Название | Les bases de la morale évolutionniste |
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Автор произведения | Spencer Herbert |
Жанр | Философия |
Серия | |
Издательство | Философия |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Peut-être rendrons-nous cette induction plus claire en la présentant en ces termes: Si la vertu est primordiale et indépendante, on ne peut donner aucune raison pour expliquer la correspondance qui doit exister entre la conduite vertueuse et la conduite procurant le plaisir, pleinement et dans tous ses effets, à l'auteur ou aux autres, ou à l'un et aux autres à la fois. Or, s'il n'y a pas là une correspondance nécessaire, on pourra concevoir que la conduite classée comme vertueuse soit capable de causer de la peine dans ses résultats définitifs. Pour montrer la conséquence d'une pareille conception, prenons deux vertus considérées comme des vertus par excellence chez les anciens et chez les modernes: le courage et la chasteté. Par hypothèse, nous devons donc concevoir le courage, déployé pour la défense de l'individu aussi bien que pour la défense du pays, non seulement comme entraînant des maux accidentels, mais encore comme étant une cause nécessaire de misères pour l'individu et pour l'Etat; l'absence de courage au contraire, par une conséquence légitime, amènerait le bien-être de l'individu et de la société. De même, par hypothèse, nous devons concevoir les relations sexuelles irrégulières comme directement et indirectement avantageuses: l'adultère amènerait avec lui l'harmonie domestique et l'éducation attentive des enfants; les relations conjugales, au contraire, produiraient le désaccord entre le mari et la femme en proportion de leur durée, et auraient pour résultats les souffrances, les maladies, la mort des enfants. A moins d'affirmer que le courage et la chasteté pourraient encore être regardés comme des vertus malgré cette suite de maux, il faut bien admettre que la conception de la vertu ne peut être séparée de la conception d'une conduite procurant le bonheur. Si cela est vrai de toutes les vertus, quelles que soient d'ailleurs leurs différences, c'est qu'elles doivent d'être classées comme des vertus à leur propriété de donner le bonheur.
14. En passant de ces doctrines morales, pour lesquelles la perfection de nature ou le caractère vertueux de l'action fournissent le principe de jugement, à celles qui prennent pour critérium la rectitude de l'intention, nous nous rapprochons de la théorie de l'intuition morale, et nous pouvons légitimement traiter de ces doctrines en critiquant cette théorie.
Par théorie de l'intuition, j'entends ici non pas celle qui regarde comme produits par l'hérédité ou des expériences prolongées les sentiments d'amour ou d'aversion que nous inspirent certains genres d'actes, mais bien la théorie d'après laquelle ces sentiments nous viennent de Dieu lui-même, indépendamment des résultats expérimentés par nous ou par nos ancêtres. «Il y a donc, dit Hutcheson, comme chacun peut s'en convaincre par une sérieuse attention et par la réflexion, un penchant naturel et immédiat à approuver certaines affections et certains actes qui leur répondent;» Hutcheson admettait, avec ses contemporains, la création spéciale de l'homme et de tous les autres êtres; il considérait donc «ce sens naturel d'une excellence immédiate» comme un guide d'origine surnaturelle. Il dit bien que les sentiments et les actions dont nous reconnaissons ainsi intuitivement la bonté «s'accordent tous en un caractère général, celui de tendre au bonheur des autres;» mais il est obligé d'y voir l'effet d'une harmonie préétablie. Néanmoins on peut établir que l'aptitude à procurer le bonheur, représentée ici comme un trait accidentel des actes qui obtiennent cette approbation morale innée, est réellement la pierre de touche qui révèle le caractère moral de cette approbation. Les intuitionnistes mettent leur confiance dans ces verdicts de la conscience, uniquement parce qu'ils aperçoivent, d'une manière au moins confuse, sinon distincte, que ces verdicts s'accordent avec les indications de ce critérium suprême. En voici la preuve.
