Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера. Александр Дюма

Читать онлайн.
Название Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера
Автор произведения Александр Дюма
Жанр
Серия Littérature classique (Каро)
Издательство
Год выпуска 1844
isbn 978-5-9925-1601-2



Скачать книгу

sur moi.

      – Vous oubliez ce beau mouchoir brodé, armorié.

      – Lequel ?

      – Celui que j’ai trouvé à vos pieds et que j’ai remis dans votre poche.

      – Taisez-vous, taisez-vous, malheureux ! s’écria la jeune femme, voulez-vous me perdre ?

      – Vous voyez bien qu’il y a encore du danger pour vous, puisqu’un seul mot vous fait trembler, et que vous avouez que, si on entendait ce mot, vous seriez perdue. Ah ! tenez, madame, s’écria d’Artagnan en lui saisissant la main et la couvrant d’un ardent regard, tenez ! soyez plus généreuse, confiez-vous à moi ; n’avez-vous donc pas lu dans mes yeux qu’il n’y a que dévouement et sympathie dans mon coeur ?

      – Si fait, répondit Mme Bonacieux ; aussi demandez-moi mes secrets, et je vous les dirai ; mais ceux des autres, c’est autre chose.

      – C’est bien, dit d’Artagnan, je les découvrirai ; puisque ces secrets peuvent avoir une influence sur votre vie, il faut que ces secrets deviennent les miens.

      – Gardez-vous-en bien, s’écria la jeune femme avec un sérieux qui fit frissonner d’Artagnan malgré lui. Oh ! ne vous mêlez en rien de ce qui me regarde, ne cherchez point à m’aider dans ce que j’accomplis ; et cela, je vous le demande au nom de l’intérêt que je vous inspire, au nom du service que vous m’avez rendu ! et que je n’oublierai de ma vie. Croyez bien plutôt à ce que je vous dis. Ne vous occupez plus de moi, je n’existe plus pour vous, que ce soit comme si vous ne m’aviez jamais vue.

      – Aramis doit-il en faire autant que moi, madame ? dit d’Artagnan piqué.

      – Voilà deux ou trois fois que vous avez prononcé ce nom, monsieur, et cependant je vous ai dit que je ne le connaissais pas.

      – Vous ne connaissez pas l’homme au volet duquel vous avez été frapper. Allons donc, madame ! vous me croyez par trop crédule, aussi !

      – Avouez que c’est pour me faire parler que vous inventez cette histoire, et que vous créez ce personnage.

      – Je n’invente rien, madame, je ne crée rien, je dis l’exacte vérité.

      – Et vous dites qu’un de vos amis demeure dans cette maison ?

      – Je le dis et je le répète pour la troisième fois, cette maison est celle qu’habite mon ami, et cet ami est Aramis.

      – Tout cela s’éclaircira plus tard, murmura la jeune femme : maintenant, monsieur, taisez-vous.

      – Si vous pouviez voir mon coeur tout à découvert, dit d’Artagnan, vous y liriez tant de curiosité, que vous auriez pitié de moi, et tant d’amour, que vous satisferiez à l’instant même ma curiosité. On n’a rien à craindre de ceux qui vous aiment.

      – Vous parlez bien vite d’amour, monsieur ! dit la jeune femme en secouant la tête.

      – C’est que l’amour m’est venu vite et pour la première fois, et que je n’ai pas vingt ans. »

      La jeune femme le regarda à la dérobée.

      « Écoutez, je suis déjà sur la trace, dit d’Artagnan. Il y a trois mois, j’ai manqué avoir un duel avec Aramis pour un mouchoir pareil à celui que vous avez montré à cette femme qui était chez lui, pour un mouchoir marqué de la même manière, j’en suis sûr.

      – Monsieur, dit la jeune femme, vous me fatiguez fort, je vous le jure, avec ces questions.

      – Mais vous, si prudente, madame, songez-y, si vous étiez arrêtée avec ce mouchoir, et que ce mouchoir fût saisi, ne seriez-vous pas compromise ?

      – Pourquoi cela, les initiales ne sont-elles pas les miennes : C.B., Constance Bonacieux ?

