La vie simple. Рихард Вагнер

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Название La vie simple
Автор произведения Рихард Вагнер
Жанр Философия
Серия
Издательство Философия
Год выпуска 0
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vie simple

      I

      La vie compliquée

      Chez les Blanchard tout est sens dessus dessous, et en vérité il y a de quoi! Songez donc que Mlle Yvonne se marie mardi et nous voici au vendredi!

      C'est un interminable défilé de visiteurs chargés de cadeaux, de fournisseurs ployant sous les commandes. Les domestiques sont sur les dents. Quant aux parents et aux futurs, ils ne vivent plus, ils n'ont plus de domicile connu. Le jour on est chez les couturières, les modistes, les tapissiers, les ébénistes, les bijoutiers, ou dans l'appartement livré aux peintres et aux menuisiers. De là, course rapide par les études des hommes d'affaires, où l'on attend son tour en regardant les clercs grossoyer à l'ombre des paperasses. Après cela, c'est à peine s'il reste le temps de courir chacun chez soi et de se parer pour la série des dîners de cérémonie: dîners de fiançailles, dîners de présentations, dîner de contrat, soirées et bals. Autour de minuit on rentre harassé, mais c'est pour trouver au logis tous les derniers arrivages et une correspondance effrénée. Félicitations, compliments, acceptations et refus de demoiselles et de garçons d'honneur, excuses de fournisseurs en retard. Et puis les accrocs de la dernière heure: un deuil subit qui désorganise le cortège, un vilain rhume qui empêche une actrice, étoile amie, de chanter à l'orgue, etc. C'est autant à recommencer! Ces pauvres Blanchard! jamais ils ne seront prêts, eux qui croyaient pourtant avoir songé à tout, et tout prévu.

      Et voilà leur existence depuis tantôt un long mois. Plus moyen de respirer, de se recueillir une heure, d'échanger une parole tranquille. Non, ce n'est pas une vie, cela…

      Heureusement qu'il y a la chambre de grand'mère! Grand'mère touche à ses quatre-vingts. Ayant beaucoup souffert et travaillé, elle en est arrivée à envisager les choses avec cette calme sûreté que rapportent de la vie ceux qui ont l'intelligence élevée et le cœur aimant. Presque toujours assise dans son fauteuil, elle adore le silence des longues heures méditatives. Aussi la tempête affairée qui sévit par la maison s'est-elle arrêtée respectueuse devant sa porte. Au seuil de cet asile les voix s'apaisent, les pas se font discrets. Et quand les jeunes fiancés veulent se mettre un instant à l'abri, ils s'enfuient chez grand'mère.

      –Pauvres enfants! leur dit-elle alors, comme vous voilà énervés! Reposez-vous un peu, appartenez-vous l'un à l'autre. C'est le principal. Le reste est peu de chose, il ne mérite pas qu'on s'y absorbe!

      Ils le sentent bien, ces jeunes gens. Que de fois, en ces semaines dernières, leur amour n'a-t-il pas dû céder le pas à toutes sortes de conventions, d'exigences, d'inutilités! Ils souffrent de la fatalité, qui à ce moment décisif de leur vie détache sans cesse leurs esprits de la seule chose essentielle, pour les pousser à travers la multitude des préoccupations secondaires. Et volontiers ils approuvent l'opinion de l'aïeule quand elle leur dit entre une caresse et un sourire:

      –Décidément, mes enfants, le monde se fait trop compliqué, et tout cela ne rend pas les gens plus heureux… au contraire!…

      Je suis de l'avis de bonne maman. Depuis le berceau jusqu'à la tombe, dans ses besoins comme dans ses plaisirs, dans sa conception du monde et de lui-même, l'homme moderne se débat au milieu de complications sans nombre. Plus rien n'est simple: ni penser, ni agir, ni s'amuser, ni même mourir. Nous avons, de nos mains, ajouté à l'existence une foule de difficultés et retranché plusieurs agréments. Je suis persuadé qu'il se trouve à l'heure présente des milliers de mes semblables qui souffrent des suites d'une vie trop factice. Ils nous sauront gré de chercher à donner une expression à leur malaise et de les encourager dans ce regret de la simplicité qui les travaille confusément.

      Énumérons d'abord une série de faits qui mettent en relief la vérité que nous désirons faire apercevoir.