Par hypothèse, on apprécie donc la gravité d'un meurtre grâce à une intuition morale que l'esprit humain doit à sa constitution originelle. D'après cette hypothèse, il ne faudrait pas admettre que ce sentiment de la culpabilité naisse, de près ni de loin, de la conscience que le meurtre implique, directement ou indirectement, une diminution du bonheur. Si vous demandez à un partisan de cette doctrine d'opposer son intuition à celle d'un Figien qui regarde le meurtre comme un acte honorable et n'a pas de repos avant d'avoir massacré quelques individus; si vous lui demandez comment on justifiera l'intuition de l'homme civilisé par opposition à celle du sauvage, il n'aura qu'un seul moyen de le faire, c'est de montrer comment, en se conformant à l'une, on arrive au bien-être, tandis que l'autre produit seulement des souffrances particulières ou générales. Demandez-lui pourquoi son sens moral, lui enseignant qu'il est mal de dérober le bien d'autrui, doit être obéi plutôt que le sens moral d'un Turcoman qui prouve combien le vol lui paraît méritoire en faisant des pèlerinages et en portant des offrandes aux tombeaux de voleurs fameux: l'intuitionniste est réduit à reconnaître que, – du moins dans des conditions comme celles où nous vivons, sinon dans celles où le Turcoman est placé, – le mépris du droit de propriété chez les autres non seulement cause une misère immédiate, mais encore implique un état social qui ne saurait comporter aucun bonheur. Demandez-lui encore de justifier le sentiment de répugnance que le mensonge lui inspire, en opposition avec le sentiment d'un Égyptien qui s'estime pour son adresse à mentir, qui croit même très beau de tromper sans autre but que le plaisir de tromper: l'intuitionniste ne le fera qu'en montrant la prospérité sociale favorisée par une entière confiance mutuelle et la désorganisation sociale liée à la défiance universelle; or ces conséquences conduisent respectivement, de toute nécessité, à des sentiments agréables ou à des sentiments désagréables.
Il faut donc bien conclure que l'intuitionniste n'ignore pas, ne peut pas ignorer que le bien et le mal dérivent en dernière analyse du plaisir et de la peine. Admettons qu'il soit guidé, et bien guidé, par les décisions de sa conscience sur le caractère des actes humains: s'il a pleine confiance dans ces décisions, c'est parce qu'il aperçoit, d'une manière vague, mais positive, qu'en s'y conformant il assure son propre bien-être et celui des autres, et qu'en les méprisant il s'expose, lui et les autres, à toutes sortes de maux. Demandez-lui d'indiquer un jugement du sens moral déclarant bon un genre d'actes qui doit entraîner un excès de peine, en tenant compte de tous ses effets, soit dans cette vie, soit, par hypothèse, dans la vie future: vous verrez qu'il est incapable d'en citer un seul. Voilà bien la preuve qu'au fond de toutes ces intuitions sur la bonté et la méchanceté des actes se cache cette hypothèse fondamentale: les actes sont bons ou mauvais suivant que la somme de leurs effets augmente le bonheur des hommes ou augmente leur misère.
15. Il est curieux de voir combien le culte rendu par les sauvages aux démons a survécu, sous divers déguisements, chez les hommes civilisés. Ce culte démoniaque a engendré l'ascétisme qui, sous différentes formes et à différents degrés, jouit d'une si grande faveur aujourd'hui encore, et exerce une influence si marquée sur des hommes, affranchis en apparence, non-seulement des superstitions primitives, mais encore des superstitions plus développées. Ces manières de comprendre la vie et la conduite, inventées par des hommes qui cherchaient, en se torturant eux-mêmes, à se rendre favorables leurs ancêtres divinisés, inspirent encore de notre temps les théories morales de beaucoup de personnes, même de personnes qui ont rompu depuis bien des années avec la théologie du passé et se croient entièrement soustraites à son influence.
Dans les écrits d'un auteur qui rejette les dogmes chrétiens aussi bien que la religion juive d'où ces dogmes procèdent, vous trouverez le récit d'une conquête, qui a coûté la vie à dix mille hommes, fait avec une sympathie toute semblable à la joie dont les livres hébraïques saluent la destruction des ennemis accomplie au nom de Dieu. D'autres fois l'éloge du despotisme se joint à des considérations sur la force d'un Etat où les volontés des esclaves ou des citoyens sont soumises aux volontés de maîtres ou de tribuns, et ce sentiment nous rappelle la vie orientale dépeinte dans les récits de la Bible. Avec ce culte de l'homme fort, avec cette facilité à justifier tout ce que la force entreprend pour satisfaire son