Poèmes saturniens. Paul Verlaine

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Название Poèmes saturniens
Автор произведения Paul Verlaine
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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      Couverture

      Paul Verlaine

      POÈMES SATURNIENS

      Les sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci,

      Crurent, et c’est un point encore mal éclairci,

      Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres,

      Et que chaque âme était liée à l’un des astres.

      (On a beaucoup raillé, sans penser que souvent

      Le rire est ridicule autant que décevant,

      Cette explication du mystère nocturne.)

      Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE,

      Fauve planète, chère aux nécromanciens,

      Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,

      Bonne part de malheur et bonne part de bile.

      L’Imagination, inquiète et débile,

      Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.

      Dans leurs veines le sang, subtil comme un poison,

      Brillant comme une lave, et rare, coule et roule

      En grésillant leur triste Idéal qui s’écroule.

      Tels les Saturniens doivent souffrir et tels

      Mourir – en admettant que nous soyons mortels,

      Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne

      Par la logique d’une Influence maligne.

      P. V.

      PROLOGUE

      Dans ces temps fabuleux, les limbes de l’histoire,

      Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,

      Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant,

      Et, par l’intensité de leur vertu troublant

      Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même,

      Augustes, s’élevaient jusqu’au Néant suprême,

      Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encore

      Et jeunes, qu’arrosait une lumière d’or

      Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures

      De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres,

      Et retenant le vol obstiné des essaims,

      Les Poëtes sacrés chanter les Guerriers saints,

      Cependant que le ciel et la mer et la terre

      Voyaient, – rouges et las de leur travail austère, —

      S’incliner, pénitents fauves et timorés,

      Les Guerriers saints devant les Poëtes sacrés!

      Une connexité grandiosement alme

      Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme,

      Valmiki l’excellent à l’excellent Rama:

      Telles sur un étang deux touffes de padma.

      – Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique,

      De Spartè la sévère à la rieuse Attique,

      Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient

      Encore des héros altiers et combattaient.

      Homéros, s’il n’a pas, lui, manié le glaive,

      Fait retentir, clameur immense qui s’élève,

      Vos échos jamais las, vastes postérités,

      D’Hektôr et d’Odysseus, et d’Akhilleus chantés.

      Les héros à leur tour, après les luttes vastes,

      Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes,

      Et non moins que de l’art d’Arès furent épris

      De l’Art dont une Palme immortelle est le prix,

      Akhilleus entre tous! Et le Laërtiade

      Dompta, parole d’or qui charme et persuade,

      Les esprits et les coeurs et les âmes toujours,

      Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres et les ours.

      – Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères

      Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,

      Est-ce que le Trouvère héroïque n’eut pas

      Comme le Preux sa part auguste des combats?

      Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne,

      Et son neveu Roland resté dans la montagne,

      Et le bon Olivier de Turpin au grand coeur,

      En beaux couplets et sur un rhythme âpre et vainqueur,

      Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles,

      Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,

      Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux

      De Roland et de ceux qui virent Roncevaux

      Et furent de l’énorme et superbe tuerie,

      Du temps de l’Empereur à la barbe fleurie?…

      – Aujourd’hui, l’Action et le Rêve ont brisé

      Le pacte primitif par les siècles usé,

      Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce

      De l’Harmonie immense et bleue et de la Force.

      La Force, qu’autrefois le Poëte tenait

      En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait,

      La Force, maintenant, la Force, c’est la Bête

      Féroce bondissante et folle et toujours prête

      À tout carnage, à tout dévastement, à tout

      Égorgement, d’un bout du monde à l’autre bout!

      L’Action qu’autrefois réglait le chant des lyres,

      Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires

      Fuligineux d’un siècle en ébullition,

      L’Action à présent, – ô pitié! – l’Action,

      C’est l’ouragan, c’est la tempête, c’est la houle

      Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule

      Et déroule parmi les bruits sourds l’effroi vert

      Et rouge des éclairs sur le ciel entr’ouvert?

      – Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes

      De la vie et du choc désordonné des armes

      Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs

      Ineffables, voici le groupe des Chanteurs

      Vêtus de blanc, et des lueurs d’apothéoses

      Empourprent la fierté sereine de leurs poses:

      Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,

      Et sous leur front le rêve inachevé des Dieux!

      Le monde, que troublait leur parole profonde,

      Les exile. À leur tour ils exilent le monde!

      C’est qu’ils ont à la fin compris qu’il ne faut plus

      Mêler leur note pure aux cris irrésolus

      Que va poussant la foule obscène et violente,

      Et que l’isolement sied à leur marche lente.

      Le Poëte, l’Amour du Beau, voilà sa foi,

      L’Azur, son étendard, et l’Idéal, sa loi!

      Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,

      Où le rayonnement des choses éternelles

      A mis des visions qu’il suit avidement,

      Ne