Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger. Wolfgang Bendick

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Название Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger
Автор произведения Wolfgang Bendick
Жанр Сделай Сам
Серия Les Néo-Ruraux
Издательство Сделай Сам
Год выпуска 0
isbn 9783750218888



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gel et déjà écartées de la roche solide, comme une épée de Damoclès, menaçant de tomber au moindre choc. L’haleine froide de la montagne m’enveloppait. Plus j’avançais dans l’obscurité humide, plus les mousses sur les rochers cédaient leur place aux algues, au fond il ne restait que la roche noire, nue. Les tailleurs de pierre avaient avancé jusque-là, jusqu’au jour où ils avaient subitement arrêté leur travail. Pourquoi ? Sur le sol le vent avait entassé des feuilles mortes, qui m’arrivaient jusqu’aux genoux. Je les écartai avec les pieds. Rien, à part les quelques blocs tombés du haut. En quittant les lieux j’aperçus un scintillement jaunâtre dans la roche. Je m’approchai. Ça ressemblait à de la poussière d’or. Avions-nous une mine d’or sur nos terres ? Bien sûr que non ! C’était sans doute de la pyrite, un amalgame sulfurique, aussi appelée l’or des fous. Car dans le cas contraire, les tailleurs de pierre auraient arrêté l’exploitation d’ardoise bien avant et un cratère géant se trouverait à la place de nos prairies !

      Il y avait plusieurs crevasses. Je devais toutes les inspecter ! Peut-être que Ludwig, en essayant d’explorer le terrain, avait glissé dans l’une d’entre elles et… Je repoussais toutes ces pensées noires et essayai de m’imaginer comment on avait travaillé à l’intérieur de ces puits. Sans doute que, munis de barres à mine, on avait détaché des gros blocs de la roche-mère, puis on les avait fendus en des plus petits avec des burins, en suite encore et encore, jusqu’à obtenir l’épaisseur voulue. Puis on les avait triés par taille et encore plus tard taillé leurs bords avec une sorte de hache large. En descendant je découvris des quais, des murettes surélevées, le plus souvent construites par la roche stérile ou des déchets, qui avaient sans doute servi à charger les dalles sur le dos des ânes pour le transport. Tout ceci avait depuis été recouvert d’une couche de mousse.

      Au-dessus de moi un long tronc d’arbre recouvert de mousse traversait une large crevasse. Je voulais voir à quoi il avait servi, car je sentais que des mains d’hommes l’avaient posé là. Je montai. C’était une rigole. Le tronc avait dû être creusé il y a fort longtemps pour y faire traverser un canal d’irrigation. Ces rigoles déviaient des deux côtés des cours d’eau comme des arêtes de poisson, puis traversaient les pentes et les prés à des fins d’irrigation. Parfois elles faisaient plusieurs kilomètres de long. De tels canaux arrivaient aussi devant notre maison. A cause d’un manque d’entretien ils avaient fini par être remplis de terre. Ils suivaient les flancs des montagnes comme des courbes de niveau sur une carte.

      Un vieil essieu de charrette gisait un peu plus en contrebas dans le lit du ruisseau. Les arceaux tordus des roues cassées mêlés aux rayons brisés étaient couverts d’une couche épaisse de rouille et de mousse. Que s’était-il passé ici ? Un transport de bois avait-il dégringolé la pente ? Je descendis à travers la forêt dont les arbres n’avaient toujours pas de feuilles, en suivant le cours d’eau. Bientôt un autre ruisseau rejoignit le premier et il me sembla entrer sur des terres encore utilisées. Les fortes pentes s’adoucissaient un peu et des bandes de prairies longeaient le ruisseau, bordées par des peupliers d’environ vingt ans. Le sentier se transforma en un chemin creux, dans lequel le ruisseau, à cause d’un glissement de terrain, avait pris son cours. En pataugeant, je suivis le chemin boueux et aperçus soudain derrière les arbres la décoration en colombage de notre caravane. Quelque chose bougeait à côté.

      Mais pas Ludwig. C’était Jean-Paul qui faisait boire ses vaches. « Où est Ludwig ? » fut sa première question. Je haussai les épaules. « Peut-être qu’il a été mordu par une vipère ? » dis-je. « Pour les vipères il fait encore trop froid ! », répondit-il. « Peut-être a-t-il fait une mauvaise chute ? », songeai-je. « Ou - peut-être que tu l’as tué ? », prononça-t-il lentement. Je me mis à rire, sans trouver ça drôle. « Laisse tes mauvaises blagues ! », lui rétorquai-je. « Je connais plein d’histoires de gens qui ont disparu et plus tard on a trouvé que quelqu’un les avait tués ! » Il me scrutait d’en bas avec ses yeux de porcelet comme pour me tester. Il cria « pico ! » à son chien. Celui-ci fit un bond et mordit la jambe de la vache qui était en train de boire. Avant même que celle-ci ne puisse lui donner un coup de pied, il s’était déjà écarté d’un mètre. Lentement elle fit demi-tour et se mit à suivre l’autre en direction de l’étable. Jean-Paul lui aussi se tourna et se mit à suivre les bêtes, laissant derrière lui un nuage de fumée gris-bleu. « L’avoir tué ! Quel idiot ! » Mais soudain je réalisais que les gens du village se racontaient peut-être cette histoire ! Une telle histoire ne peut avoir pris racine uniquement sur son fumier ! A mes soucis du copain disparu s’ajoutaient maintenant des soucis de soupçons de meurtre !

