalage intérieur, dressé par Hutin, et où Mouret avait donné les touches du maître. C’était, au fond du hall, autour d’une des colonnettes de fonte qui soutenaient le vitrage, comme un ruissellement d’étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut et s’élargissant jusqu’au parquet. Des satins clairs et des soies tendres jaillissaient d’abord: les satins à la reine, les satins renaissance, aux tons nacrés d’eau de source; les soies légères aux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien, rose de mai, bleu Danube. Puis, venaient des tissus plus forts, les satins merveilleux, les soies duchesse, teintes chaudes, roulant à flots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient les étoffes lourdes, les armures façonnées, les damas, les brocarts, les soies perlées et lamées, au milieu d’un lit profond de velours, tous les velours, noirs, blancs, de couleur, frappés à fond de soie ou de satin, creusant avec leurs taches mouvantes un lac immobile où semblaient danser des reflets de ciel et de paysage. Des femmes, pâles de désirs, se penchaient comme pour se voir. Toutes, en face de cette cataracte lâchée, restaient debout, avec la peur sourde d’être prises dans le débordement d’un pareil luxe et avec l’irrésistible envie de s’y jeter et de s’y perdre.
– Te voilà donc! dit Mme Desforges, en trouvant Mme Bourdelais installée devant un comptoir.
– Tiens!