Les etranges noces de Rouletabille. Гастон Леру

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Название Les etranges noces de Rouletabille
Автор произведения Гастон Леру
Жанр Классические детективы
Серия
Издательство Классические детективы
Год выпуска 0
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toujours qu'il nous a suivis dans l'Istrandja?… demanda Rouletabille sur un ton assez ironique.

      –Monsieur, vous avez tort de vous moquer de moi! répliqua Vladimir.

      –Quand je pense, reprit La Candeur, que, dans les premiers jours de notre voyage, Vladimir regardait à chaque instant derrière lui pour voir s'il n'apercevait pas à l'horizon le nez de Marko!

      Et il se mit à rire.

      –Ne «blague» pas!… protesta Vladimir, je t'en supplie, ne «blague» pas… Tu ne sais pas ce que peut entreprendre un Valaque qui s'est fait journaliste!…

      –Enfin, qu'est-ce qu'il pourrait nous faire?

      –Est-ce qu'on sait? je vous assure que le dernier soir qui a précédé notre arrivée dans le pays de Gaulow, quand nous avons eu cette vision d'une ombre qui s'enfuyait de la tente de La Candeur, et que La Candeur s'est écrié qu'on lui avait volé sa serviette en maroquin, j'aurais mis ma main à brûler que nous avions affaire à Marko!…

      –Cette ombre, répliqua La Candeur sur un ton assez méprisant, n'a jamais existé que dans l'imagination de Vladimir… et quant à ma serviette que je croyais avoir mise dans ma cantine, je l'ai trouvée au pied de mon lit, où je l'avais certainement déposée moi-même avant de me coucher…

      –Et mes articles étaient toujours dedans? demanda Rouletabille en manière de plaisanterie.

      –Oui, oui, Rouletabille, tes articles sont là!

      –Remettez-vous donc, Vladimir Petrovitch!… et cessez de médire de la Valachie…

      –Ah! monsieur, si vous connaissiez Marko!… Je vous dis, je vous répète qu'il est capable de tout… Rien ne m'étonnerait de lui, c'est un type qui vendrait son père et sa mère pour un morceau de pain et qui a eu de vilaines histoires avec les femmes!… Je vous affirme, monsieur, que c'est un garçon qui n'a aucune moralité!…

      –Au lit, au lit tout le monde! c'est à moi la garde commanda Rouletabille.

      Et il prit la garde. Aucun bruit ne venait des tentes. La campagne paraissait abandonnée. De-ci, de-là, sur de lointaines cimes des feux apparaissaient puis disparaissaient presque aussitôt. Rouletabille, le menton sur le canon de sa carabine, regardait le mur de toile derrière lequel reposait Ivana. Reposait-elle? Rêvait-elle?… A qui?… Énigme!…

      II

      VLADIMIR RACONTE UNE ÉTRANGE HISTOIRE A ROULETABILLE

      Relevé de sa garde par Tondor (le domestique transylvain de Vladimir, le seul qui restât à la petite troupe depuis la mort héroïque de Modeste et du Katerdjibaschi), Rouletabille rentra dans sa tente, qu'il partageait avec Athanase Khetew.

      Le Bulgare dormait profondément, enveloppé dans son manteau qui lui servait de couverture. A la lueur de la bougie plantée dans le goulot d'une bouteille, Rouletabille considéra assez longtemps ce rude visage. Pendant le sommeil, il était vraiment apaisé, c'était là une figure d'honnête homme qui ne reflétait aucun remords et qui se reposait de tous les tourments des jours mauvais, lesquels depuis plus de dix ans avaient creusé leurs sillons terribles dans cette chair encore jeune. «Il est digne d'être aimé!» se dit Rouletabille, mais il pensa qu'Ivana ne l'aimait pas et que c'était une traîtresse qui avait trompé tout le monde. Là-dessus, il se déshabilla, fit ses ablutions comme chez lui, éteignit le fourneau à pétrole et se glissa sous les couvertures de son lit de camp. A tout hasard, sur la tablette, il avait mis une carabine toute chargée à portée de sa main. Il s'endormit en pensant à sainte Sophie et il rêva qu'il se noyait dans une cataracte [Voir Le Château Noir.].

      Depuis une heure, il somnolait ainsi quand il se dressa tout à coup sur son séant, l'oreille au guet.