      – Ou Camille de Bois-Tracy.

      – Silence, monsieur, encore une fois silence ! Ah ! puisque les dangers que je cours pour moi-même ne vous arrêtent pas, songez à ceux que vous pouvez courir, vous !

      – Moi ?

      – Oui, vous. Il y a danger de la prison, il y a danger de la vie à me connaître.

      – Alors, je ne vous quitte plus.

      – Monsieur, dit la jeune femme suppliant et joignant les mains, monsieur, au nom du Ciel, au nom de l’honneur d’un militaire, au nom de la courtoisie d’un gentilhomme, éloignez-vous ; tenez, voilà minuit qui sonne, c’est l’heure où l’on m’attend.

      – Madame, dit le jeune homme en s’inclinant, je ne sais rien refuser à qui me demande ainsi ; soyez contente, je m’éloigne.

      – Mais vous ne me suivrez pas, vous ne m’épierez pas ?

      – Je rentre chez moi à l’instant.

      – Ah ! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme ! » s’écria Mme Bonacieux en lui tendant une main et en posant l’autre sur le marteau d’une petite porte presque perdue dans la muraille.

      D’Artagnan saisit la main qu’on lui tendait et la baisa ardemment.

      « Ah ! j’aimerais mieux ne vous avoir jamais vue, s’écria d’Artagnan avec cette brutalité naïve que les femmes préfèrent souvent aux afféteries de la politesse, parce qu’elle découvre le fond de la pensée et qu’elle prouve que le sentiment l’emporte sur la raison.

      – Eh bien, reprit Mme Bonacieux d’une voix presque caressante, et en serrant la main de d’Artagnan qui n’avait pas abandonné la sienne ; eh bien, je n’en dirai pas autant que vous : ce qui est perdu pour aujourd’hui n’est pas perdu pour l’avenir. Qui sait, si lorsque je serai déliée un jour, je ne satisferai pas votre curiosité ?

      – Et faites-vous la même promesse à mon amour ? s’écria d’Artagnan au comble de la joie.

      – Oh ! de ce côté, je ne veux point m’engager, cela dépendra des sentiments que vous saurez m’inspirer.

      – Ainsi, aujourd’hui, madame…

      – Aujourd’hui, monsieur, je n’en suis encore qu’à la reconnaissance.

      – Ah ! vous êtes trop charmante, dit d’Artagnan avec tristesse, et vous abusez de mon amour.

      – Non, j’use de votre générosité, voilà tout. Mais croyez-le bien, avec certaines gens tout se retrouve.

      – Oh ! vous me rendez le plus heureux des hommes. N’oubliez pas cette soirée, n’oubliez pas cette promesse.

      – Soyez tranquille, en temps et lieu je me souviendrai de tout. Eh bien, partez donc, partez, au nom du Ciel ! On m’attendait à minuit juste, et je suis en retard.

      – De cinq minutes.

      – Oui ; mais dans certaines circonstances, cinq minutes sont cinq siècles.

      – Quand on aime.

      – Eh bien, qui vous dit que je n’ai pas affaire à un amoureux ?

      – C’est un homme qui vous attend ? s’écria d’Artagnan, un homme !

      – Allons, voilà la discussion qui va recommencer, fit Mme Bonacieux avec un demi-sourire qui n’était pas exempt d’une certaine teinte d’impatience.

      – Non, non, je m’en vais, je pars ; je crois en vous, je veux avoir tout le mérite de mon dévouement, ce dévouement dût-il être une stupidité. Adieu, madame, adieu ! »

      Et comme s’il ne se fût senti la force de se détacher de la main qu’il tenait que par une secousse, il s’éloigna tout courant, tandis que Mme Bonacieux frappait, comme au volet, trois coups lents et réguliers ; puis, arrivé à l’angle de la rue, il se retourna : la porte s’était ouverte et refermée, la jolie mercière avait disparu.

      D’Artagnan continua son chemin, il avait donné sa parole de ne pas épier Mme Bonacieux, et sa vie eût-elle dépendu de l’endroit où