Victor, ou L'enfant de la forêt. M. Ducray-Duminil

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Название Victor, ou L'enfant de la forêt
Автор произведения M. Ducray-Duminil
Жанр Книги для детей: прочее
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Издательство Книги для детей: прочее
Год выпуска 0
isbn 4064066083199



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vous.—De moi, Roger?—De toi, mon ami!

      »Je frémis involontairement à ce nom d'ami qu'il me donne; et Roger qui s'en apperçoit reste un moment troublé...... Il se remet..... Je n'étais pas né pour le crime, me dit-il, non, je n'étais pas fait pour l'état que je professe; mais je l'ai honoré; oui, baron, je l'ai honoré, ce titre de chef qu'ils m'ont décerné, et que tu traites de chef de brigands.... Si tu savais qui je suis.... Si je te racontais mes malheurs, si je te faisais part des loix que je leur ai prescrites, de la discipline que mes troupes observent, de la subordination, de toutes les vertus militaires qu'on pratique ici, tu m'estimerais, baron; oui, tu m'estimerais, et tu me dirais: Roger, tu étais né pour être général d'armée, pour être un grand homme!

      »Il m'intéressait!.... Je le fixai avec moins d'indignation; il cacha son visage dans ses deux mains; puis il fit retirer son monde, excepté les deux surveillans qui gardaient l'entrée du souterrain; ensuite il me tint cet étrange discours. Baron de Fritzierne, il faut que tu me sauves la vie; tu le peux.—Moi; et comment?—Écoute-moi avec la plus grande attention?.... L'empereur a résolu ma mort, il la veut; il connaît mes projets, ma puissance, il veut se débarrasser d'un ennemi qui ravage ses états, et dont les succès multipliés accroissent de jour en jour et la force et l'audace.... Je ne crains point ses armées; mais je crains la trahison.... C'est l'arme du lâche et la terreur du brave.... Tu ne connais point ces routes tortueuses et souterraines, ces voûtes ténébreuses où tu es, et que j'habite depuis que j'occupe la forêt de Kingratz? Ici le cruel Boleslas eut autrefois un château-fort; ici des cavernes profondes furent creusées par lui, et prolongées jusqu'aux montagnes de Tabor: celle-ci va se perdre sur la rive gauche du Muldau, au pied des hautes fortifications de Pizeck. C'est par ces souterrains que l'on a résolu de m'investir et de me massacrer; j'en suis averti, je le sais, et déjà je suis certain que les bouches de ces affreuses cavernes sont occupées par les espions de mon ennemi. Mes gens ont entendu, sous ces voûtes sombres, des signaux effrayans; ils ont voulu pénétrer les endroits les plus reculés, un bruit singulier d'armes et de trompettes leur a toujours inspiré une terreur involontaire: ce n'est point en pleine campagne qu'on veut m'attaquer; on sait trop à quel point je suis redoutable! c'est dans des défilés obscurs et tortueux, c'est par la ruse et par la perfidie qu'on veut me soumettre.... Baron, tu peux me tirer de cet embarras. Tu connais le jeu des mines, tu sais l'art d'enfermer le bitume, et de lui donner ensuite une explosion qui porte la mort en déchirant les entrailles, de la terre; donne-moi ton secret, donne-le-moi: Je fais sauter cette caverne, et avec elle les espions qu'elle renferme: ensuite je quitte le pays, et la moitié de mes trésors est à toi.

      »Étonné de cette odieuse proposition, je voulus d'abord faire éclater mon indignation; mais, réfléchissant qu'en m'insinuant davantage dans la confiance de Roger, je pourrais adoucir mon sort, trouver peut-être les moyens de m'échapper de ses mains, je feignis d'entrer dans ses vues. Il est tard, lui dis-je; le secret que tu me demandes, et que je consens à te confier, exige des leçons, des dessins, et par conséquent du temps; demain je te le communiquerai, non pour les trésors que tu me proposes, je rougirais de les accepter, mais pour ton instruction, pour ta sûreté. Il est cependant essentiel, avant que de commencer ce travail, que je connaisse les détours de tes souterrains, afin de mieux établir mes plans; consens à m'y conduire sur l'heure, cela me guidera dans mes opérations, et demain mes projets te seront soumis.

      »Roger, ravi de la complaisance que je lui témoigne, me serre la main, se lève, et m'engage à le suivre.... Nous partons, accompagnés de quelques brigands armés et munis de flambeaux, et nous commençons l'examen des souterrains, dont Roger m'indique les issues, et les relations qu'ils ont avec le sol qui les couvre. Mon but, en lui demandant de visiter ces cavernes, était de m'éclairer moi-même sur les moyens de me sauver. Je ne sais quel pressentiment même me disait que j'allais recouvrer ma liberté, et j'écoutais avec avidité toutes les explications que me donnait Roger.

