Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Название Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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hé de Monsieur Antoine, Tome 1

NOTICE

      J'ai écrit le Péché de monsieur Antoine à la campagne, dans une phase de calme extérieur et intérieur, comme il s'en rencontre peu dans la vie des individus. C'était en 1845, époque où la critique de la société réelle et le rêve d'une société idéale atteignirent dans la presse un degré de liberté de développement comparable à celui du XVIIIe siècle. On croira peut-être avec peine, un jour, le petit fait très-caractéristique que je vais signaler.

      Pour être libre, à cette époque, de soutenir directement ou indirectement les thèses les plus hardies contre le vice de l'organisation sociale, et de s'abandonner aux espérances les plus vives du sentiment philosophique, il n'était guère possible de s'adresser aux journaux de l'opposition. Les plus avancés n'avaient malheureusement pas assez de lecteurs pour donner une publicité satisfaisante à l'idée qu'on tenait à émettre. Les plus modérés nourrissaient une profonde aversion pour le socialisme, et, dans le courant des dix dernières années de la monarchie de Louis-Philippe, un de ces journaux de l'opposition réformiste, le plus important par son ancienneté et le nombre de ses abonnés, me fit plusieurs fois l'honneur de me demander un roman-feuilleton, toujours à la condition qu'il ne s'y trouverait aucune espèce de tendance socialiste.

      Cela était bien difficile, impossible peut-être, à un esprit préoccupé des souffrances et des besoins de son siècle. Avec plus ou moins de détours habiles, avec plus ou moins d'effusion et d'entraînement, il n'est guère d'artiste un peu sérieux qui ne se soit laissé impressionner dans son œuvre par les menaces du présent ou les promesses de l'avenir. C'était, d'ailleurs, le temps de dire tout ce qu'on pensait, tout ce qu'on croyait. On le devait, parce qu'on le pouvait. La guerre sociale ne paraissant pas imminente, la monarchie, ne faisant aucune concession aux besoins du peuple, semblait de force à braver plus longtemps qu'elle ne l'a fait le courant des idées.

      Ces idées dont ne s'épouvantaient encore qu'un petit nombre d'esprits conservateurs, n'avaient encore réellement germé que dans un petit nombre d'esprits attentifs et laborieux. Le pouvoir, du moment qu'elles ne revêtaient aucune application d'actualité politique, s'inquiétait assez peu des théories, et laissait chacun faire la sienne, émettre son rêve, construire innocemment la cité future au coin de son feu, dans le jardin de son imagination.

      Les journaux conservateurs devenaient donc l'asile des romans socialistes. Eugène Sue publia les siens dans les Débats et dans le Constitutionnel. Je publiai les miens dans le Constitutionnel, et dans l'Époque. A peu près dans le même temps, le National courait sus avec ardeur aux écrivains socialistes dans son feuilleton, et les accablait d'injures très-âcres ou de moqueries fort spirituelles.

       L'Époque, journal qui vécut peu, mais, qui débuta par renchérir sur tous les journaux conservateurs et absolutistes du moment, fut donc le cadre où j'eus la liberté absolue de publier un roman socialiste. Sur tous les murs de Paris on afficha en grosses lettres: Lisez l'Époque! Lisez le Péché de monsieur Antoine!

      L'année suivante, comme nous errions dans les landes de Crozant et dans les ruines de Châteaubrun, théâtre agreste où s'était plu ma fiction, un Parisien de nos amis criait facétieusement aux pasteurs à demi sauvages de ces solitudes Avez-vous lu l'Époque? Avez-vous lu le Péché de monsieur Antoine? Et, en les voyant fuir épouvantés de ces incompréhensibles paroles, il nous disait en riant: «Comme on voit bien que les romans socialistes montent la tête aux habitants des campagnes!..»

      Une vieille femme, assez belle diseuse, vint à Châteaubrun me faire une scène de reproches, parce que j'avais fait sur elle et sur son maître un livre plein de menteries. Elle croyait que j'avais voulu mettre en scène le propriétaire du château et elle-même. Elle avait entendu parler du livre. On lui avait dit qu'il n'y avait pas un mot de vrai. Il fut impossible de lui faire comprendre ce que c'est qu'un roman, et cependant elle en faisait aussi, car elle nous raconta l'assassinat de Louis XVI et de Marie-Antoinette poignardés dans leur carrosse par la populace de Paris. Ceux qui accusent les écrits socialistes d'incendier les esprits, devraient se rappeler qu'ils ont oublié d'apprendre à lire aux paysans.

