Bel-Ami / Милый друг. Ги де Мопассан

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Название Bel-Ami / Милый друг
Автор произведения Ги де Мопассан
Жанр
Серия Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом
Издательство
Год выпуска 1885
isbn 978-5-17-158401-6



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à mi-voix:

      – Demain, trois heures, n'oublie pas.

      – Oh non! ne crains rien.

      Quand il se retrouva sur l'escalier, il eut envie de descendre en courant, tant sa joie était véhémente, et il s'élança, enjambant les marches deux par deux; mais tout à coup il aperçut, dans la grande glace du second étage, un monsieur pressé qui venait en gambadant à sa rencontre, et il s'arrêta net, honteux comme s'il venait d'être surpris en faute.

      Puis il se regarda longuement, émerveillé d'être vraiment aussi joli garçon; puis il se sourit avec complaisance; puis, prenant congé de son image, il se salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages.

      III

      Quand Georges Duroy se retrouva dans la rue, il hésita sur ce qu'il ferait. Il avait envie de courir, de rêver, d'aller devant lui en songeant à l'avenir et en respirant l'air doux de la nuit; mais la pensée de la série d'articles demandés par le père Walter le poursuivait, et il se décida à rentrer tout de suite pour se mettre au travail.

      Il revint à grands pas, gagna le boulevard extérieur, et le suivit jusqu'à la rue Boursault qu'il habitait. Sa maison, haute de six étages, était peuplée par vingt petits ménages ouvriers et bourgeois, et il éprouva, en montant l'escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût et une hâte de sortir de là, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. Une odeur lourde de nourriture, de fosse d'aisances et d'humanité, une odeur stagnante de crasse et de vieille muraille, qu'aucun courant d'air n'eût pu chasser de ce logis, l'emplissait du haut en bas.

      La chambre du jeune homme, au cinquième étage, donnait, comme sur un abîme profond, sur l'immense tranchée du chemin de fer de l'Ouest, juste au-dessus de la sortie du tunnel, près de la gare des Batignolles. Duroy ouvrit sa fenêtre et s'accouda sur l'appui de fer rouillé.

      Au-dessous de lui, dans le fond du trou sombre, trois signaux rouges immobiles avaient l'air de gros yeux de bête; et plus loin on en voyait d'autres, et encore d'autres, encore plus loin. À tout instant des coups de sifflet prolongés ou courts passaient dans la nuit, les uns proches, les autres à peine perceptibles, venus de là-bas, du côté d'Asnières. Ils avaient des modulations comme des appels de voix. Un d'eux se rapprochait, poussant toujours son cri plaintif qui grandissait de seconde en seconde, et bientôt une grosse lumière jaune apparut, courant avec un grand bruit; et Duroy regarda le long chapelet des wagons s'engouffrer sous le tunnel.

      Puis il se dit: «Allons, au travail!» Il posa sa lumière sur sa table; mais au moment de se mettre à écrire, il s'aperçut qu'il n'avait chez lui qu'un cahier de papier à lettres.

      Tant pis, il l'utiliserait en ouvrant la feuille dans toute sa grandeur. Il trempa sa plume dans l'encre et écrivit en tête, de sa plus belle écriture:

      Souvenirs d'un chasseur d'Afrique.

      Puis il chercha le commencement de la première phrase.

      Il restait le front dans sa main, les yeux fixés sur le carré blanc déployé devant lui.

      Qu'allait-il dire? Il ne trouvait plus rien maintenant de ce qu'il avait raconté tout à l'heure, pas une anecdote, pas un fait, rien. Tout à coup il pensa: «Il faut que je débute par mon départ.» Et il écrivit: «C'était en 1874, aux environs du 15 mai, alors que la France épuisée se reposait après les catastrophes de l'année terrible…»

      Et il s'arrêta net, ne sachant comment amener ce qui suivrait, son embarquement, son voyage, ses premières émotions.

      Après dix minutes de réflexion il se décida à remettre au lendemain la page préparatoire du début, et à faire tout de suite une description d'Alger.

      Et il traça sur son papier: «Alger est une ville toute blanche…» sans parvenir à énoncer autre chose. Il revoyait en souvenir la jolie cité claire, dégringolant, comme une cascade de maisons plates, du haut de sa montagne dans la mer, mais il ne trouvait plus un mot pour exprimer ce qu'il avait vu, ce qu'il avait senti.

