Название | Bel-Ami / Милый друг |
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Автор произведения | Ги де Мопассан |
Жанр | |
Серия | Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом |
Издательство | |
Год выпуска | 1885 |
isbn | 978-5-17-158401-6 |
Et il indiquait du doigt les feuilles dépliées sous un presse-papier.
Duroy, confondu, ne trouva rien à dire, et, comme il mettait sa prose dans sa poche, Forestier reprit:
– Aujourd'hui tu vas te rendre d'abord à la préfecture…
Et il indiqua une série de courses d'affaires, de nouvelles à recueillir. Duroy s'en alla, sans avoir pu découvrir le mot mordant qu'il cherchait.
Il rapporta son article le lendemain. Il lui fut rendu de nouveau. L'ayant refait une troisième fois, et le voyant refusé, il comprit qu'il allait trop vite et que la main de Forestier pouvait seule l'aider dans sa route.
Il ne parla donc plus des Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, en se promettant d'être souple et rusé, puisqu'il le fallait, et de faire, en attendant mieux, son métier de reporter avec zèle.
Il connut les coulisses des théâtres et celles de la politique, les corridors et le vestibule des hommes d'État et de la Chambre des députés, les figures importantes des attachés de cabinet et les mines renfrognées des huissiers endormis.
Il eut des rapports continus avec des ministres, des concierges, des généraux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des évêques, des proxénètes, des rastaquouères, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garçons de café et bien d'autres, étant devenu l'ami intéressé et indifférent de tous ces gens, les confondant dans son estime, les toisant à la même mesure, les jugeant avec le même œil, à force de les voir tous les jours, à toute heure, sans transition d'esprit, et de parler avec eux tous des mêmes affaires concernant son métier. Il se comparait lui-même à un homme qui goûterait, coup sur coup, les échantillons de tous les vins, et ne distinguerait bientôt plus le château-margaux de l'argenteuil.
Il devint en peu de temps un remarquable reporter, sûr de ses informations, rusé, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le père Walter, qui s'y connaissait en rédacteurs.
Cependant, comme il ne touchait que dix centimes la ligne, plus ses deux cents francs de fixe, et comme la vie de boulevard, la vie de café, la vie de restaurant coûte cher, il n'avait jamais le sou et se désolait de sa misère.
C'est un truc à saisir, pensait-il, en voyant certains confrères aller la poche pleine d'or, sans jamais comprendre quels moyens secrets ils pouvaient bien employer pour se procurer cette aisance. Et il soupçonnait avec envie des procédés inconnus et suspects, des services rendus, toute une contrebande acceptée et consentie. Or, il lui fallait pénétrer le mystère, entrer dans l'association tacite, s'imposer aux camarades qui partageaient sans lui.
Et il rêvait souvent le soir, en regardant de sa fenêtre passer les trains, aux procédés qu'il pourrait employer.
V
Deux mois s'étaient écoulés; on touchait à septembre, et la fortune rapide que Duroy avait espérée lui semblait bien longue à venir. Il s'inquiétait surtout de la médiocrité morale de sa situation et ne voyait pas par quelle voie il escaladerait les hauteurs où l'on trouve la considération, la puissance et l'argent.
Il se sentait enfermé dans ce métier médiocre de reporter, muré là-dedans à n'en pouvoir sortir. On l'appréciait, mais on l'estimait selon son rang. Forestier même, à qui il rendait mille services, ne l'invitait plus à dîner, le traitait en tout comme un inférieur, bien qu'il le tutoyât comme un ami.
De temps en temps, il est vrai, Duroy, saisissant une occasion, plaçait un bout d'article, et ayant acquis par ses échos une souplesse de plume et un tact qui lui manquaient lorsqu'il avait écrit sa seconde chronique sur l'Algérie, il ne courait plus aucun risque de voir refuser ses actualités. Mais de là à faire des chroniques au gré de sa fantaisie ou à traiter, en juge, les questions politiques, il y avait autant de différence qu'à conduire dans les avenues du Bois, étant cocher, ou à conduire étant maître. Ce qui l'humiliait surtout, c'était de sentir fermées les portes du monde, de n'avoir pas de relations à traiter en égal, de ne pas entrer dans l'intimité des femmes, bien que plusieurs actrices connues l'eussent parfois accueilli avec une familiarité intéressée.
Il savait d'ailleurs, par expérience, qu'elles éprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entraînement singulier, une sympathie instantanée, et il ressentait, de ne point connaître celles dont pourrait dépendre son avenir, une impatience de cheval entravé.
Bien souvent il avait songé à faire une visite à Mme Forestier; mais la pensée de leur dernière rencontre l'arrêtait, l'humiliait, et il attendait, en outre, d'y être engagé par le mari. Alors le souvenir lui vint de Mme de Marelle, et, se rappelant qu'elle l'avait prié de la venir voir, il se présenta chez elle un après-midi qu'il n'avait rien à faire. «J'y suis toujours jusqu'à trois heures,» avait-elle dit.
Il sonnait à sa porte à deux heures et demie.
Elle habitait rue de Verneuil, au quatrième.
Au bruit du timbre, une bonne vint ouvrir, une petite servante dépeignée qui nouait son bonnet en répondant:
– Oui, madame est là, mais je ne sais pas si elle est levée.
Et elle poussa la porte du salon qui n'était point fermée.
Duroy entra. La pièce était assez grande, peu meublée et d'aspect négligé. Les fauteuils, défraîchis et vieux, s'alignaient le long des murs, selon l'ordre établi par la domestique, car on ne sentait en rien le soin élégant d'une femme qui aime le chez soi. Quatre pauvres tableaux, représentant une barque sur un fleuve, un navire sur la mer, un moulin dans une plaine et un bûcheron dans un bois, pendaient au milieu des quatre panneaux, au bout de cordons inégaux, et tous les quatre accrochés de travers. On devinait que depuis longtemps ils restaient penchés ainsi sous l'œil négligent d'une indifférente.
Duroy s'assit et attendit. Il attendit longtemps. Puis une porte s'ouvrit, et Mme de Marelle entra en courant, vêtue d'un peignoir japonais en soie rose où étaient brodés des paysages d'or, des fleurs bleues et des oiseaux blancs, et elle s'écria:
– Figurez-vous que j'étais encore couchée. Que c'est gentil à vous de venir me voir! J'étais persuadée que vous m'aviez oubliée.
Elle tendit ses deux mains d'un geste ravi, et Duroy, que l'aspect médiocre de l'appartement mettait à son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire à Norbert de Varenne.
Elle le pria de s'asseoir; puis, le regardant des pieds à la tête:
– Comme vous êtes changé! Vous avez gagné de l'air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles.
Et ils se mirent à bavarder tout de suite, comme s'ils eussent été d'anciennes connaissances, sentant naître entre eux une familiarité instantanée, sentant s'établir un de ces courants de confiance, d'intimité et d'affection qui font amis, en cinq minutes, deux êtres de même caractère et de même race.
Tout à coup, la jeune femme s'interrompit, et s'étonnant:
– C'est drôle comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. Voulez-vous?
Il répondit: «Mais, certainement,» avec un sourire qui en disait plus.
Il la trouvait tout à fait tentante, dans son peignoir éclatant et doux, moins fine que l'autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins délicate, mais plus excitante, plus poivrée.
Quand il sentait près de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arrêtait en même temps, qui semblait dire: «Vous me plaisez» et aussi: «Prenez garde», dont on ne comprenait jamais le sens véritable, il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d'aspirer lentement l'air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. Auprès de Mme de Marelle, il sentait en lui un désir plus brutal,