      Renierai-je, maintenant que les masses s'agitent, le communisme de M. de Boisguilbault, personnage très-excentrique, et cependant pas tout à fait imaginaire, de mon roman? Dieu m'en garde, surtout après que, sur tous les tons, on a accusé les socialistes de prêcher le partage des propriétés.

      L'idée diamétralement contraire, celle de communauté par association, devrait être la moins dangereuse de toutes aux yeux des conservateurs, puisque c'est malheureusement la moins comprise et la moins admise par les masses. Elle est surtout antipathique dans la campagne et n'y sera réalisable que par l'initiative d'un gouvernement fort, ou par une rénovation philosophique, religieuse et chrétienne, ouvrage des siècles peut-être!

      Des essais d'associations ouvrières ont été cependant tentés dans la portion la plus instruite, la plus morale, la plus patiente du peuple industriel des grandes villes. Les gouvernements éclairés, quelle que soit leur devise, protégeront toujours ces associations, parce qu'elles offrent un asile à la pensée véritablement sociale et religieuse de l'avenir. Imparfaites à leur naissance probablement, elles se compléteront avec le temps, et quand il sera bien prouvé qu'elles ne détruisent pas, mais conservent, au contraire, le respect de la famille et de la propriété, elles entraîneront insensiblement toutes les classes dans une réciprocité et une solidarité d'intérêts et de dévouements, seule voie de salut ouverte à la société future!

      GEORGE SAND.

      * * * * *

      I.

      ÉGUZON

      Il est peu de gîtes aussi maussades en France que la ville d'Éguzon, située aux confins de la Marche et du Berry, dans la direction sud-ouest de cette dernière province. Quatre-vingts à cent maisons, d'apparence plus ou moins misérable (à l'exception de deux ou trois, dont nous ne nommerons point les opulents propriétaires, de peur d'attenter à leur modestie), composent les deux ou trois rues, et ceignent la place de cette bourgade fameuse à dix lieues à la ronde pour l'esprit procédurier de sa population et la difficulté de ses abords. Malgré ce dernier inconvénient qui va bientôt disparaître, grâce au tracé d'une nouvelle route, Éguzon voit souvent des voyageurs traverser hardiment les solitudes qui l'environnent, et risquer leurs carrioles sur son pavé terrible. L'unique auberge est située sur l'unique place, laquelle est d'autant plus vaste, qu'elle s'ouvre sur la campagne, comme si elle attendait les constructions nouvelles de futurs citadins, et cette auberge est parfois forcée, dans la belle saison, d'inviter les trop nombreux arrivants à s'installer dans les maisons du voisinage, qui leur sont ouvertes, il faut le dire, avec beaucoup d'hospitalité. C'est qu'Éguzon est le point central d'une région pittoresque semée de ruines imposantes, et que, soit qu'on veuille voir Châteaubrun, Crozant, la Prugne-au-Pot, ou enfin le château encore debout et habité de Saint-Germain, il faut nécessairement aller coucher à Éguzon, afin de partir, dès le matin suivant, pour ces différentes excursions.

      Il y a quelques années, par une soirée de juin, lourde et orageuse, les habitants d'Éguzon ouvrirent de grands yeux en voyant un jeune homme de bonne mine traverser la place pour sortir de la ville, un peu après le coucher du soleil. Le temps menaçait, la nuit se faisait plus vite que de raison, et pourtant le jeune voyageur, après avoir pris un léger repas à l'auberge, et s'être arrêté le temps strictement nécessaire pour faire rafraîchir son cheval, se dirigeait hardiment vers le nord, sans s'inquiéter des représentations de l'aubergiste, et sans paraître se soucier des dangers de la route. Personne ne le connaissait; il n'avait répondu aux questions que par un geste d'impatience, et aux remontrances que par un sourire. Quand le bruit des fers de sa monture se fut perdu dans l'éloignement: «Voilà, dirent les flâneurs de l'endroit, un garçon qui connaît bien le chemin, ou qui ne le connaît pas du tout. Ou il y a passé cent fois, et sait le nom du moindre caillou, ou bien il ne se doute pas de ce qui en est, et va se trouver fort en peine.

      – C'est un étranger qui n'est pas d'ici, dit judicieusement un homme capable: il n'a voulu écouter que sa tête; mais, dans une demi-heure, quand l'orage éclatera, vous le verrez revenir!

      – S'il ne se casse pas le cou auparavant à la descente du pont des Piles! observa un troisième.

      – Ma foi, firent en chœur les assistants,