      Après un grand effort, il ajouta: «Elle est habitée en partie par des Arabes…» Puis il jeta sa plume sur la table et se leva.

      Sur son petit lit de fer, où la place de son corps avait fait un creux, il aperçut ses habits de tous les jours jetés là, vides, fatigués, flasques, vilains comme des hardes de la Morgue. Et, sur une chaise de paille, son chapeau de soie, son unique chapeau, semblait ouvert pour recevoir l'aumône.

      Ses murs, tendus d'un papier gris à bouquets bleus, avaient autant de taches que de fleurs, des taches anciennes, suspectes, dont on n'aurait pu dire la nature, bêtes écrasées ou gouttes d'huile, bouts de doigts graissés de pommade ou écume de la cuvette projetée pendant les lavages. Cela sentait la misère honteuse, la misère en garni de Paris. Et une exaspération le souleva contre la pauvreté de sa vie. Il se dit qu'il fallait sortir de là, tout de suite, qu'il fallait en finir dès le lendemain avec cette existence besogneuse.

      Une ardeur de travail l'ayant soudain ressaisi, il se rassit devant sa table, et recommença à chercher des phrases pour bien raconter la physionomie étrange et charmante d'Alger, cette antichambre de l'Afrique mystérieuse et profonde, l'Afrique des Arabes vagabonds et des nègres inconnus, l'Afrique inexplorée et tentante, dont on nous montre parfois, dans les jardins publics, les bêtes invraisemblables qui semblent créées pour des contes de fées, les autruches, ces poules extravagantes, les gazelles, ces chèvres divines, les girafes surprenantes et grotesques, les chameaux graves, les hippopotames monstrueux, les rhinocéros informes, et les gorilles, ces frères effrayants de l'homme.

      Il sentait vaguement des pensées lui venir; il les aurait dites, peut-être, mais il ne les pouvait point formuler avec des mots écrits. Et son impuissance l'enfiévrant, il se leva de nouveau, les mains humides de sueur et le sang battant aux tempes.

      Et ses yeux étant tombés sur la note de sa blanchisseuse, montée, le soir même, par le concierge, il fut saisi brusquement par un désespoir éperdu. Toute sa joie disparut en une seconde, avec sa confiance en lui et sa foi dans l'avenir.

      C'était fini; tout était fini, il ne ferait rien, il ne serait rien; il se sentait vide, incapable, inutile, condamné.

      Et il retourna s'accouder à la fenêtre, juste au moment où un train sortait du tunnel avec un bruit subit et violent. Il s'en allait là-bas, à travers les champs et les plaines, vers la mer. Et le souvenir de ses parents entra au cœur de Duroy.

      Il allait passer près d'eux, ce convoi, à quelques lieues seulement de leur maison. Il la revit, la petite maison, au haut de la côte, dominant Rouen et l'immense vallée de la Seine, à l'entrée du village de Canteleu.

      Son père et sa mère tenaient un petit cabaret, une guinguette où les bourgeois des faubourgs venaient déjeuner le dimanche: À la Belle-Vue. Ils avaient voulu faire de leur fils un monsieur et l'avaient mis au collège. Ses études finies et son baccalauréat manqué, il était parti pour le service avec l'intention de devenir officier, colonel, général. Mais dégoûté de l'état militaire bien avant d'avoir fini ses cinq années, il avait rêvé de faire fortune à Paris.

      Il y était venu, son temps expiré, malgré les prières du père et de la mère, qui, leur songe envolé, voulaient le garder maintenant. À son tour, il espérait un avenir; il entrevoyait le triomphe au moyen d'événements encore confus dans son esprit, qu'il saurait assurément faire naître et seconder.

      Il avait eu au régiment des succès de garnison, des bonnes fortunes faciles et même des aventures dans un monde plus élevé, ayant séduit la fille d'un percepteur, qui voulait tout quitter pour le suivre, et la femme d'un avoué, qui avait tenté de se noyer par désespoir d'être délaissée.

      Ses camarades disaient de lui: «C'est un malin, c'est un roublard, c'est un débrouillard qui saura se tirer d'affaire.» Et il s'était promis, en effet, d'être un malin, un roublard et un débrouillard.

      Sa