      La complication de la vie nous apparaît dans la multiplicité de nos besoins matériels. Un des phénomènes universellement constatés du siècle est que nos besoins ont grandi avec nos ressources. Cela n'est pas un mal en soi. La naissance de certains besoins marque en effet un progrès. C'est un signe de supériorité que d'éprouver le besoin de se laver, de porter du linge propre, d'habiter une demeure salubre, de se nourrir avec un certain soin, de cultiver son esprit. Mais s'il est des besoins dont la naissance est désirable et qui ont droit à la vie, il en est d'autres qui exercent une influence funeste et s'entretiennent à nos dépens comme des parasites. C'est le nombre et le caractère impérieux de ceux-ci qui nous préoccupent. Si l'on avait pu prédire à nos anciens qu'un jour l'humanité aurait à sa disposition tous les engins dont elle dispose maintenant pour entretenir et défendre son existence matérielle, ils en auraient conclu d'abord à une augmentation de l'indépendance et par conséquent du bonheur, et en second lieu à un grand apaisement dans les compétitions pour les biens de la vie. Il leur eût été permis ensuite de penser que la simplification de l'existence, résultat de ces moyens d'action perfectionnés, permettrait de réaliser une plus haute moralité. Rien de tout cela ne s'est produit: ni le bonheur, ni la paix sociale, ni l'énergie pour le bien n'ont augmenté. En premier lieu, vous semble-t-il que vos concitoyens soient, pris en masse, plus contents que leurs ancêtres et plus sûrs du lendemain? Je ne demande pas s'ils auraient des raisons de l'être, mais s'ils le sont en effet. À les regarder vivre, il me paraît qu'ils sont en majorité mécontents de leur sort, avant tout préoccupés de leurs besoins matériels et obsédés par le souci du lendemain. Jamais la question du vivre et du couvert n'a été plus aiguë ni plus exclusive que depuis qu'on est mieux nourri, mieux vêtu, mieux logé qu'autrefois. Celui-là se trompe qui croit que la question: «que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi serons-nous vêtus?» ne se pose qu'aux pauvres gens exposés aux angoisses des lendemains sans pain et sans abri. Chez ceux-là elle est naturelle, et pourtant c'est encore là qu'elle se pose le plus simplement. Il faut aller chez ceux qui commencent à jouir d'un peu de bien-être, pour constater combien la satisfaction de ce qu'ils ont est troublée par le regret de ce qui leur manque. Et si vous voulez observer le souci de l'avenir matériel dans tout son luxueux développement, regardez les gens aisés et surtout les riches. Les femmes qui n'ont qu'une robe, ne sont pas celles qui se demandent le plus comment elles se vêtiront, de même ce ne sont pas les rationnés du strict nécessaire, qui s'interrogent le plus sur ce qu'ils mangeront demain. Par une conséquence nécessaire de la loi que les besoins grandissent des satisfactions qu'on leur donne: plus un homme a de bien, plus il lui en faut.

      Plus il est assuré du lendemain selon la vue ordinaire du bon sens, plus il se condamne à se préoccuper de quoi il vivra, lui et ses enfants, comment il établira ceux-ci et leurs descendants. Rien ne saurait donner une idée des craintes d'un homme établi, de leur nombre, de leur portée, de leurs nuances raffinées.

      De tout cela, il est résulté à travers les différentes couches sociales, et selon les conditions, avec une intensité variable, une agitation générale, un état d'esprit très complexe qui ne saurait mieux se comparer qu'à l'humeur des enfants gâtés à la fois comblés et mécontents.

      Si nous ne sommes pas devenus plus heureux, nous ne sommes pas devenus plus pacifiques et plus fraternels. Les enfants gâtés se disputent souvent et avec acharnement. Plus l'homme a de besoins et de désirs, plus il a d'occasions de conflit avec ses semblables, et ces conflits sont d'autant plus haineux que les causes en sont moins justes. Que l'on se batte pour le pain, le nécessaire, c'est la loi naturelle. Elle peut sembler brutale, mais il y a une excuse dans sa dureté même, et en général elle se borne aux cruautés rudimentaires. Tout autre est la bataille pour le superflu, pour l'ambition, pour le privilège, pour le caprice, pour la jouissance matérielle. Jamais la faim n'a fait commettre à l'homme les bassesses que lui font commettre l'ambition, l'avarice, la soif des plaisirs malsains. L'égoïsme devient plus malfaisant à mesure qu'il se raffine. Nous avons donc assisté de ce temps à une aggravation de l'esprit d'hostilité entre semblables, et nos cœurs sont moins apaisés que jamais.

      Est-il utile de se demander après cela si nous sommes devenus meilleurs? Le nerf du bien n'est-il pas dans la capacité de l'homme d'aimer quelque chose en dehors de lui-même? Et quelle place reste-t-il pour le prochain dans une vie sacrifiée aux préoccupations matérielles, aux besoins en majorité factices, à la satisfaction des ambitions, des rancunes et des fantaisies? L'homme qui se met tout entier au service de ses appétits, les fait si bien grandir et multiplier qu'ils deviennent plus forts que lui. Une fois qu'il est leur esclave, il perd le sens moral et l'énergie, et il devient incapable