Название | Une Histoire Sans Nom |
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Автор произведения | Barbey d'Aurevilly |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
« Mais, Agathe, que dites-vous donc là ? – dit Mme de Ferjol avec un grand calme. – Parti ! Le Père Riculf ! Y songez-vous, ma fille ?… C'est aujourd'hui le Samedi Saint, et il doit prêcher aux vêpres de demain, jour de Pâques, le sermon de la Résurrection qui clôt toujours la prédication du Carême !
– Ça n'y fait rien ! – dit la vieille fille, qui était obstinée ; et on voyait bien qu'elle l'était, à son accent normand qu'elle n'avait jamais perdu, et à sa coiffe normande qu'elle avait imperturbablement gardée.
– Que qui ! Je sais ce que je dis. Il est bien et dûment parti ! À matin on ne l'a vu brin à l'église, m'a conté le bedeau, qui est venu, tout essoufflé, me le demander, parce qu'il y avait toute une poussée de monde qui se bousculait à son confessionnal pour la communion de demain ; mais bien entendu que je n'ai pas pu le lui donner ! Je l'avais vu dévaler, dès la pointe du matin, par le grand escalier, son capuchon planté sur sa tête, et à la main son bâton de voyage qu'il laissait d'ordinaire derrière la porte de sa chambre. Il était passé droit comme un à côté de moi, qui montais quand lui descendait, sans me dire seulement un mot de politesse, et les yeux baissés qu'il a pires – m'est avis- quand il les baisse que quand il les lève. Surprise de ce bâton qu'il ne pouvait avoir pris pour aller dire la messe à quatre pas d'ici, je me suis retournée pour le voir descendre, et derrière ses talons je suis redescendue pour guetter, de la porte, où il pouvait aller comme ça, à si bonne heure ! Eh bien, je l'ai vu prendre la route qui passe au pied du Grand Calvaire, et je vous jure que s'il a toujours marché du pas qu'il avait, il doit être bien loin d'ici maintenant, lui et ses sandales !
– C'est impossible, – dit Mme de Ferjol. – Parti !…
– Comme la fumée de ma cuisine, – interrompit Agathe, – et sans faire plus de bruit ! » Et c'était vrai. Il était réellement parti. Mais ce que ces dames ne savaient pas, ce que la vieille Agathe ignorait, c'est que telle était la coutume des capucins, de s'en aller ainsi des maisons qui leur avaient été hospitalières. Ils s'en allaient comme la Mort et Jésus Christ viennent. Ils viennent – disent les Livres Saints – comme des voleurs… Eux, ils s'en allaient comme des voleurs. Quand, le matin, on entrait dans leur chambre, on les eût crus évaporés. C'était leur coutume, et c'était leur poésie ! Chateaubriand, qui se connaissait en poésie, n'a-t-il pas dit d'eux : « Le lendemain, on les cherchait, mais ils s'étaient évanouis, comme ces Saintes Apparitions qui visitent quelquefois l'homme de bien dans sa demeure. »
Mais Chateaubriand et son Génie du Christianisme n'existaient pas au moment où s'ouvre cette histoire, – et ces dames de Ferjol n'avaient jusqu'alors reçu chez elles que des religieux d'Ordres moins poétiques et moins sévères, qui, dehors de l'église, se retrouvaient gens du monde, et qui ne partaient pas des maisons où ils avaient été reçus, sans toutes les révérences de rigueur.
Seulement, le Père Riculf n'était point assez dans les bonnes grâces de ces dames pour qu'elles fussent blessées, comme Agathe, de la silencieuse soudaineté de son départ. Il s'en allait ; eh bien, qu'il s'en allât ! Il les avait plus gênées qu'il ne leur avait été agréable, tout le temps qu'il était demeuré chez elles. Leur deuil serait léger. Une fois parti, elles n'y penseraient plus.
Mais la vieille Agathe avait, elle, des ressentiments plus profonds. Le Père Riculf était, pour elle, ce quelque chose d'inexplicable et d'absolu qu'on appelle une antipathie.
« Nous en v'là donc délivrées ! – dit-elle. Elle se reprit cependant : – J'ai peut-être tort, – fit-elle, – de parler comme je fais là d'un homme de Dieu. Mais, sainte Agathe ! c'est plus fort que moi. Il ne m'a rien fait, mais j'ai de mauvaises idées sur ce capuchon-là…
Ah ! quelle différence avec les prédicateurs qui sont venus ici les autres années, si affables, si apostoliques, si bons au pauvre monde. Tenez ! Madame, vous souvenez-vous de ce Prieur des prémontrés, s'il y a deux ans ? Était-il doux et charmant, celui-là ! Tout en blanc, jusqu'aux souliers, comme une mariée, à qui le Père Riculf, avec son froc de couleur d'amadou, ressemble comme un loup ressemble à un agneau !
– Il ne faut avoir de mauvaises idées sur personne, Agathe, – dit gravement Mme de Ferjol, pour l'acquit de sa conscience de dévote, et qui peut-être se faisait son procès à elle-même tout en le faisant à la vieille servante. – Le Père Riculf est un prêtre et un religieux de beaucoup d'éloquence et de foi ; et, depuis qu'il est avec nous, nous n'avons surpris ni dans sa conversation ni dans sa conduite la moindre chose qu'on pût retourner contre lui. Vous n'avez donc aucune raison, Agathe, pour en mal penser. N'est-ce pas, Lasthénie ?…
– C'est vrai, maman, – dit Lasthénie de sa voix pure. – Mais ne grondez pas trop Agathe. Nous avons dit bien des fois, entre nous, que le Père Riculf avait quelque chose d'inquiétant et d'impossible à définir… À quoi cela tient-il ? On ne pense pas de mal, mais on ne se fie pas… Vous, qui êtes si forte et si raisonnable, maman, vous n'avez pas voulu aller à confesse à lui plus que moi.
– Et nous avons eu peut-être tort toutes les deux ! répondit la sévère femme, dont le jansénisme remontait sans cesse dans la conscience pour la troubler. – Il aurait mieux valu se vaincre ; car écouter les sentiments sans raison qui nous empêchaient d'aller nous agenouiller à ses pieds, c'était déjà une condamnation dans l'intérieur de nos âmes, que nous n'avions pas le droit de prononcer.
– Ah ! – dit naïvement la jeune fille – jamais je n'aurais pu, maman !… Il me faisait, cet homme, une peur que je n'aurais jamais dominée.
– Il ne parlait que de l'Enfer ! Il avait toujours l'Enfer à la bouche ! – dit Agathe, haletante, comme si elle eût voulu justifier la peur que le Père Riculf inspirait à la jeune fille. – Jamais on n'a tant prêché sur l'Enfer. Il nous damnait toutes… J'ai connu un prêtre dans mon pays, il y a bien des années, qu'on appelait aux Augustines de Valognes : le Père l'Amour, parce qu'il ne prêchait que l'amour de Dieu et le Paradis.
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