      *

      Je ne mangeai rien, et après un coup d’œil dans la maison je pris le combi pour aller voir les anciens propriétaires de la ferme. Arrivé là, on me proposa une bière, pendant qu’ils se servaient un Pastis. Désormais les gens connaissaient ma préférence pour le jus de houblon à cette colle d’anis ! Nous levâmes nos verres et je leur racontai l’histoire de la disparition de Ludwig. « Une morsure de serpent est peu probable. Mais qu’il soit tombé dans un trou, c’est possible. Pas à la ferme, mais plus loin, là où le sol est calcaire il y a des « dolines », sorte de cratères, souvent couverts par des feuilles. La fermière avait une idée : elle connaissait bien l’adjudant-chef de la brigade, et celui-ci avait un chien pisteur. Nous décidâmes de nous retrouver le lendemain matin au village voisin, Auret. Devant la gendarmerie. D’une certaine manière cela allait contre mes convictions. Ma devise était : « Ne va pas à l’empereur, quand on te n’a pas appelé ! » Mais dans ce cas spécifique une exception était permise !

      La caserne des gendarmes était un bâtiment de trois étages, sur le devant duquel se trouvait un insigne lumineux bleu-blanc-rouge portant le mot GENDARMERIE. André m’attendait déjà. « Au rez-de-chaussée se trouvent les cellules. Jean-Paul, de ton village, les connaît bien. Il y a plusieurs fois passé la nuit ! », mais il ne me dit pas pourquoi. Nous montâmes les escaliers en forme de pyramide jusqu’au premier étage. Au-dessus devaient se trouver les logements de fonction des gendarmes. A travers la porte ouverte nous accédâmes à un long couloir et frappâmes à la porte de service. On nous fit entrer et André raconta ce qui s’était passé.

      Mais les gendarmes n’étaient que peu intéressés par mon collègue disparu. Ils me trouvaient beaucoup plus intéressant. « Votre passeport d’abord ! Et la carte de séjour. Vous n’en avez pas ? Mais vous devriez en avoir une ! » « Mais nous sommes en Europe, je n’en ai pas besoin ! », répondis-je. Ils m’expliquèrent que si je restais plus de trois mois en France j’en aurais besoin. « Je suis ici depuis trois semaines ! », répondis-je. « Pouvez-vous prouver ça, avez-vous un tampon dans votre passeport avec la date d’entrée ? » Bien sûr que non. Nous avions franchi la frontière comme ça. Mais je préférai ne pas leur dire. Le problème semblait se compliquer plutôt que de se résoudre ! J’avais pressenti ça ! « Ne va pas chez les flics, sauf si tu portes des menottes ! »… Entre-temps André papotait avec un autre gendarme. Ils semblaient se raconter des blagues cochonnes, car leur rire bruyant remplissait le bureau enfumé. Après un bon moment ils se trouvèrent à court de brimades et me dirent que c’était tout et que je pouvais m’en aller. « Et n’oubliez pas de demander la carte de séjour ! Ça prendra quelques mois ! » « Et mon pote ? Et le chien pisteur ? » « Pour le chien il faut voir la brigade de Castillon, et pour le copain… Des hippies il y en a plein dans le coin. Quand il y en a un qui se perd, il y en a deux qui apparaissent ! »

      Alors je descendis à Castillon en suivant le fermier. La gendarmerie du chef-lieu du canton était aussi moche que celle d’Auret et construite d’après le même modèle. Ici le fermier me quitta. Il attendait un marchand de bestiaux qui voulait lui prendre les derniers animaux restants. Pour moi la même procédure qu’auparavant recommença, en commençant par la saisie des données personnelles. Il s’avérait que le chien pisteur était un chien d’avalanches. On approchait midi. Du clocher de l’église carillonnaient les cloches. Ceci motiva les gendarmes à terminer mon interrogatoire. Je me retrouvais dans la rue, soulagé mais pas avancé d’un pouce ! J’étais heureux d’être encore libre ! Heureusement qu’ils n’avaient pas encore eu vent