      »Nous avions déjà mis plus de deux heures à cet examen, et nous n'avions rien découvert encore qui pût nous inspirer de l'effroi, et justifier les alarmes du chef des brigands, lorsqu'au fond d'une caverne sombre, un bruit affreux de trompettes vint frapper nos oreilles, et nous forcer à suspendre notre marche.... Roger pâlit, et j'avoue que moi-même je sentis mes cheveux se dresser sur ma tête, non que je dusse appréhender rien de fâcheux de la part de ceux qui en voulaient à Roger; au contraire, c'était d'eux seuls que je devais attendre ma liberté; mais je ne fus pas maître d'un premier mouvement de terreur.... Entends-tu, me dit Roger? ce sont eux.... Nous nous sommes trop avancés.... Retournons, il serait imprudent de les chercher, de les attaquer; il vaut mieux les engloutir tous sous les débris de ces souterrains qui les dérobent à mes regards: cher baron, c'est de toi que j'attends ce service signalé....

      »Il dit, et m'engage, ainsi que sa troupe, à rétrograder; mais il n'est plus temps; nous nous sommes en effet trop avancés.... Les soldats envoyés par l'empereur, avaient épié depuis deux jours toutes les démarches de Roger; ce brigand venait de tomber, sans y penser, dans une embuscade; la trompette avait rallié ses ennemis; ils nous entouraient de toutes parts, nous ne pouvions leur échapper.... À peine avions-nous fait quelques pas vers notre première habitation, que nous nous trouvons enveloppés par plus de deux cents soldats qui fondent sur nous de toutes les ouvertures des souterrains.... Je frémis soudain, dans la crainte d'être confondu avec les brigands; et, pour éviter le sort qui les attend, je saute sur le sabre de Roger, je le lui arrache, et me rangeant du côté de ses aggresseurs; Scélérat, lui dis-je, combats un ennemi de plus....

      »Les soldats, étonnés, n'osent pas s'en fier à mon exclamation: on m'arrête; et pendant qu'il se livre un combat, dont je dois ignorer l'issue, quatre soldats m'entraînent avec eux. Le bruit des armes à feu et du choc des sabres me suit assez loin dans les souterrains que j'avais encore à parcourir. Bientôt je n'entendis plus rien, et je me trouvai, au bout des cavernes, dans la forêt au milieu d'une troupe armée qui me conduisit à son commandant. Je n'étais pas embarrassé de me justifier; je reconnus d'ailleurs ce commandant qui avait servi autrefois sous moi. Il me fit des excuses de la manière dont on m'avait traîné vers lui, et me fit reconduire, sous une bonne escorte, à mon château, où je me hâtais de rassurer mes gens, et d'embrasser mon petit Victor. J'avais besoin de repos, je m'y livrais long-temps, et me promis bien de ne plus aller, la nuit, à la forêt, d'abandonner la mère inconnue, et de ne plus exposer l'enfant, ni moi, aux dangers des courses nocturnes, dans un lieu où ma vie et ma liberté venaient de courir de si grands dangers».

       fin de l'aventure de la forêt.

      Ici, M. de Fritzierne se reposa un moment, puis il continua ainsi son intéressant récit. «Vous êtes sans doute curieux, mes amis, de savoir ce que devint Roger au milieu de la troupe qui l'investit, et s'il succomba sous les efforts des soldats envoyés par le gouvernement? J'ai ignoré moi-même les détails du combat que j'avais vu commencer; j'ai su seulement que Roger s'était défendu avec une intrépidité vraiment héroïque, que ses gens étaient venus le secourir, et que ces scélérats, après avoir perdu des leurs, et fait mordre la poussière à plusieurs de leurs aggresseurs, avaient remporté la victoire et s'étaient évadés. Quelques jours après, on envoya contre eux des forces plus considérables; mais on apprit que la troupe des brigands avait quitté tout-à-fait la forêt de Kingratz, et qu'ils s'étaient répandus, dans l'Allemagne, qu'ils infestaient, sans qu'on pût parvenir à s'en emparer. Depuis seize ans on n'en avait plus entendu parler dans nos contrées, et il n'y a pas plus de deux mois que Roger est revenu dans les forêts qui nous avoisinent: il est aujourd'hui plus redoutable que jamais; car sa troupe s'est considérablement augmentée, depuis que la paix qui a suivi la dernière guerre a fait rentrer dans nos foyers une foule de déserteurs, de gens habitués à piller, à voler, à incendier des villes entières: tous les mauvais sujets se sont rangés sous les drapeaux sanglans de ce chef redoutable, et c'est vraiment aujourd'hui une troupe formidable, faite pour effrayer le prince, qui ne peut la détruire que par une espèce de guerre civile. Mais laissons l'infâme Roger, que je n'ai vu qu'une seule fois, et revenons à toi, mon cher Victor, à toi dont l'adoption m'a coûté tant de peines, tant d'inquiétudes.

      »Je n'entendis plus parler de la mère inconnue, ni de tout le mystère qui avait entouré ton berceau.