      Il entendait, derrière sa toile, à quelques pas de là, des voix, un chuchotement rapide, puis de sourdes exclamations; et il reconnut ces voix: tantôt c'était celle de Vladimir Petrovitch et tantôt celle de La Candeur; celle de Vladimir marquait la plus farouche mauvaise humeur, et celle de La Candeur une extraordinaire satisfaction.

      –A toi! disait l'un.

      –Non, c'est à toi! répondait l'autre et puis il y avait un silence, et puis encore des exclamations.

      Rouletabille se glissa dans sa culotte. Il voulait savoir ce qui se passait à côté, et pourquoi ces deux hommes ne dormaient pas, eux qui avaient affecté une telle fatigue.

      Sans faire de bruit et sans éveiller Athanase, qui ronflait doucement, il sortit de sa tente et s'approcha de celle de La Candeur et de Vladimir, qui laissait passer, par les interstices de la toile mal jointe, des rais de lumière.

      Rouletabille dénoua fort adroitement les ficelles qui rattachaient la porte flottante et apparut tout à coup aux regards médusés du bon La Candeur et du triste Vladimir. Rouletabille remarqua que La Candeur était écarlate, tout en sueur et dans un état d'exaltation peu ordinaire, tandis que Vladimir était fort pâle.

      –Ah ça, mais est-ce que vous vous fichez du monde? souffla le reporter, vous jouez?…

      Il y avait, en effet, entre les deux jeunes gens une petite table portative, et sur cette table un jeu de cartes et un morceau de papier, sur lequel quelques notes étaient écrites au crayon.

      Rouletabille bondit sur le jeu de cartes. Il leur en avait déjà confisqué deux dès le début du voyage et il pensait bien qu'ils n'avaient plus de cartes. Cette passion du jeu les empêchait de prendre un repos nécessaire.

      –Vous jouez au lieu de dormir?… Vous n'êtes pas enragés, dites?… Vous n'avez pas honte?… je vous l'ai pourtant assez défendu! Dès le premier soir il a été entendu que je ne verrais plus entre vos mains un jeu de cartes!… M'avez-vous juré que vous ne joueriez plus, oui ou non?…

      –Rouletabille, ne te fâche pas, émit La Candeur, conciliant, je vais te dire: nous avons essayé de dormir, mais le sommeil n'est pas venu!…

      –Tas de menteurs! Vous ne vous êtes même pas déshabillés et votre couchette n'est pas défaite!… Mais vous n'aviez plus de cartes! Où donc avez-vous trouvé ce sale jeu-là? Il est ignoble!…

      –C'est le sous-off qui accompagnait m'sieur Athanase, murmura La Candeur en baissant la tête, qui l'a laissé tomber de sa poche!…

      –Tu le lui as acheté, oui, bandit! ou Vladimir le lui a volé!

      –Monsieur! monsieur! pour qui me prenez-vous?…

      –Et à quoi jouiez-vous?…

      –Mais, fit La Candeur, à ce petit jeu russe dont je t'ai parlé autrefois et qui est si amusant…

      –Et qu'est-ce que vous jouez? fit le reporter en saisissant le papier qui était sur la table et sur lequel il lut: «Bon pour cinq cents francs». Signé: «Vladimir Petrovitch».

      Il arracha le billet et, furieux:

      –Tu es encore plus bête que je ne croyais, dit-il à La Candeur… Que tu joues de l'argent contre de l'argent, passe encore, mais contre la signature de Vladimir Petrovitch…

      –Je n'ai pas osé «faire Charlemagne», expliqua La Candeur.

      –Je joue sur signature parce qu'il m'a gagné tout mon argent, dit Vladimir qui n'avait point une bonne mine.

      –Tu en avais beaucoup?

      –Demandez-le à La Candeur.

      –Voilà… dit La Candeur en rougissant. Voilà comment les choses se sont passées… Au commencement, c'est moi qui n'avais pas d'argent et je savais que Vladimir en avait. C'est triste de voyager sans argent. J'ai proposé à Vladimir de lui jouer mon épingle de cravate qui est le dernier souvenir qui me reste de ma soeur morte en me maudissant.

      –Pourquoi ta soeur t'a-t-elle maudit, La Candeur?

      –Parce que je m'étais fait journaliste! Tu comprends que je ne tenais pas énormément à ce souvenir-là. Je m'étais débarrassé de tous les autres. Je jugeais l'occasion bonne pour mon épingle de cravate.